Sélectionner une page

Il n’était pas loin de 18 heures quand la famille pénétra dans l’appartement où la pénombre commençait à s’installer. les enfants allumèrent la lumière et lancèrent leurs manteaux sur le canapé, ce qui ne manqua pas d’agacer la mère, puis se précipitèrent dans leur chambre.
– Je vous ai dit d’aller au bain, cria-t-elle par habitude.

Elle soupira, enleva son propre manteau et le posa… sur le canapé. Puis elle se dirigea vers la cuisine.
 Un grand cri la coupa net dans son élan.

L’affaire avait commencé quelques mois plus tôt. L’institutrice de la seconde – Rousse – s’était mise en tête d’élever des insectes en classe. Férue de science naturelle, elle cherchait une idée originale : les phasmes envahissaient la classe des maternelle, les poux, la tête des enfants ; une grenouille croassait en CM2 et une souris blanche amusait les cours élémentaires. Pas facile de trouver un créneau.

Mais elle avait surmonté obstacles bien pires. Son choix arrêté, elle entreprit de mettre son plan à exécution. c’est ainsi que Rousse rentra un soir, de l’école, et demanda de la farine à sa mère.
 Celle-ci imagina que la classe se lançait dans la confection de gâteaux. Elle sortit donc un paquet de la réserve et le donna à sa fille.
– Mais il ne m’en faut pas autant ! s’exclama Rousse. La maîtresse a dit : deux cuillerées à café, pas plus.
– Deux cuillerées à café ? Tu es sûre ?
– Oui, à moins que ce soit des cuillerées à soupe. Je sais plus.
– Bon, je vais te donner ça. Mais qu’est-ce que vous allez en faire ?
– C’est pour les sciences naturelles…

La mère mis donc dans un petit bocal de verre les deux cuillerées à soupe réglementaires et en ajouta une troisième pour faire bonne mesure. Si elle avait su, elle se serait abstenue.

Car quelques semaines plus tard, Rousse rapportait le bocal et sa farine. Et l’abandonnait sur la table de la salle à manger.
– Rousse ! protesta la mère. Tu aurais pu jeter la farine et ranger le boc…

Les mots restèrent coincés dans sa gorge tandis que, les yeux agrandis d’effroi, elle regardait le bocal. Deux énormes asticots s’y entremêlaient.
– Roouuuussssse ! hurla la mère. C’est quoi cette horreur !

La gamine, entendant le cri, arriva ventre à terre. Avisant le pot, elle prit un air dégagé pour répondre :
– Ça ? Mais ce sont des vers de farine. Et c’est moi qui les garde pour le week-end.
– Non mais tu vas me jeter ça tout de suite. Je ne veux pas de ces trucs immondes à la maison.
– Maman ! on les élève en classe. C’est pour les sciences naturelles…

Elles ont bon dos les sciences naturelles, marmonna la mère en tendant le pot à sa fille. Elle ajouta :
– Fais-moi disparaître ça. Je ne veux pas les revoir. Je n’en veux ni dans ta chambre, ni dans le salon, ni dans la salle à manger et encore moins dans la cuisine. Allez ouste !
– Et dans la salle de bains, je peux ?
–
Disparais, et débrouille-toi. Je ne veux pas les voir.

On ne sait comment Rousse se débrouilla, mais effectivement, la mère ne revit les vers que le lundi matin, avant de partir pour l’école. Puis elle n’en entendit plus parler.

Un mois plus tard, Rousse commence à lui faire des mines.
– Toi, tu as quelque chose à me demander…
– Maman, tu sais, à l’école, on a des insectes. Et je voudrais tellement en avoir un à la maison. Comme ça je pourrai l’observer avec mon kit d’insecte.
– Ah ! tu ne vas pas me ramener ces affreux asticots. Beurk. Quand j’y pense, j’en ai la chair de poule.
– Mais non ! Ce ne sont plus des vers de farine, ce sont des ténébrions.
– Des ténébrions. Qu’est-ce que c’est que ce truc encore…
– Ce sont comme des scarabées. Ils sont tellement mignons. S’il te plaît, dis oui, maman. Allez, s’il te plaît, s’il te plaît.

Rousse sut se montrer persuasive. Et puis elle n’avait pas tant de passions que cela. Le vendredi soir, elle arriva avec deux bestioles, pas particulièrement jolies, mais pas repoussantes non plus. Les choses se corsèrent quand la fillette se mit en tête de les installer dans sa chambre, le plus près possible de son lit. Voire dedans.

