Qu’est-ce que notre métier ? Qu’est-ce qu’un métier en général ? Comment en choisir un ? Que lui demande-t-on ? Ce sont des questions que l’on se pose quand on entre dans la vie active. Mais dans cette réflexion entrent beaucoup de fantasmes, de rêves, d’espoirs et assez peu de réalité. Notamment quand il s’agit de métiers à valeur ajouté, comme journaliste, vétérinaire, médecins.
On voudrait faire ce que l’on aime vraiment. Ce pourquoi on est fait. Avoir un coup de cœur, une passion. Quelque chose qui comble tous nos désirs, qui nous remplit, nous donne une plénitude intellectuelle, affective. Et on se désespère de ne pas trouver cette perle rare.
Hélas, on se trompe de cible. Parce qu’un métier, quand on n’a pas la chance d’être rentier, c’est d’abord et avant tout le seul moyen de gagner sa vie, matériellement parlant. Pour manger, se loger, s’habiller, fonder une famille. Quand on a pris conscience de cette réalité là, on peut chercher à faire ce pourquoi on est plutôt doué et qu’on aime bien. Mais il faut avoir conscience que ce n’est pas la règle du jeu, qui se moque de notre bien-être. Au regard de la réalité vécue par l’immense majorité des gens qui travaillent, ou essaient de travailler, choisir un métier en fonction de ses goûts est un luxe absolu, quasiment un privilège. Combien de jeunes sombrent de ne pas avoir conscience de cette réalité là ?
La vie est une série de compromis. Une lutte donc dans laquelle il faut essayer de ne pas perdre trop de plumes. Mais il faudra toujours renoncer à quelque chose. Apprendre à faire son deuil, c’est apprendre à vivre.
Tu n’es pas heureuse dans ton métier, sans doute parce que tu lui demandes des choses qu’il ne peut pas te donner. Il n’est pas là pour te rendre heureuse mais pour te nourrir. Il faut travailler pour vivre mais non pas vivre pour travailler.
Ce qui nourrit son âme, son intellect, sa richesse personnelle, c’est en soi d’abord qu’on le trouve. Quand on sait cueillir, n’importe où, y compris dans son travail, les richesses qui se présentent.
Ce n’est pas à ton travail de te rendre heureuse. Car tu ne bosses pas pour toi, mais pour un patron qui, en échange, te donne de l’argent. Un métier, c’est bassement matériel, c’est vénal. On vend sa force de travail pour manger. On peut, si on a de la chance, c’est même un plus, y prendre du plaisir. Mais pas du bonheur.
Certains te diront le contraire, que, justement, la force de l’être humain est de résister, de rester idéaliste. L’idéalisme ne nourrit pas son homme, ni sa femme d’ailleurs. L’idéalisme est un luxe de riches ou de crèves la faim.
Alors oui, « il faut parfois laisser derrière soi certaines ambitions qui ne nous rendent pas heureux pour faire ce qu’on aime vraiment ». Mais à condition de ne pas se tromper de cible. L’ambition qui ne te rendra jamais heureuse, c’est celle qui est de vouloir se réaliser complètement dans son métier. Que le métier rende heureux. Aucun métier ne peut le faire. Car l’aptitude au bonheur ce n’est pas dans le métier qu’on la trouver, mais en soi-même. Ce que l’on aime vraiment n’est pas quelque chose de chose définitif car nous grandissons, nous changeons, nous évoluons.
Ce que j’aime vraiment, ce qui me réjouit au plus au point (mais était-ce le cas il y vingt ans ? j’en doute), c’est sans doute le jeu intellectuel. Voir naître une idée, y réfléchir, la faire courir, la nourrir, voir comment elle évolue, la tester et, surtout, l’imposer aux autres. Ce qui me fait aimer la discussion, le dialogue et… le pouvoir.
Est-ce que mon métier me comble de ce point de vue là ? En partie, oui, sans doute. Mais pas complètement, pas totalement. Parfois même pas du tout. Mais dans ma vie, j’ai trouvé des biais qui me permettent de multiples façons de faire ce que j’aime. C’est ce que tout le monde finit par faire. Certains en se débrouillant pour gagner le plus de fric possible, parce que l’argent est un vecteur puissant. D’autres, en trouvant comme moi d’autres façon de s’imposer. D’autres encore sont tellement dans la survie que la moindre chose gaie est un petit bonheur dont ils profitent. Et puis certains n’ont rien. Ou juste des paradis artificiels, l’alcool qui parfois est la seule chose qui réchauffe l’âme à force de malheur.
