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La vie de Claire continue de m’interroger. Les rares fois où je la croise, je reste toujours sur la défensive. Je sais quelque chose de primordial pour elle, quelque chose qu’elle ne sait peut-être pas. Ou qu’elle ne veut pas savoir. Quelque chose qu’elle est pourtant bien plus en droit que moi de connaître. Mais mes lèvres sont murées par le secret. Je déteste cette situation, la fausseté dans laquelle je me retrouve à mon corps défendant. Mais si les parents de Claire ne lui ont jamais dit la vérité (son père est mort, sa mère est toujours vivante) de quel droit, moi, qui n’en connais que des bribes, même pas des racontars, mettrai-je les pieds dans le plat. C’est quelque chose que je me refuserai toujours à faire. Cette histoire ne m’appartiens pas, ce n’est pas moi qui en tirerai les ficelles.

Elle ne m’appartient pas. Mais elle me hante. Elle n’a jamais quitté un petit coin de ma tête et a influencé, des années plus tard, une part importante de ma vie.

Car un jour, je suis devenue grande. J’ai rencontré des hommes, j’ai fait l’amour avec eux, j’ai vécu avec eux aussi de temps en temps. Plus ou moins longtemps. Un jour encore, s’est posé la question de l’enfant, mais celui-ci n’est pas venu.

Un jour, j’ai fait une dépression. Un jour j’en suis sortie. Un jour, j’ai rencontré un homme qui était déjà pris. Un jour j’en suis tombée morte amoureuse. Comme on tombe en amour quand on a 15 ans, sans tabou, sans barrière, sans concession. Une passion merveilleuse. Mais la passion ne dure pas, d’autant que je n’avais plus 15 ans et que je n’étais pas toute seule sur l’affaire. L’homme avait une femme, enceinte… Je n’ai jamais demandé à un amant, et encore moins à celui-ci, d’abandonner femme et enfant pour moi. J’ai même plutôt contribué à créer un lien entre cet homme et cette enfant car il se sentait si peu père, lui qui avait tellement manqué de parents dans son enfance.

On va l’appeler J.. Né en Guadeloupe d’un couple improbable qui jamais ne vécu ensemble, il resta d’abord avec sa mère. Son père, ambitieux à la petite semaine, avait réussi un mariage plus avantageux et le concours des Postes et s’était envolé pour la Métropole. Mais les années passaient et son couple restait désespérément stérile. Le père se souvint alors de ce garçon qu’il avait conçu un jour… Au voyage suivant, il courut à la mairie reconnaître le petit (ce que n’avait pas pensé à faire la mère) puis, les vacances s’achevant, il acheta deux billets d’avion, pris le garçon sous son bras et s’envola pour la Métropole. Quand la mère se rendit compte du rapt, il était trop tard. Elle avait la loi contre elle…

J. débarqua à Sarcelles, bien loin de sa Basse Terre natale, comme on débarqua sur la Lune. Comble de malchance, il était à peine arrivé, que sa belle-mère réputée stérile tomba enceinte. Du statut de fils acquis si récemment, il passa à celui de pièce rapportée quelque peu encombrante. L’acariâtre le transforma en Cendrillon sous les yeux d’un père à nouveau curieusement absent. « Tu comprends me racontait J., je lavais même les culottes de mes petites sœurs. » Ce qui lui semblait le meilleur résumé de sa déchéance.

Évidemment, il y eut la révolte, les quatre cents coups, une union malheureuse qui aboutit à un avortement (organisé et financé par son père), puis la rencontre, des années plus tard, d’une jeune femme douce qui le pris sous son aile et lui redonna de l’espoir.

Puis la jeune femme attendit un enfant et ce n’est sans doute pas un hasard s’il me rencontra pendant cette grossesse. Et tomba amoureux de moi, comme je tombais amoureuse de lui. Il aimait cette femme, il aimait son enfant, mais se sentait totalement incapable de les assumer. Je fus sa fuite.

(…)

Le jeudi 23 novembre 2006, 09:30 par Anne

A propos de Claire. Te lire me rappelle que j’ai connu un secret de famille, comme ça, sur la fille de parents dont le père ne faisait pas partie du couple.

Et bien c’est incroyable, j’ai tellement refoulé ça de peur d’une maladresse qui ne lui fasse de la peine que ça m’a pris presque deux jours pour retrouver de qui il s’agissait. Bizarre, non ?

Oui effectivement, ça n’est sans doute pas un hasard… vite je me précipite sur la suite.