J’étais donc intéressée par les histoire de naissance, de dates et de familles. Mais il y avait des évidences qui m’échappaient.
Des amis de mes parents, Pascal et Pierrette, lui blond aux yeux bleu, elle rousse aux yeux verts, avaient, parmi leurs enfants, un petit garçon de mon âge. Il est devenu ce copain d’enfance, que l’on connaît depuis toujours, dont les frères et les sœurs fréquentent la même école, tout ce qu’il y a de plus normal.
Un jour que je discutais avec ma mère, elle me demanda :
– Vraiment, tu n’as pas remarqué ?
– Remarqué quoi ?
– Eh bien, que Pierrot est un enfant métis…
Ma stupeur ne pouvait pas être plus grande. Métis ? Mais qu’est-ce que cela voulait dire ? Effectivement, il avait les yeux noirs, la peau mate et les cheveux crépus, coupés si court que je n’y pensais même pas. Mais de là à parler de métissage…
Si je rencontrais cette famille maintenant, je penserais sans doute que Pierrot a été adopté. Mais à l’époque, pour moi, il était le fils de Pascal et de Pierrette et le reste importait peu. Et puis, qu’est-ce que ça voulait dire, métis, hein ?
– Eh bien, sa mère, c’est Pierrette. Mais son père, ce n’est pas Pascal. Il n’est pas de la même couleur parce que son “vrai” père était noir.
J’étais trop abasourdie pour poser des questions. Et ma mère n’entra pas dans des détails que j’aurais bien été en peine de comprendre, vu mon âge. Mais ce jour-là, j’ai découvert trois choses : la première, ce qu’était un bâtard (ce que Pierrot restait d’une certaine manière dans l’inconscient de ma mère, ça je l’ai perçu) ; la deuxième, la ségrégation (1) (il ne peut être le fils de ses parents parce qu’il n’a pas la même couleur de peau). La troisième était beaucoup plus positive : Pascal avait décrété que cet enfant était le sien. Et il le fut, effectivement.
Je n’ai jamais osé aborder le sujet avec Pierrot. J’ignore ce qu’il connaît de son histoire. Ma mère prétend qu’il sait tout. Qu’il l’a toujours su. Mais j’ai observé que Pascal n’a jamais fait aucune différence entre ses enfants. Pierrot est son fils, comme Marc, Isabelle, Antoine et Fabrice…
Ainsi, pour moi, la question du sang n’a que l’importance qu’on veut bien lui donner. Ce n’est pas la mère qui, contrairement à ce que l’on dit souvent, fait le père. C’est l’homme lui-même qui, décrétant qu’un gamin est le sien, devient père. A contrario, hélas, un homme qui ne veut pas d’un enfant, qui le refuse, lui ferme la porte à jamais…
Le trio auquel je pensais en cours de science naturelle n’était pas celui de Pierrot et de ses parents. Ce jour-là, le visage qui me revint, fut celui de Claire, une lointaine cousine de mon père. Nous ne la fréquentions pas beaucoup, sauf aux réunions familiales. Nous y croisions également ses parents. Un grand monsieur au nez busqué, aux cheveux blanc et aux yeux très bleus. Une dame aux cheveux encore roux et aux yeux verts très clairs. Et Claire, des yeux noirs comme ses cheveux et une peau si terriblement blanche que l’on croyait voir palpiter ses veines… Malgré la tentative d’éluder de ma prof, je continuais à analyser ce que je venais d’apprendre à l’aune de ce que je savais…
Rentrée à la maison, je racontais le cours à ma mère, qui trouva cela passionnant. Je lui refis la démonstration des gènes dominants, des gènes ressessifs. Nous essayions de l’appliquer à la famille et je lui dis : « Eh bien justement, figure-toi que j’ai dit à la prof que ce n’était pas possible, à cause de Claire… Melle S. m’a répondu qu’en fait, ça ne marchait que pour les parents qui avaient les yeux bleus, très bleus. Pas un peu vert. Tu crois que c’est parce que Tante Noémie a les yeux verts que Claire a les siens noirs ? »
Coup d’œil en coulisse de ma mère qui mit immédiatement mon instinct en éveil. Pressée de question, elle finit par avouer que Claire n’était pas la fille de son père. Que tante Noémie avait eu un amant pendant que son mari était en voyage et qu’elle en avait eu un bébé, Claire…
– Mais comment tu sais ça, toi .
– C’est ta grand-mère qui me l’a raconté.
Ma grand-mère paternelle a raconté quantité d’histoires sur sa famille à ma mère, cette bru dont elle se sentait si proche, après l’avoir si mal accueillie.
