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Six heures du matin samedi, c’est l’heure à laquelle je dois aller la chercher, de retour de colonie de vacances. Elle m’avait appelée régulièrement pour me raconter des petits et des grands trucs. Elle m’avait plus parlé des chevaux blessés par un stagiaire que du fait qu’elle était devenue jeune fille. Qu’on puisse agresser ces animaux à coups de couteaux la révoltait et lui semblait bien plus important que tout le reste. Elle n’avait pas vu que ce garçon-là souffrait fort probablement beaucoup. A 12 ans et demi, c’est normal. On est plus BB qu’Abbé Pierre… Mais après, si on ne s’appelle pas BB, on grandit.

Six heures du matin donc. Ce n’était pas une heure pour un week-end. Je passe mon temps en ce moment à me lever aux horreurs pour envoyer mes filles en colo ou aller les récupérer. Le ciel rosissait à peine quand je suis sortie de la maison pour prendre le métro. Petite clientèle, ceux qui vont bosser, ceux qui vont dormir et puis les autres, qui vont prendre un train ou en attendre un autre. Arrivée gare d’Austerlitz, juste dans les délais, je commence à remonter le train à la recherche d’un groupe de jeunes hirsutes dégringolés de leurs couchettes. Ils sont nombreux, ah, non, ceux là sont un peu grands. Je fais dans la pré-ado, pas encore dans l’adolescent dégingandé et cool… Quoi que, physiquement, la différence commence à se réduire.

Evidemment, ils sont tout au bout du bout du quai. Je le sais parce que je la reconnais. J’ai une excellente vue de loin. Elle est là avec son pull rouge, son port de tête. Mince, qu’est-ce qu’elle fait cool. Elle a encore grandi. Je suis toute excitée de découvrir ma petite jeune fille. Elle m’aperçoit à son tour. J’ai comme un pressentiment, un pincement. Il y a peu de temps encore, elle m’aurait sauté dans les bras en faisant des grands bonds et en criant « Maman ! » si fort que j’aurais un instant cherché un arbre derrière lequel me planquer : « Cette fille, là ? non, je ne la connais pas. »

Je plaisante, ces retrouvailles m’ont toujours fait plaisir. Je m’y prépare d’ailleurs depuis quelques minutes. Mais au lieu de ça, elle avance vers moi lentement, les mains dans les poches. Elle se perd encore dans mes bras, mais elle est un peu ailleurs… Elle s’étonne que je puisse être émue. « Mais tu m’as manquée », bafouille-je. Elle ne sourit pas. Je l’accompagne jusqu’au milieu du groupe. Je sens qu’il faut que je me calque sur son attitude, cool. Tout va bien. Il n’y a pas de lézard.

Enfin, si, elle fait quand même un peu la tête. Je finis par lui demander si ça va. « Ben tu vois… » Non, évidemment, ça ne va pas parce que c’est la fin de super vacances et qu’elle va quitter un super groupe. D’ailleurs, de nombreuses petites jeunes filles se jettent à son cou pour lui faire la bise et lui dire au revoir. Et puis un garçon. Hohohohoho ! Alors là, c’est sûr, il y a du changement. Cette manière de se prendre dans les bras, je la connais. Mais c’est la première fois que je la vois chez elle. Ma parole, elle est amoureuse !

Les deux se séparent en laissant leur main trainer derrière eux. Déjà, le bout de leurs doigts se quittent. « j’t’appelle…
– oui.
Ce sont leurs seuls mots. Cool, forcément.

J’entraîne ma fille vers la file des taxis lesquels me semblent mieux correspondre à son nouvel état d’esprit (et à ma fatigue). Elle n’est pas très disert, scrute les alentours pour voir les membres de son groupe partir un à un. Mais pas le jeune homme qui a dû sortir de l’autre côté.

Nous traversons Paris presque en silence. J’observe cette quasi inconnue qu’il va me falloir apprivoiser. Les vieux trucs ne marchent décidément plus. En attendant, le brouillard tombe sur la ville et on n’y voit goûte. A la maison, nous nous préparons un petit déjeuner. Elle chipote, l’air ailleurs. Puis elle s’installe sur le canapé et pleure. Elle va pleurer toute la matinée. Je laisse faire. C’est son premier amour. Mais en même temps, ça m’agace : ces deux-là ne sont pas séparés par 8 000 kilomètres. Lui n’habite même pas de l’autre côté de Paris.

Une amie, que nous allons visiter l’après midi, lui suggère d’appeler ses copains de colo le soir-même et d’organiser l’après-midi du lendemain. L’amie a une grande de 19 ans et un gars de 13, ça aide à avoir les bonnes idées. Pour la première fois de la journée, je la vois sourire, je retrouve l’étincelle de son regard.
Nous faisons des courses. Je lui achète quelques soutien-gorge, les autres sont déjà trop petits. Puis nous rentrons.

Elle s’enferme dans ma chambre pour téléphoner. Je n’ai évidemment pas le droit d’entrer. J’entraperçois ce que cela va donner dans quelques mois. Elle organise le lendemain. Je lui fais des propositions pour le jour suivant. Elle est super contente que je sois si compréhensive. Je lui rappelle qu’elle est encore en vacances et que ce ne sera peut-être pas toujours le cas. Elle sourit. Elle comprend encore tout. Mais pour combien de temps ?

