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Entre J. et moi, ce n’était pas fait pour durer. Je l’ai heureusement senti très vite. Et au lieu de d’essayer de m’accrocher à une histoire sans issue, j’ai essayer de le ramener chez lui. Ça n’a pas été sans heurts ni sans blessures, parce que je l’avais dans la peau. Mais je ne me sentais pas tout à fait bien dans mes baskets. Je pensais à l’autre, que je n’arrivais pas à considérer comme une rivale. De son côté, elle n’a rien négligé pour récupérer son homme. Elle avait bien raison. Elle l’aimait sans doute mieux que moi. Plus que moi. Et puis il y avait leur fille qui était si mignonne. J’en voulais une comme elle…

Il est donc rentré chez lui. Nous sommes restés amis. J’ai sympathisé avec elle. Nous nous baladions tous les trois en week-end, à la campagne, au bord de la mer. Il m’est arrivé de garder la petite de temps à autre. Et puis l’automne est arrivé, avec pour moi d’énorme problèmes de boulot. Je ne voyais pas le jour. Je ne voyais plus personne. Nous ne nous sommes pas vu pendant plusieurs mois. Pas trop le temps de mon côté, plus trop l’envie du sien. Il regardait sa fille grandir, se cherchait un destin, musicien ou graphiste, et cherchais ses racines.

Nous avions beaucoup phosphoré sur le sujet. Quand je l’ai rencontré, il revenait d’Afrique, à la rechercher de ses ancêtres. Je lui ai conseillé de chercher du côté de la Caraïbes. Nous avons lu de concert Chamoiseau, Confiant, l’Eloge de la Créolité, nous écoutions les Haïtiens de Boukman Eksperyens. La solution était sur son île natale. Dans sa famille…

Au printemps, nous nous sommes revus, en copain. Nous avons fait un boulot ensemble. Et, un soir d’avril, retour bref de flamme, nous nous sommes trouvé à nouveau dans le même lit. Je partais quelques jours plus tard pour la Guadeloupe où j’avais, grâce à lui et à son père, loué un gite, chez l’habitant.

Je me souviendrai longtemps de ce voyage et de ses conséquences… Mon avion avait deux heures de retard. Pour une fois, je n’avais pas emprunté les lignes d’Air France, mais celles moins cher d’Air Liberté. Escale à Nantes, puis aux Açores, imprévue celle-là. Je suis arrivée explosée de fatigue, mais sachant que je n’allais pas me coucher immédiatement : je devais faire connaissance de mes propriétaires. Car la maison, très grande et en pleine cambrousse, abritait, dans une de ses ailes, la fille de la famille, son mari, ses deux enfants et le Nôm.

Pendant le dîner, sur la terrasse, il est resté dans le salon de télévision qui se trouvait dans ma partie. Et quand la maîtresse de maison lui a demandé de partir, pour me laisser m’installer et me reposer, il a râlé comme un bossu. Je regardais ce mauvais coucheur en me demandant qui il pouvait bien être.

Les jours suivant, je fis la connaissance d’un garçon plutôt gentil, très doux avec les enfants, dont il s’occupait à merveille, qui parlait plutôt mal le français et avait l’air très timide. Il vivait chez son copain d’enfance car il avait été licencié six mois plus tôt et ne touchait pas les Assedic parce qu’il n’arrivait pas à sortir d’un bourbier administratif. La solidarité est encore forte aux Antilles.

Quinze jours plus tard nous sortions ensemble. Encore quelques soirées et je l’invitais à me rejoindre. Il descendit chercher ses affaires, qui tenaient toutes entières dans un sac en plastique de supermarché, et sa brosse à dent, puis il me rejoignit. Et s’installa définitivement dans ma vie. Il est des amours de vacances qui s’installent. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, à ceci près : je me sentais toute chose. Mes seins me faisaient mal, j’avais des vertiges et, surtout, mes règles avaient de plus en plus de retard.

Je suis parfois d’une inconscience totale, ce qui m’a bien souvent sauvé la mise. N’étant pas née de la dernière pluie, je me suis très vite doutée que je couvais quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Le médecin que j’allais consulté me le confirma, j’étais bel et bien enceinte.

Ce qui me rendait plutôt heureuse. Mais il fallait que je l’annonce aux hommes concernés. Le père (le doute sur sa personne n’était pas permis, une nouvelle affaire de date…) et l’amant. Les révélations et les explications, ce n’est pas mon fort. Les conflits n’ont plus. Je n’en menais pas large, mais je pris le taureau par les cornes. Je commençais par le père :
« Allo J. ! Oui, je passe de belles vacances, oui tout va bien. Oui, les amis de ton père son super gentils. Heu, voilà, j’ai un truc à te dire… (je m’étais préparé mon texte…) Je suis enceinte, il ou elle est de toi et je ne te demande rien du tout. Ni ton avis ni ton aide ni rien.
Blanc à l’autre bout de la ligne, puis…
– Écoute ma puce.
– Je sais, c’est très brutal. Et ce n’est pas particulièrement correcte de te dire ça comme ça. Mais écoute, j’ai 35 ans. Je ne vais pas avorter maintenant alors que j’ai toujours rêvé d’une enfant et que je ne sais pas si une autre occasion se présentera. Alors j’ai décidé de le garder, même si tu n’est pas d’accord et bien que ce soit aussi ton enfant. Et comme je te mets devant le fait accompli, je ne te demande rien. Si tu a envie d’avoir une place auprès de cet enfant, ne t’en fais pas, je te la laisserai. Tu feras comme tu en as envie. Mais surtout, je ne te demande rien. Ni fric ni rien…
Je laissais un J. un peu sonné, un peu dubitatif. Mais pas non plus près à tout abandonner comme ça. Et surtout pas ce bébé qui lui tombait du ciel…

