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Nous avons passé la journée à Lisbonne. Mais cette fois-ci, je m’étais simplifié la vie : nous avons pris le train de 8h50. La gare de Santarem est une petite bâtisse blanche et bleue, adorable avec ses azulejos, son jardinet et sa fontaine, son auvent couvert de glycine qui sent bon. Une station d’opérette, avec des gens charmants.

Cela augurait bien de la journée qui avait pourtant démarré dans la difficulté. Nous nous étions levés très tôt, les filles étaient grognonnes, le vent qui soufflait fort rafraîchissait terriblement l’atmosphère, nous interdisant de petit-déjeuner sur la terrasse. Nous avions dû nous débrouiller à l’intérieur où la place manquait.

Sur le quai de la gare, le vent soufflait toujours, mais au moins le soleil brillait. Il faut dire que dans mon optimisme habituel, j’avais laissé tous les pulls de la famille chez ma mère : au Portugal, nous ne pouvions avoir froid. Nous n’avions donc rien pour nous protéger de la fraîcheur. Ce que ne manquaient pas de me reprocher les trois filles depuis quelques jours.

Dans le train cependant, il faisait bon. Nous étions confortablement installés. De nombreux banlieusards parisiens envieraient ce train régional récent, aux couleurs pimpantes, climatisé. Et à l’heure. Au départ comme à l’arrivée.

Une heure plus tard, nous étions à Lisbonne. Nous avions le choix de descendre à deux endroits : Oriente, la toute nouvelle gare internationale construite à l’occasion de l’exposition universelle, qui jouxte la gare des bus. Et Santa Apollonia, non loin de la gare maritime et du centre. J’ai choisi la première, me disant que nous trouverions plus facilement des tickets journaliers et des liaisons de bus pour nous emmener dans le quartier de Xabregas, où se trouve le musée des Azulejos. Je n’aurais peut-être pas dû.

Ça a été coton. La gare est immense et les indications peu nombreuses. Surtout, pour une station de cette taille, il n’y a aucun kiosque permettant d’acheter des tickets de bus ou des carnets. Si on souhaite emprunter ce mode de transport, il faut acheter les tickets au chauffeur, ce qui coûte beaucoup plus cher. En fait, il est possible de les acheter dans le métro. Mais rien n’indique que les deux réseaux sont compatibles. A l’étranger, on fonctionne comme si tout devait être totalement différent de ce que l’on connaît et c’est loin d’être le cas.

Nous avons tourné, viré pendant plus de trois quarts d’heures dans cet immense espace avant de localiser l’arrêt de bus qui nous intéressait.

Nous sommes arrivés sans encombre au monastère de Madre de Deus, qui abrite le musée national de l’azulejo. Si on aime, comme moi, ces petits carreaux de céramique, c’est un des endroits qu’il faut visiter.

Après la billetterie, il faut se rendre dans le cloître. C’est dans ses galeries que comment la visite avec une explication en portugais et en anglais de la fabrication des carreaux. Après avoir lu le texte, tout le monde se sent capable d’en fabriquer tellement ça semble d’une simplicité biblique. Mais l’art, après, c’est une autre question.

Notre art à nous, c’est de ne jamais rien faire comme tout le monde et surtout pas commencer la visite par le début. Nous faisons tout à l’envers, et ce n’est pas vraiment voulu. Je ne sais pas pourquoi, mais tout en regardant attentivement le guide, je pars systématiquement à contresens… Je dois avoir fortement chevillé au corps l’art de la contradiction.

Toujours est-il que nous avons fait le chemin à rebrousse temps en commençant par les acquisitions modernes, parmi lesquelles d’assez belles pièces, puis une salle et un escalier couverts d’azulejos décoratifs ou historiés. Et quelques meubles de toute beauté, bois précieux, marqueterie d’une grande finesse et peu de dorures.

Nous débouchons sur le premier étage du cloître, à droite, des panneaux datant des années cinquante. Que ce soit au Portugal, en France où ailleurs, je reconnais toujours le graphisme si particulier de ces années-là au premier coup d’œil. Il y a des pièces magnifiques, dont une représentant la lecture et la théâtralité. Je ne les ai pas prises en photo parce que le Nôm m’avait dit que les clichés étaient interdits et que deux gardiens étaient en train de taper la discute juste à côté de nous.

En fait, seuls les flashs sont interdits. Il est tout à fait possible de prendre sinon, toutes les photos que l’on souhaite. Cela dit, il faut vraiment ne rien connaître en photo pour essayer de prendre des azulejos au flash. A l’impact de la lumière, la surface brillante de la céramique ne laisse apparaître que… la lumière de l’éclair. Intérêt du cliché devient alors équivalent égal à zéro.

Sur l’aile droite, se trouve une série de salles qui présentent des expositions temporaires d’artistes contemporains, dont le travail est toujours autour de la céramique. Nous avons droit à une série de poupées cauchemardesques d’un artiste portugais dont hélas nous ne connaissons pas le nom. Quelques pièces font froid dans le dos. Je n’aimerais pas être dans la tête du monsieur. D’autres sont belles, malgré tout.

Aile suivante, salle suivante, une collection datant du XVIIe siècle, très marquée par l’orientalisme : scène de vie en Chine, oiseaux multicolores, portraits de Chinois, tout le monde exotique découvert par les navigateurs portugais.

De salle en salle, c’est une explosion de couleurs étonnantes, de figures amusantes, de scènes de genre, vie des saints (il y en a une flopé), aventures picaresques, scènes de chasse… Une salle est réservée à celles-ci et les tableaux représentés sont extraordinaires de couleurs. Plus loin, un très grand panneau représente une famille aristocratique du XVIIe siècle. On y découvre l’influence de la peinture française, notamment d’un Watteau. La finesse des traits, notamment celui de la petite fille, est presque émouvante, en tout cas fascinante quand on se souvient qu’il s’agit de céramique entièrement réalisée à la main et uniques.

Remarquable encore la fresque représentant Lisbonne avant le tremblement de terre de 1755. On n’en finit pas d’admirer ce panneau qui fait plusieurs mètres de long.

De salle en salle, de cloître en cloître, de panneau en panneau, on finit par déboucher sur l’église du monastère. La tribune supérieure est déjà étonnante : parquet en marqueterie de bois précieux, plafond en caissons ornés de tableaux des XVI et XVIIe siècles, elle donne sur la nef qui dégouline littéralement de dorures entrelardées d’azulejos bleus et de tableaux. L’ensemble est saisissant et je le trouverais presque beau, n’était-ce les caissons renfermant des poupées représentant la vierge gisante, un christ fraîchement descendu de la crois et encore sanguinolent et un poupon Jésus. Le goût douteux de la représentation religieuse pour les détails macabres qui étaient censés marquer les esprits et faire réfléchir. Réfléchir, tu n’y penses pas ! C’est tellement too much que j’ai plutôt envie de rire.

Après une pause dans le patio, près du bar restaurant, décoré d’azulejos culinaires superbes, nous repartons à l’assaut de la ville. Direction le Rossio. Le projet initial était de faire le matin la visite du musée et de la Baixa. Mais nous avons passé beaucoup de temps à nous chercher puis dans le monastère (nous sommes trois à prendre des photos). Il est temps de déjeuner.

Ma collection d’azulejos
Tout sur les petits carreaux de faïence