Le lendemain, je la laisse filer au cinéma avec sa nouvelle bande. Mais je n’accepte pas qu’elle aille dîner avec eux au MacDo. Elle doit rentrer à 19 h 15. Je ne vais quand même pas tout lâcher la première fois. Il faut que je continue à jouer à l’adulte responsable. Elle arrive à 19 h 20 en s’excusant de son retard et se précipite à la fenêtre pour voir son amoureux qui est en train de taper la discute avec les autres copains en bas de la maison. Ils n’ont pas l’air de vouloir bouger. Elle me demande si elle peut redescendre. Allez, va…

Elle est assise sur ses genoux, ils parlent (eh oui, j’ai regardé de temps en temps, c’est ma fille tout de même). Ils n’ont même pas l’air de s’embrasser. Par contre, ils se font de grandes déclarations. Quand elle remonte enfin, parce que la nuit tombe et qu’il est plus que l’heure de dîner, elle se penche une dernière fois à la fenêtre. Il lui envoie des baisers et des « je t’aime ». Un vrai Roméo. Elle est sa Juliette. Elle danse, elle chante, elle est heureuse.

Pour le jour suivant, je leur ai proposé de passer l’après-midi ensemble près de mon bureau avant qu’elle ne retourne à Austerlitz pour partir chez sa grand-mère.

La vie est belle, et c’est tant mieux…

1. Le vendredi 31 août 2007, 00:47 par Otir

Eh oui ! <big sigh> Quel beau billet, Akynou ! Je ne sais pas si c’est ton écriture, le sujet, ce que j’ai dans la tête, la belle photo de ta grande, l’histoire, Radio Kastafiore qui est en fond de lecture, bref, je suis foncièrement émue, là.

Bonne continuation. C’est une nouvelle ère sans aucun doute avec cette rentrée.

2. Le vendredi 31 août 2007, 08:57 par Claude

Ah oui, un très beau billet. Qui m’a rappelé des souvenirs de quand ma fille était ado… Avec des moments pas toujours aussi roses, sur le moment, mais qu’on savoure, après, une fois qu’on en est sorti.

3. Le vendredi 31 août 2007, 09:34 par Anne

Ah l’amour ! Les premiers amours !! Que c’est beau et dur à la fois !

Pour le cheval je comprends. Parce que c’est important que la souffrance d’un humain l’amène à faire du mal à un être vivant. Même si elle n’a pas mis les mots ou les sensations exactement dessus, elle a vu juste.

Son passage à la jeune fille en fleur, elle devait l’attendre, elle a vécu sa transition, pour elle, ça y est, c’est fait ! (Jusqu’à ce qu’elle ait besoin de sa maman et qu’elle ne se rende compte que toute la vie, il arrive qu’on ait besoin d’être de nouveau un grand bébé, pour lâcher la pression avant de reprendre le dessus).

4. Le vendredi 31 août 2007, 12:01 par Moukmouk

C’est chouette… ça me fait chaud en dedans.

5. Le vendredi 31 août 2007, 22:48 par samantdi

Je trouve ça chouette pour elle, et en même temps le petit pincement au coeur de se dire : « déjà, déjà ? mais quand j’ai ouvert mon blog, elle était si petite… comme ça va vite ! »

En tout cas, je lui souhaite tout le bonheur du monde.

6. Le vendredi 31 août 2007, 23:19 par Jean

C’est dur, parfois, de ne pas être intrusif avec nos enfants. Et pourtant, c’est le meilleur moyen de garder leur confiance.

Personnellement, je n’ai jamais cherché à connaître les amours des miens. Je ne crois pas que j’aurais su avoir la bonne distance, les bons mots. Résultat des courses : maintenant qu’ils sont adultes, des deux parents c’est moi qui en sais le plus.

Bon, votre dernière phrase rend optimiste !

7. Le samedi 1 septembre 2007, 00:22 par Akynou

Jean, oui, ce n’est pas facile. Il faut avoir l’oreille musicale, accompagner le tempo sans se tromper… Un apprentissage de tous les jours :-)

Samantdi : Oui, le petit pincement, je connais bien ;-)

Anne, non justement, ce que je voulais dire, c’est qu’à 12 ans, elle a vu la souffrance du cheval. Pas celle du gamin. Comme BB quoi. Il a fallu que je lui en parle pour qu’elle fasse le lien. MAis elle, un jour, elle grandirat et elle comprendra :-)

Moukmouk :-), ça y est, je t’ai envoyé un bout d’été

Otir : Peut-être bien tout à la fois ? :-)

8. Le samedi 1 septembre 2007, 14:36 par luciole

Ah oui, déjà ? sourire … C’est étrange, hier je triais des photos papiers et je suis retombée sur ta grande quand elle était encore si petite et j’ai eu un large sourire d’attendrissement … des bises!

9. Le vendredi 7 septembre 2007, 08:55 par Marloute

Oh, comme c’est bien écrit, ce passage de l’enfant à l’ado, comme tu racontes bien !
Ça m’a arraché des petites larmes!
Bravo bravo!
des bises