Sélectionner une page

La suite
Je suis avec intérêt ces couples homosexuels qui ont des enfants et qui n’arrivent pas à faire reconnaître la parentalité des deux. J’espère qu’ils obtiendront justice, parce que leur préoccupation, je l’ai eue, leurs angoisses, je les ai vécues. Je voyais sous mes yeux l’amour de ma fille pour son père et l’amour de mon Nôm pour sa fille. Mais je me disais que s’il m’arrivait quoi que ce soit, cette relation là risquait d’être détruite. S’il m’arrivait un accident, si je disparaissais, mon enfant risquait de perdre à la fois sa mère et celui qu’elle considérait comme son père. Car même si ma famille aurait sans doute été compréhensive, il n’avait pas le droit légal d’élever l’enfant. J’en ai passé des heures et des heures à remuer cette idée dans ma tête. Et le Nôm tout autant que moi.

Evidemment, on aurait pu faire semblant. Le Nôm aurait pu reconnaître Lou pour sa fille à sa naissance et ni vu ni connu je t’embrouille. Sauf que. Ça ne marche pas comme cela. D’abord parce que J. ne l’aurait pas accepté. Ensuite parce qu’on ne bâtit pas la vie d’un enfant sur un mensonge, fusse pour son bien. Mais contrairement aux couples cités plus haut, nous avions une solution. L’adoption.

La première étape fut de nous marier. Nous savions, grâce à des amis qui étaient passé par là auparavant que, vu le peu d’années de vie commune que nous comptions ensemble, nous n’obtiendrions jamais gain de cause. C’est enceinte de Garance (mais je ne le savais pas encore…) qu’un matin de janvier, je fis ma demande à mon futur mari qui s’empressa de m’accorder sa main. Ce fut un très joli moment. Nous avons fixé la date en juillet. Parce que la maman du Nôm voulait être de la fête. Et puis juillet, c’est un bon mois pour se marier…

Puis je suis allée voir un de mes amis avocats, pour un conseil. Quand je lui ai vidé mon sac, il a eu un petit sourire et m’a dit : « Tu n’oublieras pas de faire appel à moi pour réclamer une pension alimentaire si vous vous séparez. » Sur le coup, j’ai trouvé les propos un rien cavaliers. Puis j’ai compris. La démarche que nous entreprenions n’était pas réversible (contrairement à une reconnaissance) et quelles que soient les vicissitudes de notre couple, la paternité du Nôm serait inaliénable et il faudrait qu’il l’assume jusqu’au bout.

J’avais en fait deux solutions. Soit une adoption plénière. Toute la vie sociale de Lou avant cette adoption serait oubliée, J. serait effacé définitivement, elle changerait de nom pour prendre celui du Nôm. Soit l’adoption simple, où elle resterait née de sa mère et de son père biologique, mais adoptée par son père nourricier.

La première solution ne me plaisait qu’à moitié. A cause de l’effacement. On masquait ce qui avait été, et restait après tout une belle histoire d’amour. Et puis j’étais à peu près sûre que J. serait contre. Bon, il est vrai qu’à cette époque, il avait un peu disparu de ma vie. Je pouvais faire comme s’il n’existait pas. Mais qu’il réapparaisse et manifeste son désaccord et tout tombait à l’eau. et je ne trouvais pas ça loyal.

Restait la seconde solution. Qui me plaisait bien. Je n’étais pas toute seule à décider. Je repartais donc à la maison avec mes précieuses informations pour faire mon rapport au Nôm. Qui se rendit à mes arguments. De toute façon, lui, la seule chose qu’il souhaitait, c’était de devenir le père de Lou, d’enlever cette épée de Damoclès. Peu lui importait la manière.

Me restait à retrouver J., à l’informer de notre projet et à obtenir son consentement. C’est-à-dire qu’il accepte de renoncer définitivement à toute paternité sur Lou. Je l’appelais donc, nous avons pris rendez-vous et, dans un restaurant japonais, je lui déballais toute ma salade : mes angoisses pour ma fille, la relation unique qu’elle avait avec le Nôm, ce lien que je ne voulais pas qu’il soit défait par un accident de la vie. Il m’écouta en silence. Je détaillais : s’il était d’accord, il fallait qu’il reconnaisse Lou (je lui avais demandé de ne pas le faire tout de suite, sachant que cela comporterait un volet financier pour lui et il n’avait pas du tout insisté), puis qu’il fasse un document devant le tribunal d’instance de sa ville déclarant qu’il renonçait à son autorité parentale en faveur du Nôm. J’ai ajouté, magnanime, qu’il avait le temps d’y réfléchir.

Sincèrement, j’avais cette idée en tête, elle était pour moi vitale et je crois que j’aurais été abominable avec quiconque aurait tenté de se mettre en travers de mon chemin. Je voulais que ça se passe, de toute mes forces. Je savais qu’il me faudrait de la patience. Le temps n’avait pas d’importance, je n’avais pas l’intention de décéder dès le lendemain. Mais j’étais déterminée, concentrée sur mon objectif. Je crois n’avoir jamais été aussi convaincante de ma vie. Personnellement, je me soûlais. Tous ces mots alignés les uns derrière les autres, ne voulaient plus rien dire. Mais je devais parler, et encore parler, expliquer, rassurer.

J’ai revu J. plusieurs fois. Et puis il a disparu dans la nature, un certain temps. J’avais de mon côté des noces à organiser. Ce fut une jolie fête. Moi enceinte jusqu’aux yeux dans ma robe verte. Le Nôm si élégant dans son costume gris, la famille, les amis… C’était joyeux et sans prétention.

1. Le samedi 24 février 2007, 09:33 par Erin

J’aime cette histoire. Pour l’amour qui s’en dégage de la part de tous. Pour la force que tu nous montres… et qui ne fait que me renforcer de l’image que j’ai de toi. Et ça me plait beaucoup.

J’attends avec impatience chaque nouvel « épisode ».

2. Le samedi 24 février 2007, 15:59 par samantdi

Même si « techniquement » la solution envisagée est la plus complexe, c’est aussi la meilleure, car elle permet à chacun d’être à sa place, ni plus ni moins.

Mais quelle énergie il t’a fallu déployer, on ne peut pas dire que les choses te sont tombées toutes cuites dans le bec !

:-)

3. Le lundi 26 février 2007, 09:27 par Anne

C’est drôle que tu écrives ce billet pile dans un jour où, pour des choses de moins de conséquence, mais quand même, je suis en train d’essayer de déplacer des méga-tonnes de persuasion et quelques montagnes.

Dis donc, ça doit la faire rigoler, Lou, quand elle entend « on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille »… ;-)

4. Le lundi 26 février 2007, 23:01 par Chondre

Quelle histoire. Pas grand chose à commenter finalement, sauf que tout est si tendrement raconté. Et oui, « on ne bâtit pas la vie d’un enfant sur un mensonge, fusse pour son bien ». Tout le monde n’a malheureusement pas la même philosophie.

5. Le samedi 3 mars 2007, 17:55 par avanaé

Ah oui , j’adore cette histoire , et comme tu la racontes !!! Lou doit l’aimer aussi …Non ?