« Mais elle est complètement jetée ! s’exclama la grande sœur quand elle découvrit le plan de la cadette. Il est hors de question que je dorme dans la même chambre que ces bêtes. » Elle fit mine de les sortir de la pièce ce qui provoqua une colère vibrante de désespoir chez Rousse.
– Mais enfin, ma puce, lui dit sa mère. Tu ne vas pas dormir avec eux quand même.
– Je veux rester avec mes ténébrions, sanglotait la petite. Je dois les surveiller. Ce sont mes ténébrions !

De guerre lasse, la mère et la grande sœur cédèrent.
– T’as intérêt à ce qu’ils ne se fassent pas la malle, menaça cette dernière. Sinon, je les écrabouille.
– Evite ce genre de propos, tu veux…, lui glissa la mère à l’oreille. Je ne tiens pas à revivre la grande scène 3 de l’acte 1.

Le lendemain, on installa le couple de ténébrions dans une cage spéciale pour insectes que Rousse avait reçue pour son anniversaire et qui lui permettait de les observer à loisir. L’après-midi, toute la famille partit en vadrouille. C’est au retour qu’eut lieu le drame.

Au cri de sa fille, la mère se précipita dans la chambre. Elle y trouva Rousse, en larmes, tenant comme une poupée la maison des ténébrions.
– Ils ont disparu, hoqueta-t-elle.

Les portes de la cage bleue étaient pourtant bien fermées. Il n’y avait pas un trou dans la moustiquaire, pas un espace par où auraient pu se faufiler deux scarabées en cavale. Et pourtant, ils s’étaient volatilisés.
Et à ce jour, nul ne s’explique comment ils ont bien pu faire pour jouer les filles de l’air.

Mais il y en a une qui prie le ciel pour que, de la chambre, ils ne trouvent jamais le chemin de la cuisine et pour que, surtout, ils ne se reproduisent pas.

1. Le mardi 6 février 2007, 02:46 par Karaba (la vraie!)

Si tu crains une invasion de ces petits coléoptères, demande à Oxygène de t’envoyer un specimen de théraphosa leblondi. C’est un puissant insecticide!

2. Le mardi 6 février 2007, 09:00 par Anne

Pouark… ohlala je n’ose même pas imaginer le drame. Regards paranos tout autour de moi pour vérifier s’ils ne sont pas là… non ça a l’air d’aller…

3. Le mardi 6 février 2007, 12:17 par luciole

Ténébrions, comme leur nom l’indique, se fondent dans les ténèbres … héhéhé… Brrrr… olala que j’aimerais pas ça…

4. Le mardi 6 février 2007, 12:35 par Akynou

Karaba : je me demande si le remède ne serait pas pire…
Anne : Déjà que nous avions un élevage de poux, là, je crise…
Luciole : pour la petite histoire, nous en avons retrouvé un qui est retourné illico presto à l’école, avec son cartable bien sûr ;-) Mais l’autre est toujours dans la nature. enfin, dans la nature…

5. Le mardi 6 février 2007, 13:20 par Moukmouk

Quelques précisions: 1) sans les vers à farine qui fournissaient les protéines, les voyages des grands explorateurs (Colomb, Vespuci, Cartier etc.) n’auraient pas été possible. 2) les ténébrions sont effectivement très gentils. 3) grillés et trempés dans le chocolat c’est absolument délicieux.

6. Le mardi 6 février 2007, 13:50 par Akynou

On va dire ça à Rousse : si je trouve le ténébrion, je le bouffe :-)

7. Le mardi 6 février 2007, 14:27 par Traou

Je subodore le début d’une grande saga :

– Ténébrion II – le retour (et il n’est pas content)
– la vengeance des ténébrions
– le fils du ténébrion
– le ténébrion et les ténébrionnettes…

8. Le mardi 6 février 2007, 17:28 par Oxygène

Je ne sais pas à quoi ressemblent les ténébrions, en revanche, samedi, j’ai rencontré un phasme de plus de 30 cm qui s’est installé sur mon bras…Je n’ai pas supporté ses chatouilles. Est-ce que les ténébrions font des chatouilles ?

9. Le mardi 6 février 2007, 17:38 par Akynou

Je ne sais pas… Je ne les ai pas touché. Ils ont l’air petits et fragiles…

10. Le mardi 6 février 2007, 17:49 par labosonic

Très maligne, la gamine qui oublie (par inadvertance of course ;) ) de dire à sa maman que le ténébrion et le ver de farine ne sont qu’une seule et même espèce.

11. Le mardi 6 février 2007, 18:01 par Akynou

Oh, mais elle l’a dit, à sa manière. C’est la maman qui n’a pas compris sa phrase dans le bon sens. « ce ne sont plus des vers… » :-)