La révélation était assez bouleversante car je suis bien sûre que très peu de personne, dans la famille de mon père, étaient au courant. Ma mère, pensive, précisa : « Je crois que Claire elle-même ne le sait pas…
– Et tu crois qu’elle ne s’en doute pas ?
– Peut-être, je ne sais pas. Mais tant que rien n’est dit, c’est comme si ça n’existait pas. Cela expliquerait toutefois la raison de tous ses problèmes. »
Je n’ai pas posé plus de questions. L’équation semblait par trop évidente : un enfant + un secret = une souffrance…
(1) Quand je parle de ségrégation, je ne fais pas du tout référence à ce qui se passait aux États-Unis ni à l’apartheid. Je voulais juste dire faire la différence entre deux personnes à cause de la couleur de leur peau. Avant cette conversation, il ne me choquait absolument pas qu’un enfant métis ait des parents blancs… En fait, je m’en foutais royalement… Ça ne me choque toujours pas, mais mon côté concierge peut alors éventuellement prendre le dessus et je me pose des questions 
1. Le mercredi 22 novembre 2006, 00:09 par Dre Papillon
Quelle saga palpitante et si bien racontée
Je veux la suite !
2. Le mercredi 22 novembre 2006, 01:15 par Otir
Moi aussi impatiente de lire la suite. Mais déjà, je rebondis avec des réactions personnelles, parce que ce sont des textes et des réflexions qui résonnent très fort en moi.
J’avais déjà noté moi-même combien les enfants, jusqu’à un certain âge, sont « color-blind » (j’ai noté ça chez mon fils, et l’avait raconté dans un billet ancien – je mets le lien, même si c’est légèrement hors sujet de ton billet, mais un peu quand même blog.tiboo.com/otir/733/C…
En fait, depuis ce billet, mon fils a dû parler un peu plus à l’école de ces questions génétiques, parce qu’il m’a finalement parlé du fait que la sœur de son copain devait être adoptée, à moins qu’ils n’en aient parlé ensemble finalement.
Quant à moi, je note tout de même que notre génération parentale semble tout de même fort heureusement beaucoup moins ostracisante à propos des enfants nés « hors mariage » (ou nés de couples « mixtes »). J’espère que cela aura des effets positifs sur les sentiments de ces mêmes enfants dans leur vie d’adulte.
3. Le mercredi 22 novembre 2006, 10:03 par Anne
Oui, en dehors de ces histoires de familles où « ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal », c’est quand même bien de vivre dans un monde où on peut avoir un enfant de qui on veut, plus ou moins quand on veut, dans ou hors le mariage.
Alors que c’est quand même fou, le métissage, c’est quand deux personnes font un enfant, quelle que soit leur origine, c’est toujours un mélange génétique !
Et puis quelle préoccupation triste, quand même, que de se rassurer en se disant que si si, on est bien mieux que l’autre…
Enfin, ces histoires de dates, de gènes et de familles sont bien joliment racontées ! Vivement la suite !
4. Le mercredi 22 novembre 2006, 13:48 par andrem
Je deviens parano. Mais ces histoires de sang et de père, tu sais comme moi à quel point j’y suis sensible.
Alors je me figure que c’est à moi que tu le racontes, pour me rassurer peut-être.
Donc je continue, et même que je vais participer pour de vrai et sans flemme au jeu. Pas plus tard que bientôt. Et vive les pères qui résistent aux vents contraires comme ils peuvent, sans lâcher prise un jour de laisser-aller. Quand bien même l’enfant ne lui ressemble pas, et ne veut pas de lui comme père.
Ta mère avait probablement quelques préjugés de son époque et de son paysage, mais la clairvoyance de savoir te parler en confiance. Elle aurait pu se défiler devant tes questions, elle ne l’a pas fait, et ce ne fut probablement pas facile sur le coup, d’autant que je te devine en train de la questionner droit dans les yeux sans rire.
5. Le mercredi 22 novembre 2006, 13:52 par Akynou
Andrem : Tu as tout à fait raison pour ma mère. Elle était imprégnée des préjugés de son époque, mais les a combattus. Je suis la fille de ma mère… Un peu moins celle de mon père, puisqu’il m’a reniée…
Peut-être est-ce que je l’écris pour toi, ce racontars. Peut-être 
6. Le mercredi 22 novembre 2006, 14:21 par Amazone
Un vrai bonheur, la lecture de ces deux billets. Moi aussi je connais des gens aux yeux bleus qui ont des enfants aux yeux bruns foncés… Dis t’es sûre de ce que tu affirmes au niveau de l’impossibilité génétique bleu+bleu=brun ? Pas pour faire ma concierge ;-))))
7. Le mercredi 22 novembre 2006, 15:16 par Oxygène
Zut alors ! Mon commentaire a sauté.