Ce qui m’étonne souvent, quand tu parles de la nécessité d’être heureuse, c’est que tu répondes toujours en terme de métier. Comme si celui-ci était l’unique source de bonheur possible. Mais il n’en est qu’une infime partie. Si on veut survivre, il y a une chose qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est le principe de réalité. Tous, quand nous entrons dans la vie, nous espérons faire de grandes choses, être heureux, avoir une famille idéale, les plus beaux enfants du monde. Et puis il y a la vie qui s’impose. C’est un apprentissage. Il est plus ou moins long, plus ou moins douloureux. Certains surmontent l’étape sans même s’en rendre compte. D’autres renâclent. Mais c’est la vie, on n’en a qu’une. Elle est comme elle est. Tenter de l’améliorer sans doute, se battre pour cela, être exigeant même. Mais c’est de cette lutte que viendra, peut-être, le bonheur. Et notre métier, quel qu’il soit, aussi rutilant soit-il, n’est qu’un moyen, pas un but.
J’écris ces quelques mots parce que je trouve que tu es une personne magnifique, que vers toi j’ai des élans de grande sœur ou de mère. En tout cas d’aînée. Et que j’aimerais te prendre la main pour t’aider à passer le gué, comme d’autres l’ont fait avec moi.
J’aurais aimé avoir le talent d’un José Agustin Goytisolo écrivant Palabras para Julia à sa fille. Mais il faudra te contenter de cette lettre maladroite. Bien à toi
Akynou
- Le vendredi 16 novembre 2007, 13:39 par anita
ah non, pas maladroite! c’est un très très beau texte à échos, un texte levier, un texte de passeur de balle…
2. Le vendredi 16 novembre 2007, 13:45 par Anne
Une bien belle lettre en tout cas. Une chose que le principe de réalité ne détruit pas, nous avons les plus beaux enfants du monde. Au moins quand ils sont petits 
Quant au principe de « métier », tu mets le doigt sur quelque chose d’important : combien de jeunes tout juste frais émoulus de leurs formations se retrouvent dans des situations difficiles à cause d’un fantasme de métier parfait, épanouissant, gratifiant, rémunérateur.
Alors que même dans les plus bonheurs du monde, y compris non professionnels, il y a des contraintes, des renoncements, des déceptions. Donc sur un sujet aussi matériel qu’une profession, forcément, c’est souvent pire. Parce que ceux qui nous emploient ne cherchent pas à satisfaire des passions, mais à employer à leur tarif des personnes qui les feront le moins chier possible en leur faisant gagner le plus d’argent possible…
3. Le vendredi 16 novembre 2007, 13:58 par andrem
Akynou, je t’adore. Comme j’aimerais être ta consœur, et faire semblant de ne pas comprendre pour que tu continues ainsi à m’écrire, en t’énervant peu à peu devant ma surdité sans voir qu’elle est feinte.
Tu comprendras que je ne vais pas en rajouter sur ta lettre, et que j’ai tout compris. Tu sais bien que je ne suis ni consœur ni confrère, mais exactement celui qui se posait ces mêmes questions il y a quarante ans ; au fond, je ne regrette pas d’avoir trouvé des solutions et une méthode qui ressemblent aux tiennes, dans un univers sans aucun rapport avec le tien.
Bien que peux mieux faire, certes. Peux toujours mieux faire, avec ixx à peux.
Je peux. Tu peux.
Le syndicat, le soin de l’écriture, l’absence d’ambition visible (comme on dit minorité du même métal), le souci de partager avec les voisins, travail et gloire, peines et échecs, des uns et des autres, l’écoute. La liberté de ton dans le respect de tous, même de ceux qui insupportent, quoique pas toujours faut pas pousser non plus les harceleurs dans leur impunité, bref cette sorte d’image qui me colle à la peau dans la Fondation et qui me donne ce léger pouvoir impalpable que personne ne ressent même lorsqu’il s’exprime, mais jouissif.
Certes, ma vie décrite à l’aune de la RRéussite avec des airs majuscules constitue pour certains un échec absolu achevé dans un placard même pas doré, et la moue qui s’ensuit. Les fils invisibles qui restent à ma main sont invisibles aux dents qui rayent le parquet et dont les traces sont celles que j’avais dessinées bien avant eux.
Ce n’est pas le bonheur, loin de là, sur ce point comme sur les autres tu touches juste, et le jour où sonnera la cloche des annuités enfin atteintes pour me permettre de continuer à avoir de quoi vivre et faire vivre, je serai le premier à partir sans regret pour mieux bloguer mon enfant. Je ne ferai même pas de pot de départ, je hais les pots de départ de mes potes et ceux de mes insuppotes.
Mais j’irais bien au premier paris-carnet qui suivra offrir ma tournée, sous un autre pseudo qui sera peut-être le vraido. Dans vingt ans environ à voir comme tout augmente en ce monde.
