Lou était là et bien là. Et entre ses deux pères. Celui qui l’avait conçue avec moi et celui qu’elle avait choisi, parce qu’en définitive, c’est bien elle qui l’a choisi…
Le Nôm est reparti en Guadeloupe, j’étais encore à la clinique. Les séparations sont pénibles. Celle-ci le fut particulièrement. Pour lui plus que pour moi, qui avait mon bébé. Lui, il laissait tout. Et je pense qu’il craignait un peu la proximité de J.. Je me souviendrai toujours de son premier coup de téléphone, le soir de son arrivée. J’entendais les bruits de la nuit caribéenne, le chant des grenouilles et ses larmes dans la voix. Mais nous devions nous revoir très vite. J’avais déjà mon billet d’avion pour le rejoindre le mois suivant.
A la mi-février, j’ai donc pris place dans le Paris Pointe-à-Pitre d’Air Hexagone. Les charters et les petites compagnies pas chères, avec un bébé d’un mois et demi, je préférais éviter. Je voyageais seule avec Lou, je voulais un minimum de confort. C’était assez génial d’ailleurs, parce que tout le monde, hôtesses comme passagères, craquaient totalement pour mon bout-de-chou et se disputaient le droit de la prendre dans les bras. J’ai toujours été partageuse et j’étais sûre que personne n’allait partir en douce avec. J’ai pu manger, me déplacer, vaquer à mes petites occupations sans soucis, je n’abandonnais pas la petite chérie sur mon siège.
A l’approche de l’aéroport, je sortis le biberon prévu pour la faire téter et lui éviter le mal d’oreille dont moi je souffrais systématiquement. Il fut inutile, Lou s’endormit dans mes bras et ne se réveilla que sur le sol guadeloupéen. J’ai connu des bébés plus emmerdants en voyage. Elle, c’était déjà une crème.
La petite dans le kangourou, je récupérais tant bien que mal mes bagages nombreux et me dirigeais vers la sortie où devaient m’attendre le Nôm et un de ses copains d’enfance. Ils étaient bien là tous les deux, presque aussi heureux de me voir l’un que l’autre. C’était touchant. Le Nôm prit Lou dans ses bras qui lui fit un grand sourire. Il était tellement ému. Elle avait tellement changé…
Son copain s’en saisit à son tour et commença à lui donner des « choubouloutes » et autres petits noms créoles. Elle le regarda droit dans les yeux, fronça les sourcils et se mit à hurler aussi fort que ses poumons le lui permettaient. Elle ne se calma que dans les bras du Nôm, fier comme Artaban. Un mois et demi après, elle l’avait reconnu. Il était son père, il l’avait toujours su…
La même scène s’est reproduite à peu de choses près six mois plus tard. Lou et moi étions rentrées à Paris où le Nôm nous rejoignit en juillet pour deux mois. Nous avons été le chercher à l’aéroport. Cette fois-ci, j’étais à l’heure. La petite dans sa poussette, face aux arrivants. Elle regardait la porte s’ouvrir, se refermer, les gens passer sans émotion particulière. Puis ce fut lui. Elle se mit à se tortiller dans sa poussette, à agiter ses mains dans tous les sens, à l’appeler. Là encore, malgré une séparation de plusieurs mois, malgré son très jeune âge, elle l’avait reconnu.
Il est son père. Elle n’en a pas d’autre…
Evidemment, dans ce genre d’histoire, se pose la question de ce qu’on va dire à l’enfant. Je ne me sentais pas d’attendre qu’elle grandisse pour lui asséner un jour LA vérité sur sa naissance. Non seulement, je ne le sentais pas, mais je ne l’imaginais pas non plus. Imaginez la scène : j’attends le moment adéquat (et comment on le reconnaît, ce moment ?), je lui prends la main et je lui dis : « Tu vois ma chérie, ton papa n’est pas ton papa, mais c’est ton papa quand même. » Outre le ridicule absolu de la phrase et de la situation, vous réalisez la claque que cela représente pour une enfant et quelle confiance en l’adulte elle peut avoir après pareille mésaventure ? Or, la confiance est, pour moi, le socle de l’éducation. Je veux que mes filles sachent que, quoi qu’il arrive, elle peuvent me faire confiance parce que je suis fondamentalement honnête avec elles. Enfin, j’essaie. En tout cas, c’est avec elles que je le suis le plus. Et pour en arriver là, le meilleur moyen n’est pas de commencer notre relation sur un mensonge, même par omission.
Et puis je ne suis pas sûre que ce soit bien démarrer sa vie que de prendre son père pour ce qu’il n’est pas. Ainsi, par exemple, je croyais que, pour le mien, la famille, le clan, était le socle de la vie, de sa vie. Quand on y pense, quelle rigolade. Cela me fait penser qu’il m’a donné une lettre à la naissance de Lou, à lui remettre à sa majorité. Je l’ai lue. Un truc dégoulinant de bons sentiments comme il savait si bien le faire. Et qu’à l’époque, j’avais trouvé touchante. Je l’ai gardée. Je ne sais pas du tout si je la remettrai à ma fille plus tard. Pas sans une bonne explication de texte en tout cas.
Mais alors, comment faire ? Le plus simplement du monde. Lui raconter son histoire dès sa naissance. D’abord, c’est nettement moins intimidant de raconter certains trucs à un bébé qu’à une enfant, ou pis, une ado. Et la raconter à toute la famille. Que tout le monde soit au courant. Que Lou puisse en parler, s’il elle en éprouvait le besoin à d’autres personnes. Que ce soit une évidence. Une question que l’on n’a plus à se poser. Et quand elle est entrée à l’école, j’en ai également parlé à ses instituteurs. Et ne jamais se dérober à ses questions. Ce qu’elle n’a pas manqué de faire. Mais c’est mieux, c’est plus facile.
Bon, ça n’a pas été forcément simple tous les jours…
(…/…)
&; Le jeudi 22 février 2007, 21:04 par Anne
Quelle belle histoire en tout cas que ce choix d’un bébé de son papa. On dirait qu’elle ne s’est pas trompée, en tout cas.
2. Le jeudi 22 février 2007, 21:06 par a n g e l
ben je trouve que tu as très bien fait
dans une autre situation, au fond semblable, ma tante a toujours dit à mes cousines qu’elles étaient adoptées, alors qu’elle les a eues à la naissance et pouvait garder le secret… Toute la famille était au courant, tout le monde en parlait librement si l’occasion s’en présentait, et les filles l’ont toujours su, depuis le départ. C’est mieux. Les révélations, c’est trop pas possible.
Après, oui, il y a manière et manière de vivre la « chose », l’une des deux l’a toujours accepté pleinement et sereinement, l’autre était plus inquisitrice…
(uhuhuhuhuh moi aussi je suis très prêteuse en bébé, d’ailleurs j’en ai un dans le bidon, je cherche quelqu’un qui veuille bien le garder encore un petit mois à ma place, voire deux?)(quoi??)
3. Le vendredi 23 février 2007, 08:36 par luciole
Angel: oui, moi aussi j’aurai bien aimé la prêter un peu vers la fin de ma grossesse ;-)).