Mardi 23, nous étions un certain nombre à aller faire notre baptême de Wagner. Nous n’en avions jamais vu aucun. En écoutions peu. Personnellement, ma seule expérience avec été la Trilogie (en fait quatre opéras), donnée à Bayreuth sous la direction de Chérault, regardée à la télévision (avec le son de France Culture cependant), et que j’avais beaucoup aimée. La mise en scène et Bayreuth y faisaient beaucoup. Je n’avais jamais eu la curiosité d’écouter un de ses opéras en disque. Personne n’aime Wagner dans mon entourage, pourquoi aurais-je été différente ? Mais quand Kozlika nous a proposé d’aller voir Lohengrin à Bastille, j’ai aussitôt répondu présente. Et je ne le regrette pas.
Bon, l’histoire est assez abracadabrantesque. Mais ce n’est pas unique dans l’histoire de l’opéra. Elsa, une pauvre orpheline, héritière du duché de Brabant, est accusée par un sale traitre, Frédéric de Telramund, poussé par sa femme Ortrud, d’avoir fait disparaître son petit frère pour donner le trône à un hypothétique amant.
Elsa demande à Henri, le roi des Allemands, de subir le jugement de Dieu qui prouvera, en venant à son secours, qu’elle est pure et innocente. Elle promet sa main et son duché à celui qui viendra la défendre. Et le miracle s’accomplit. Un chevalier, tiré par un cygne, arrive sans se presser, avec sa cape et sa grande épée. Il accepte de se battre pour elle puis de l’épouser à la seule condition qu’elle ne demande jamais qui il est. Ce qu’Elsa accepte. Et on la comprend. Tant qu’à se faire pendre… Le preux chevalier estourbit en un tour de main le méchant au grand dam de la belle Ortrud, qu’on entend peu mais qu’on voit beaucoup, une sale intrigante.
Au deuxième acte, Telramund et sa femme ourdissent leur vengeance. Ortrud, qui en appelle à Wotan et Freia, deux figures du panthéon allemand, décide de rentrer dans les bonnes grâces d’Elsa pour lui mettre dans la tête qu’elle doit absolument demander à son époux son nom. On ne sait jamais, et si c’était une racaille. Après tout, il vient de l’étranger… Elsa refuse mais, bien sûr, le doute s’installe et elle craque au troisième acte. Lohengrin révèle qu’il est en fait chevalier du Graal, fils de Parsifal mais il ne peut rester dans un endroit où on connaît sa véritable identité. Il doit alors partir. Son cygne vient le chercher. Ortrud rigole en disant que c’est en fait le frère d’Elsa qu’elle a transformé en volatile. Lohengrin, avant de partir, rend forme humaine à l’enfant. Et paraît-il, mais ce n’est pas très clair, Elsa meurt de désespoir.
Le décor, un blockhaus, est lugubre à souhait. Heureusement, la mise en scène en tire facilement son parti. Les costumes sont de Donald Cardwel. Je me gausse ? Mais non. C’est juste que, peut-être, on aurait pu aller un peu plus loin, pour représenter l’Allemagne wagnérienne qu’un blockhaus et des tenues datant des années quarante. Juste si on pouvait sortir de la dernière guerre mondiale.
Et encore, tout cela ne serait rien si, dans toute cette modernité, on n’avait pas décidé de garder des éléments de la mythologie, soit les épées, les cuirasses. Ainsi, au dernier acte, quand les hommes qui se préparant à partir à la guerre, ouvrent les planques à munitions, on s’attend à ce qu’ils en sortent des fusils qui iraient avec leurs costumes (genre Humphrey Bogard dans Casablanca). Eh bien non, ils en sortent des épées et des cuirasses qu’ils enfilent derechef sur leur gabardine. C’est très seyant et pas du tout ridicule.
J’ai par contre beaucoup aimé le reste de la mise en scène, les mouvements de foule (incroyablement nombreuse), la mise en valeur des duos par presque rien. Ainsi, au second acte, Telramund est sur scène bien avant la reprise. Il tutoie de près une bouteille et, de son pas hésitant, parcours l’espace, attendant la reprise. Puis il allumera un feu qui éclairera tout son duo avec sa femme. Plus largement, cette mise en scène me fera avaler toutes les pilules du spectacle. Y compris le cygne, kitsch à souhait, qui avançait par a-coup. Sans doute des problèmes de moteur… Un beau travail, donc.
La direction d’orchestre, pour autant que je puisse en juger, était plutôt excellente. Mais j’ai toujours trouvé l’orchestre un peu trop présent chez Wagner. Les chanteurs doivent se battre pour se faire entendre. Et pour ces derniers… Eh bien, c’était très inégal. Le roi Henri était interprété par Jan-Hendrick Rootering, une basse dont je serais bien incapable de dire si elle était bonne ou pas vu que je ne l’entendais pas. Au début, j’ai mis cela sur le compte de mon placement, (au fond du parterre, sous le balcon). Mais les autres voix passaient bien, elles. Comme personne n’en parle, je suis incapable de dire si c’était accidentel ou habituel. Mais c’était une pitié, de tendre l’oreille, pour essayer de l’écouter.