Je t’embrasse, Akynou, et cette ferveur soudaine tient à ce si beau billet d’aujourd’hui maintenant là tout de suite que je viens de le lire.
Comme il faut toujours allumer un contre-feu, je précise que je désapprouve l’extrémisme de Sud-Rail, et que je tire mon chapeau aux tentatives de Bernard Thibault de rattraper le coup. Vaines, probablement, à en croire le discours dominant des zuzagers-en-colère-dont-on-nous-rebat-les-zoreilles.
Vous zavé dit zoreilles?
4. Le vendredi 16 novembre 2007, 14:00 par andrem
Heureusement que j’avais annoncé que je n’en rajouterai pas. J’en ai rajouté si peu que Anita et Anne me sont passées devant.
Je ne recommencerai plus, sauf à la prochaine occasion.
5. Le vendredi 16 novembre 2007, 16:28 par TarValanion
Tres beau texte. Avec tellement de choses des dedans. Des points où je me reconnais et d’autres sur lesquels je ne suis pas d’accord. Mais comme j’approuve une bonne partie de ce que tu dis, j’applaudis des deux mains.
(Akynou, Anne, Anita, Andrem… Je flaire une conspiration.)
6. Le vendredi 16 novembre 2007, 18:10 par Otir
Un bien beau billet Akynou. Et qui donne décidément très envie d’y répondre ou d’y participer même si on n’est ni jeune, ni consœur, peut-être même à cause de cela, pour dire tout ce sur quoi on n’est pas vraiment d’accord avec ce que tu as proposé sur des notions aussi transversales que celles du métier, du bonheur et de l’accomplissement de ses rêves…
7. Le vendredi 16 novembre 2007, 18:24 par Akynou
Je comprends bien que cela chatouille tout le monde et vous pouvez bien sûr répondre. Mais sachez que la notion de consœur est important dans ce que j’avançais. Je fais un métier presque mythique pour la plupart des gens. Journaliste. Quel beau concept. Mais la réalité est triviale. Je pense que les idéaux n’ont rien à voir avec les nécessités économiques. Sinon on se casse les dents.
C’est comme l’amour. Un couple, c’est beau, l’amour c’est beau. Un mariage peut-être heureux et c’est tant mieux. Mais nous ne voilons pas la face. Le mariage, dans nos société, est avant tout un contrat de gestion des biens patrimoniaux. Méconnaître cette réalité entraîne bien des désillusions, voire des catastrophes… Et je ne veux surtout pas dire qu’il ne faut pas croire en l’amour. Bien au contraire.
il faut juste savoir placer son bonheur au delà des illusions de l’enfance.
8. Le vendredi 16 novembre 2007, 18:27 par Fauvette
Elle est belle et émouvante et juste ta lettre Akynou.
9. Le vendredi 16 novembre 2007, 20:41 par Laurelin
Je ne suis pas une consœur, mais je me lance dans mon métier. Et si j’ai le luxe d’exercer comme j’aime dans un domaine que j’aime, je me rends compte qu’il faut que je finisse par faire la facturation des séances à mes patients. Et là, ça rend bassement mon métier …alimentaire. Sniff.
Elle fait du bien ta lettre, Akynou 
10. Le vendredi 16 novembre 2007, 22:40 par luciole
« Si on veut survivre, il y a une chose qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est le principe de réalité. » Comme tu dis 
11. Le samedi 17 novembre 2007, 17:05 par Oxygène
Que tout cela est vrai ! Comme tu sais bien l’exprimer !
12. Le samedi 17 novembre 2007, 20:07 par Marloute
La Marloute que je suis va imprimer ta lettre.
Et la coller derrière son ordinateur.
Merci.
13. Le lundi 19 novembre 2007, 18:35 par andrem
Je réagis un peu tard sur ta remarque essentielle: au delà des généralités sur lesquelles nous avons tous rebondi, il y a le mot consœur ; il s’agit d’être journaliste, de le devenir surtout. Et ta lettre n’en est que plus intéressante, en ces temps où le mot journaliste devient sinon une insulte, du moins un sujet de méfiance.
On pourrait en débattre longtemps, de ce journalisme de pacotille que l’on voit pratiqué à l’envie, sans scrupule ni même effort de dissimulation. Cynisme et audience, manipulation et raccourcis, émotion et faits divers. Les journalistes scient avec zèle la branche sur laquelle ils sont assis, qui se nomme liberté d’expression, liberté de pensée, liberté de l’expression de la pensée.