Je disais donc: » oui, un enfant= un secret= une souffrance. Qui se transmet de génération en génération tant que le secret n’est pas levé. C’est dire si cette souffrance est profonde. «
8. Le mercredi 22 novembre 2006, 15:53 par samantdi
Tu penses bien que moi aussi je suis fort intéressée par tous ces thèmes… Sans compter que je me souviens avoir suivi le même cours de sciences nat’ que toi, avec le même intérêt. Sûrement l’un des cours qui m’a le plus marquée ! Comme mes deux parents ont les yeux bruns, et moi aussi, ça ne me donnait aucune indication sur mon père (dont je recherchais passionnément l’identité à cette époque!)
Par contre, une autre fois, on avait abordé la transmission du groupe sanguin et là, ô merveille, j’avais pu déduire celui de mon mystérieux père. C’est la première info que j’ai eue sur lui (je ne me souviens plus du tout du raisonnement d’ailleurs, qui m’avait amenée à cette déduction, peu importe).
Moi je pense que la biologie est importante, la transmission génétique ne peut pas, ne DOIT pas être niée. On peut superposer les paternités, on peut donner son nom à un enfant, l’élever, l’aimer, ça n’enlève pas les gênes qu’un autre homme lui a donnés. Il faut accepter cela. On peut même imaginer que par remariage, un troisième père entre dans la vie de l’enfant et ait le droit à sa propre place. Je suis pour la reconnaissance des paternités superposées 
Chaque fois que le médecin me demande quels sont mes antécédents familiaux, je me souviens de mon père biologique et je me sens sa fille au plus profond de moi, dans mes cellules qui peut-être ont hérité de telle ou telle prédisposition. Le fait qu’il m’ait abandonnée et reniée n’y change rien. Pour moi il y a une vérité génétique, elle ne doit pas être la seule vérité, mais elle ne doit pas être gommée non plus. C’est pourquoi je souhaiterais que les enfants aient le droit de connaître leurs origines génétiques (ce qui n’est actuellement pas le cas, dans le cas des dons de sperme par exemple, un procédé dont je n’aime pas beaucoup la mise en œuvre)
9. Le mercredi 22 novembre 2006, 18:33 par Moukmouk
Chez ceux de la forêt, la paternité n’a pas beaucoup de sens. D’accord, ils ont suivi des cours d’éducation sexuelle et on sait que théoriquement le père a un certain rôle, mais culturellement ce n’est pas encore vraiment accepté. Parfois, je me dis que c’est mieux comme cela.
10. Le mercredi 22 novembre 2006, 19:46 par Akynou/racontars
Samantdi : tu te doutes bien que ma petite histoire n’est pas finie 
moukmouk : je ne suis pas d’accord. Enfin, ceux de la forêt, ils font ce qu’ils veulent, mais moi, je me dis qu’il en va des pères comme des mères…
11. Le mercredi 22 novembre 2006, 22:32 par Oxygène
Je n’invoque jamais l’autorité paternelle auprès de mes élèves garçons parce que leur malaise est palpable.
Dans cette forêt ci, les enfants Bushinengés sont donnés à un frère aîné ou à un oncle au moment du sevrage. Ils doivent le considérer comme leur père. Ne pas le faire serait très mal vu et la manifestation d’une grande ingratitude. Le secret n’est donc jamais levé. Or, connaissant la tradition, ils savent que celui qu’ils appellent « père » ne l’est pas. Je suis persuadée qu’ils ne sont pas indifférents à cette situation et qu’ils en souffrent.
12. Le mercredi 22 novembre 2006, 23:32 par Akynou/racontars
Oxygène : c’est tout le problème des gens qui sont entre deux civilisation. S’ils n’avaient qu’un seul repère, leur culture, il en irait sans doute plus sereinement…
13. Le mercredi 22 novembre 2006, 23:34 par Dre Papillon
Françoise Dolto aussi parle beaucoup de ce sujet et c’est ce qui m’a amené à m’y intéresser dernièrement. Elle prône le fait de dire toute la vérité à l’enfant, en particulier si ses origines ne sont pas ce qu’elles semblent être ! Les secrets peuvent causer plus de problèmes et de difficultés qu’on pense…