Restait le Nôm. Deux soirs plus tard (il me fallait le temps de digérer la première estocade), je lui racontais la visite chez le médecin, le résultat et j’ajoutaist très très vite, avant même qu’il ne puisse se réjouir ou se lamenter (je connais les mâles antillais et leur rapidité à la fuite dans ces cas-là) que vue les dates, il ne pouvait pas être le père. Et que donc, je lui racontais tout cela pour information, mais qu’il ne se sente surtout pas concerné…
Et lui, avec un sourire totalement illuminé, de me dire : « Je serai son père.
– Non, mais tu ne comprends pas. Ce n’est pas toi. Ce n’est pas possible que ce soit toi.
– Si, j’ai très bien compris. Mais je m’en fous. Je serai son père.

Voilà comment, au bout de deux semaines de vacances, je me retrouvais avec un bébé à naître et deux papas potentiels…

F à l'anse Maurice

Le mercredi 22 novembre 2006, 23:41 par Dre Papillon

Ton histoire me donne des frissons, c’est tellement beau. Les enfants naissent de l’amour, qu’il dure longtemps ou pas longtemps, chacun a une histoire d’amour derrière lui et c’est tellement important. C’est tellement dommage, tous ces parents qui se déchirent et qui ne racontent pas ses origines à leur enfant, par fierté, par vengeance ou autre…

Un de ces quatre, tu nous raconteras comment la Guadeloupe t’est entrée dans la peau aussi, tu veux bien ? :)

2. Le jeudi 23 novembre 2006, 00:04 par Oxygène

Quelle densité ! Comment as-tu traversé ces moments ? J’attends la suite avec intérêt.

3. Le jeudi 23 novembre 2006, 01:33 par Otir

Chère Akynou, heureusement que pour écrire avec un clavier, on n’en a pas besoin : mais j’ai le souffle coupé.

Merci ! A lire la suite avec impatience.

4. Le jeudi 23 novembre 2006, 09:40 par Anne

« J’ai toujours rêvé d’une enfant »

Le « une » est-il un lapsus ou tout à fait volontaire ?

En tout cas, un engouement de futur papa comme ça, c’est beau.

5. Le jeudi 23 novembre 2006, 10:10 par andrem

Pour répondre à « Dre Papillon » tout en comm-mentant à Akynou, il me semble bien que la Guadeloupe est entrée dans sa peau le jour où elle s’est interrogée sur le cas de son copain d’école un peu plus zyeux noirs que ses parents zyeux bleus bleus bleus.

A l’insu de son plein gré, comme d’hab.

Et je ne parle même pas des zoreilles.

6. Le jeudi 23 novembre 2006, 11:09 par Akynou

Andrem, tu n’as peut-être pas tout à fait tord, mais tu n’as pas raison non plus.

Anne : le lapsus, je l’ai vu effectivement, et je l’ai laissé. après tout, comme tout lapsus, il est assez proche de la réalité…

Oxygène : un peu comme d’habitude, assez inconsciemment… c’est plus tard que j’ai réfléchi… J’ai toujours eu tendance à me laisser menée par la vie et à ne donner des coups de rame que lorsque c’était vraiment nécessaire. Je suis un peu velléitaire, et ça ne m’a pas trop mal réussi :-)

Dre Papillon, un jour, je te promets.

7. Le jeudi 23 novembre 2006, 11:35 par Anne

Ca te va joliment bien, ce lapsus, en tout cas. :-)

8. Le jeudi 23 novembre 2006, 19:16 par Anitta

C’est fort. C’est grand. C’est beau. Existe-t-il un mot, en créole, qui engloberait ces trois dimensions ? Si oui, il faut le mettre en exergue ;-)

9. Le jeudi 23 novembre 2006, 21:26 par Madeleine

Là ce n’est plus un racontar, c’est une histoire vraie ! et une sacrée belle histoire …
(Merci de la déposer ici)

10. Le vendredi 24 novembre 2006, 11:14 par andrem

Bonjour Akynou.

J’aime bien n’avoir ni rime ni raison. Et un peu tord parfois. Il est comme le sel, on ne le voit pas toujours mais il donne du goût.

Ne pas trop en mettre.

11. Le vendredi 24 novembre 2006, 16:29 par Leeloolene

Je pensais bien que tu voulais en venir à cette histoire… je crois qu’il est bien de l’écrire… (et de manière égoïste pour nous, de nous la faire partager).

C’est marrant, mais quand j’ai lu la question d’Anitta sur le mot créole qui engloberait tout ça, j’ai pensé immédiatement à « TOUT BONNEMENT »… comme on dit si souvent là bas… Qu’en penses-tu ? Je trouve que ça colle bien à toute cette histoire…

La photo du Nôm sur la plage est tout simplement splendide. Anse Maurice en plus. Je trouve que tout dans cette photo lui va bien (au Nôm). L’endroit… sauvage et mystérieux, comme lui… et la nonchalance sur les rochers.