Il n’empêche que le journaliste est une personne dont notre société ne saurait se passer sans disparaître telle Dom Juan entraîné par le commandeur. Et nombreux sont encore ceux pour qui ce mot a un sens. Il y en a même qui travaillent à la télé, enfin j’ai envie de le croire, ces cameraman (oui, je dis cameraman, mot d’origine étrangère donc invariable) qui risquent leur peau des jours entiers pour une minute de passage à l’antenne, par exemple. Il y a ceux qui partent longtemps, avec parfois trois euros en poche et une connection internet, et qui pendant des semaines vont tenter de cerner la question des petits paysans de l’Ouest américain, ou celle de l’urbanisation forcée des nomades mongols, ou celle du contrôle des cerveaux dans la Chine Capitaliste, que sais-je?
On peut citer ainsi Florence Aubenas, un nom au hasard. Je ne connais pas la dame ni les dessous de son métier, ses secrets de fabrication et ses petits dérapages éventuels, mais sa présence et sa force m’ont suffit, à l’instar du public ébloui, à la classer dans la catégorie des journalistes dont nous avons tant besoin.
Et tu as raison de rappeler à ta consoeur que cette noblesse idéaliste passe par un quotidien parfois fastidieux, de petits compromis inévitables, de secrètes manigances qui protègent, et par la nécessité du salaire en fin de mois, le plus gros possible, pardon, le moins misérable possible, car au final, idéal ou non, le métier est destiné à vivre et faire vivre. L’idéal est qu’il soit fait avec plaisir, ou du moins que parfois, un petit moment de plaisir surgisse du long marécage, ou des galères, ou des humiliations, que parfois il impose. L’exemple de Florence Aubenas prend ici tout son sens.
J’ai beaucoup écrit, là, pour quelqu’un qui ne connaît rien au journalisme. Alors arrête de rire, Satanas.
Mes salutations aux sirènes.
14. Le mardi 20 novembre 2007, 10:16 par Akynou
Le problème n’est pas les journalistes, enfin en partie, le problème, c’est surtout les patrons de presse.
J’en connais des centaines de journalistes qui se battent pour préserver leur indépendance, la liberté d’informer, non pas contre le gouvernement, mais contre leurs patrons, ce qui en un sens est assez compliqué car le patron a un moyen de rétorsion très efficace et assez peu condamné par les défenseurs de la liberté de la presse : le licenciement ou la mise au placard.
La déléguée syndicale qui me précédait a fait, avant de partir à la retraite quelque quinze ans de placard, sans augmentation, sans boulot. Elle a porté plainte pour discrimination syndicale et elle a gagné après quatre ans de procès. Une belle somme, mais une carrière foutue.
Quant à gagner des mille et des cents en exerçant ce métier, mieux vaut changer d’idée. Le salaire moyen d’un journaliste en France est légèrement inférieur au smic. Alors, évidemment, il y a une infime minorité qui gagne très très bien sa vie, une minorité qui la gagne correctement (dont j’ai la chance de faire partie) et une grande majorité qui vivent pas ou mal de leur métier. Et dans ces conditions, les menaces des patrons ont quelque importance…
Cela dit, il y a aussi des vendus, des connards qui n’exerce ce métier que pour le pouvoir qu’il représente ou l’influence, ou l’impression d’être grand parce qu’on rencontre des grands… Mais derrière la façade, il ne faut pas oublier qu’il y a une maison…
15. Le jeudi 22 novembre 2007, 23:16 par gilda
Pour n’avoir pas fait de choix lors de ma studieuse et impécunieuse jeunesse, et avoir par ailleurs quelques mauvaises fréquentations aux métiers prestigieux (mon officiel personnel n’est d’ailleurs en théorie pas mal non plus, je n’ai juste pas su me montrer taillable et corvéable à merci comme requis) dont je connais grâce à eux l’enfer du décor, j’aurais quand même tendance à dire, tellement au boulot on y passe du temps : 1/ Tentez d’abord ce qui vous plaît à fond et en vous fixant une sorte d’âge limite ; 2/ Seulement après si ça n’a pas marché, rabattez-vous sur de l’alimentaire.
Sinon toute votre vie vous traînerez le regret de n’avoir pas tenté. Cela dit, si rien de précis ne vous tente, effectivement il est plus sage d’aller vers des métiers « à débouchés » que d’entamer de longues études de littérature médiévale ou de philosophie fondamentale.
Akynou, d’accord qu’il n’y a pas que le travail dans la vie, n’empêche on y passe tant de temps. Et puis quand le reste de la vie ne va pas, si en plus on souffre d’y aller, et qu’on n’a pas ça pour se raccrocher, au moins une satisfaction minimale, pour un choix et une mise en oeuvre qui dépende de soi (contrairement à tout ce qui tient des sentiments) c’est à désespérer.
(non, non, je ne suis pas pessimiste, j’en connais qui sont heureux)