Toi, tu es ce soleil aveuglant les étoiles ;
Quand tu parles au mourant sa douleur est si douce.
Pour trouver le ravage et tuer l’animal,
Pour trouver le refuge tu es mieux que nous tous,
Nataq.
Je dis que je ne peux rêver la vie sans toi.
J’ai la mémoire des eaux où je me suis baignée.
Maintenant que tu vis, que je rêve à la fois,
Tout mon être voudrait que tu sois le dernier,
Nataq.
Mais je ne veux pas mourir sur ce rocher accore
A la vue des autres, abusée par les dieux.
Il n’y a pas de fleurs pour jeter sur mon corps,
Et qui donc frappera le tambour de l’adieu ?
Je te le redis, je te suivrai dans la fosse,
Mais je veux de la terre, ô Nataq, tu m’entends !
Si cela te convient, si la vie nous exauce,
Nous serons ensemble jusqu’à la fin des temps.
Mais je suis si inquiète, la lumière retarde
Un peu plus chaque jour, ton silence m’opprime.
Ouvre les yeux et vois que les loups nous regardent,
Ils ont déjà choisi le moment, la victime.
Et voilà que s’échappe dans ce ciel obscurci
Le souffle du chaman étranglé de remords.
Vois ! il tremble de peur et ses doigts sont noircis,
Et pendant que je t’aime, il appelle la mort.
Si la mort se hasarde où s’achève le monde
Sois certain qu’elle ne viendra pas que pour lui ;
Cachons bien nos blessures, elle s’en vient pour le nombre.
Ô Nataq bien-aîmé, moi, mon cœur a conclu,
Moi, je meurs de mourir dans ce funeste camp.
Oui, nous sommes perdus comme nul ne le fut,
Oui, nous sommes perdus mains encore vivants.
Ouvre les yeux et vois cette nuée d’oiseaux
A l’assaut de la mer inconnue, où vont-ils ?
Moi je dis que là-bas il y a des roseaux ;
Allons voir, allons voir ; je devine des îles
Où le jour se lève, me nourrit et se couche,
Sur des plumes divines et des cavernes sûres.
Il y aura de l’eau chaude comme ta bouche
Pour accoucher la fille et fermer sa blessure.
A ton signe, à ta voix, recueillis sous tes lances,
Des troupeaux de bisons réclamant sacrifices,
Et quand éclatera la lune d’abondance,
Des orages de fruits pour que vive ton fils.
Ton destin est le mien, nous ne mangerons plus ;
Nous irons frayer aux savanes intérieures,
Et tu t’enflammeras mon désir pur et nu ;
Que je hurle ta joie, que tu craches mon cœur.
Et si par miracle nos prières parviennent
A calmer ces dieux fous que ta douleur fascine,
Je n’accepterai pas que l’un d’eux me ramène
Où j’ai pleuré du sable et mangé des racines.
Je ne retourne pas sur les lieux anciens,
Sous les lois de guerriers débouchant aux clairières,
La mémoire brûlée, le flambeau à la main ;
S’il me faut retourner, je retourne à la mer.
Je suis jeune, Nataq, comme un faon dans l’aurore,
Et la vie veut de moi et voudrait que tu viennes ;
Réveillons la horde, je l’entends qui l’implore ;
Attachons les épaves aux vessies des baleines.
Nous serons les premiers à goûter aux amandes ;
Traversons, traversons, amenons qui le veut.
Aime-moi ! Aide-moi ! Mon ventre veut fendre.
Je suis pleine, Nataq, il me faudra du feu.
Texte et musique de Richard Desjardins, pour Luciole et Moukmouk.
1. Le mardi 5 décembre 2006, 10:37 par andrem
Muet et soufflé.
Je remonte et je relis. Je me tais.
2. Le mardi 5 décembre 2006, 10:38 par luciole
Magnifique ! merci … bises !
3. Le mardi 5 décembre 2006, 11:19 par Akynou
La chanson est sur ma radio blog, ça doit être le deuxième morceau. J’ai changé toute ma radio hier soir…
4. Le mardi 5 décembre 2006, 13:34 par Moukmouk
Je l’avais publié en juillet dernier, c’est pour moi un des grands poèmes de la langue française. Il y a une faute de frappe dans le 3ième vers, c’est ravage et non pas racage… ravage, c’est là où les cervidés se regroupent pour passer l’hiver. Racage?
Nataq c’est aussi Nataq astimité–) celui qui vient de loin.
Merci de faire lire ce si beau texte. J’en pleure à chaque fois.
5. Le mercredi 6 décembre 2006, 14:28 par andrem
Bonjour Akynou.
J’ai un peu attendu, j’ai hésité entre silence et écriture, j’ai hésité entre le salon d’Akynou où chacun se croise et la boîtamêles où la confidence le reste.
Il y eut quelques échanges acerbes liés à des malentendus. Les uns d’avoir été trop désinvoltes dans leur rédaction (second degré impénétrable, mélange des sujets, flou artistique pas du tout artistique et très flou, tout moi, quoi), les autres d’avoir réagi sans discernement tel l’animal ensanglanté devant le chiffon rouge qu’on ne lui tendait même pas, ou d’avoir abondé sans repérer la tension qui montait.
Voilà. Pour ce qui est d’autrui, tout va bien. Pour ce qui est de moi, je dois bien dire ce qui n’allait pas, et je l’ai dit (voir ci-dessus). M’en excuser est un exercice laborieux, mais il est indispensable, si je veux continuer à fréquenter ton salon avec mes sabots de bois.
Le sujet était grave et ne pouvait admettre la désinvolture, même si celle-ci ne pensait pas à mal, et même si son but était justement de dire que le sujet était grave. Je peux le résumer ainsi, mon tord.
Je demande donc à la maîtresse de céans et à ses invités de bien vouloir m’en excuser.
Etre léger dans le grave, voilà la question, et y réussir, voilà le défi.