J’ai aimé tous les autres. Ben Heppner n’avait pas le physique de Lohengrin, mais je l’ai tout de même trouvé très convaincant, notamment lors du duo avec Elsa au troisième acte, quand il tente de l’empêcher de lui poser la question fatidique. Et lorsqu’il s’en va. Belle voix, pleine, riche, pleine de couleur. Elsa, en comparaison, est évidemment plus fragile. La voix de Mireille Delunsch est belle, certes, mais elle manque de tempérament. Ce qui colle bien au rôle dans les deux premiers actes, beaucoup moins au début du troisième. Notamment dans ce duo avec son époux où elle manque de folie et de démesure. C’est joli, mais c’est planplan. A sa décharge, elle avait été annoncée comme malade avant que l’opéra ne commence.
Rien à voir avec la rousse Ortrud. Un personnage conséquent, qui représente les temps anciens. Fille des précédents maîtres du Brabant, elle joue les sorcières dans la forêt et rumine sa vengeance contre les temps modernes. Elle en appelle à Wotan et Freia. Elle incarne le passé de l’Allemagne vaincue, mais toujours présente et qui ne demande qu’à renaître. Et à empêcher la montée de la chrétienté du Graal et de ses chevalier : les Barbares contre les croisés en quelque sorte. Wagner reprendra constamment ce thème dans ses opéras postérieurs.
Waltraud Meier, qui l’interprète, est vertigineuse. Dans le premier acte, elle ne chante que lors des chœurs, elle n’a aucun solo, mais on n’entend qu’elle, on ne voit qu’elle. Elle a une présence scénique phénoménale. Au deuxième acte, quand elle suggère les voies de la vengeance à son mari et complice, elle est impressionnante de rage, de frustration, de roueries, de méchanceté. Une voix pleine, qui vous met les poils au garde à vous, vous inquiète. Très grande dame. Du pur bonheur. Si jamais je me décidais à acheter quelques CD de Wagner, je veillerai à ce qu’elle y figure en bonne place. Elle a beaucoup chanté à Bayreuth, notamment le rôle de Sieglinde dans la Walkyrie
Son compagnon sur scène, le Français Jean-Philippe Lafont n’est pas mal non plus. Belle voix de baryton, sûr de lui dans le premier acte, désespéré et méchant dans le second, pitoyable dans le troisième, victime consentante de sa femme. Il est une comte de Telramund absolument magistral.
Tout ça a duré quatre heures et demi. Le premier acte m’a paru long comme un jour sans pain. Il y avait des passages passionnants, et d’autres, soporifiques, ceux dans lesquels chantait le bon roi Henri. J’ai même failli m’endormir. Heureusement, les envolées des chœurs m’en ont empêché. Au premier entracte, nous sommes sorties, Vroumette, sa copine Marie et moi pour nous acheter un petit sandwich au bar de l’opéra. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas donné. Il faut compter quelque 6 euros pour le sandwich club de base et presque autant pour une bouteille d’eau de taille ridicule. Je connais des endroits où, pour ce tarif là, on fait un repas pantagruélique.
Retour dans la salle pour le deuxième acte, je n’ai pas vu le temps passer. Je ne sais pas si cette partie est moins longue que la première, c’est l’effet qu’elle m’a fait en tout cas. Je n’ai piqué du nez à aucun moment. Deuxième entracte, pipiroom pour tout le monde. Les 25 cl d’eau chèrement acquis au premier entracte sans doute. Pour une salle de cette taille et somme toute plutôt moderne, c’est peu dire que les toilettes sont en nombre insuffisant. Surtout celles pour dame. La pause suffit à peine pour écouler tous les besoins. Et je plains les malheureuses qui ont encore dix personnes devant elles quand sonne la cloche.
J’imagine que certaines étaient très pressées car, dans les WC qui m’échurent, on faisait aussi piscine. J’avais mon sac et mon gilet à la main, plus le programme et un autre livre. Je ne pouvais rien poser à terre, il n’y avait pas de porte-manteau. J’ai fini par caler le pull sur le dévidoir de papier en priant le ciel qu’il ne tombe pas, les bouquins sur le tuyau d’écoulement de la cuvette en croisant les doigts pour que je ne les mouille pas et j’ai gardé mon sac en bandoulière en espérant que son poids ne le fasse pas tourner, provoquant un déséquilibre, donc une mauvaise visée et une chute de gilet… Tout s’est bien passé et je suis sortie de là en chantant victoire sous le regard impavide d’une octogénaire décatie. Il y en a quelques unes, pas toujours charmantes, dans les habituées.
Mais en règle général, j’aime bien le public de l’opéra. Il y en a pour tous les goûts. Des chiquissimes, des baba cools, des jeunes hommes très propres sur eux, des jeunes executive women, quelques très rares enfants (surtout pour Wagner et ses quatre heures et demi), de vieilles rombières et d’autres qui ne le sont pas, rombières. Des vieux beaux, des jeunes laids et des folles… Mais en règle général, on sent que ce public aime ce qu’il vient voir. Il n’est pas là pour la galerie, pour faire bien, parce que c’est dans le package (il faut se les faire, tout de même, les quatre heures trente) et si pour certains c’est la première fois, c’est une découverte pleine de curiosité. Non, il n’y a rien de guindé dans ce temple-là et si vous piquez la place de quelqu’un d’autre par inadvertance (oui oui, je me suis égarée), on vous le fera savoir sans morgue et dans un sourire.
Quand je suis sortie, j’ai raconté à Bladsurb que j’avais failli m’endormir au premier acte. « C’est parce que tu n’avais pas ton appareil photo pour te tenir éveillée », s’est-il moqué. Mon appareil photo, peut-être pas, mais mon téléphone, oui…