Le cloître royal offre plusieurs styles gothiques : rayonnants pour les galeries nord et est, flamboyant pour celle sud et ouest. Mais ce que je fais surtout remarquer à Lou et Garance, ce sont les remplages des arcades, ajoutés quelques cent ans après la construction et qui sont de pur style manuélins. Comme les moucharabiehs dont ils s’inspirent, ils filtrent la lumière du soleil, plutôt ardent.
Nous entrons dans la salle du chapitre à l’entrée de laquelle se tient un soldat. Tout de suite, ça refroidit l’atmosphère. Enfin, celui-là à l’air de profondément s’ennuyer et joue avec son téléphone portable. Un gamin presque comme un autre.
Au fond de la salle, deux autres militaires en faction, jambes écartées, la main posée sur le fusil mitrailleur dont la crosse est posée à terre (je ne sais pas si c’est un fusil mitrailleur, mais ça sonne bien). Ils veillent sur la tombe du soldat portugais inconnu. Et restent stoïques. Il faut dire qu’on n’a guère envie d’aller leur faire guiliguili sous le menton.
D’ordinaire, si les salles capitulaires abritent des tombes, ce sont celles d’évêques, de nobles ayant contribué à la vie de l’abbaye. Mais le Portugal a choisi Batalha pour y installer la tombe de son soldat inconnu car symboliquement, la victoire qui a présidé à l’édification du monastère est encore bien présente dans la conscience nationale/ Plutôt qu’un arc de triomphe, somme toute très républicain, ils ont préféré un couvent qui est resté l’emblème de toutes les batailles remportées par le pays.
Au dessus du soldat inconnu, un voûte étonnante et audacieuse. Elle s’écroula deux fois lors de sa construction. Ce furent alors des condamnés à mort qui furent chargés de terminer le travail. A la fin, quand les échafaudages furent retirés, l’architecte qui avait conçu la voûte y passa la nuit pour prouver sa solidité et l’exactitude de ses calculs.
On devrait ériger un mausolée à l’ouvrier inconnu en souvenir de tous ceux qui sont morts sur les chantiers des monuments qui régalent nos yeux. Eux aussi ont construit les patries. Inconnus parmi les inconnus.
Le lavabo, dans lequel les moines faisaient leurs ablutions avant d’aller se restaurer est un endroit de fraîcheur. La lumière joue avec l’eau et éclaire les face joufflues des personnages sculptés pour les robinets. L’un d’entre eux nous amuse beaucoup. Il ressemble en effet beaucoup à la marionnette de Sarkozy aux Guignols.
Près du lavabo, le réfectoire et la cuisine ont été transformés, l’un en musée militaire l’autre en boutique de souvenirs. L’ancien cellier expose les sculptures qui ont été déposées car trop abîmées par le temps et remplacées par des copies. Des panneaux indiquent leur emplacement primitif.
Puis on passe au second cloître, celui d’Afonso V, sobre, gothique. Il abrite une école professionnelle d’architecture, fermée puisque nous sommes en août. Les salles qui le jouxtent n’étaient pas liturgiques. Elles sont utilisées maintenant pour les cours. Les travaux pratiques, eux, ont lieu dans deux allées du cloître fermées au public mais néanmoins visible par dessus la balustrade. On peut y admirer quelques œuvres des élèves et on comprend immédiatement l’intérêt pour un tel monument d’abriter pareille école.
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1. Le mercredi 18 octobre 2006, 10:27 par andrem
Etrangement, je crois bien que Batalha, et particulièrement son cloître où tu nous entraînes, est cause de l’oubli où avait sombré Alcobaça dans mon cerveau brouillardeux. Qui ne le mérite pas pourtant, je parle de l’oubli et d’Alco, pas de servo.
Un soir de passage où le soleil couchant traversait les dentelles de pierre et les transformait en une sorte de songe aérien, où la bâtisse construite à grand peine s’élevait au dessus du sol, devenue lumière pure, image diaphane, où soudain les ouvriers écrasés par les essais maladroits étaient transfigurés par l’heure tardive en démiurges immortels.
Il ne faut jamais oublier le malheur sur quoi est construite la splendeur, et qui l’a rendue possible. Il ne faut jamais rien mélanger: ce n’est pas le malheur qui est le prix de la splendeur, mais celle-ci qui sauve la mémoire des victimes de l’imprudence et de l’incompétence. Non pas un juste prix, mais une réparation minimale, et une reconnaissance définitive.
2. Le mercredi 18 octobre 2006, 12:52 par Akynou
malheureusement, ces ouvriers qui ont tout perdu dans ces construction, qui s’en rappelle ? Ici les guides ne les mentionnent qu’à cause de l’architecte qui passa une nuit entière sous la voûte une fois construite : la belle affaire…
3. Le vendredi 20 octobre 2006, 18:41 par andrem
Une longue histoire attend dans l’ombre. J’avais pensé à la question un jour nostalgique en Italie, du côté de Puglia, la Pouille, loin là-bas.
Dès que je peux m’échapper longtemps, je te fais un copier-coller de mon passage à Lecce, qui parle des oubliés des chapiteaux, des pinacles, des meneaux, des frises, des gargouilles. Si je le mets pas en commentaire, j’en ferai un billet de bloghumeur, et je te préviendrai ici.
Il ne faut jamais oublier ceux sans qui ces dentelles n’auraient jamais existé. Qu’ils aient préri sous la voûte fragile, ou dans leur lit en crachant leurs poumons silicosés.
4. Le vendredi 20 octobre 2006, 18:42 par andrem
Péri, comme Gabriel; ne pas confondre avec prurit.





