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Quand on a reçu une éducation classique, avec les goûts qui vont avec, le laid, non seulement fascine, mais donne une petite illusion de transgression. Je connaissais une journaliste, jeune fille de bonne famille s’il en est, au nom à particules (plusieurs) qui adorait s’habiller en Barbie. Elle n’aimait le rose sirupeux et le kitsch et m’avait avoué un jour qu’elle avait trouvé là un excellent moyen de faire chier sa famille. Elle passait souvent pour la sympathique neuneu de service, mais c’était une femme très avisée. Elle m’a révélé le pouvoir du rose punk, Barbie chez les révolutionnaires, la revanche du vulgaire.

A peu près à la même époque, sans doute un plus tôt, j’ai participé à une fête de mauvais goût. Il fallait apporter l’objet le plus déplacé possible en cadeau à notre hôte qui comptait fort sur notre esprit imaginatif. Un peu pressée par le temps, je me suis contentée de lui offrir des produits pour nettoyer ses chiottes très soigneusement emballés dans du papier de soie.

Je ne me souviens pas vraiment de ce qu’avaient apporté les autres. Tout était resté assez gentillet en somme. A une exception près. L’un des convives avait apporté une poule. Ce qui est, lorsqu’on habite un studio de 20 mètres carrés sous les toits d’un immeuble parisien, particulièrement de mauvais goût. La volaille, avant d’être transporté chez la grand-mère de notre hôte, lui a ruiné sa douche…

J’ai vécu mon adolescence dans les années soixante-dix qui étaient, déjà à mes yeux, à l’époque, particulièrement de mauvais goût. Le papier peint de la chambre de Samantdi me rappelle immanquablement une pub des années quatre-vingt qui me faisait hurler de rire : un fanfaron conduisait sa dulcinée à sa piaule sous les toits. Pendant toute l’escalade des escaliers, il lui débitait le nom des philosophes, romanciers, essayistes qu’il avait lus. Arrivés dans l’appartement, la belle poussait un hurlement et, se tournant vers le (petit) prétentieux, lui assenait : « En tout cas, t’as pas lu Vénilia » (marque de papiers peints). Et l’on découvrait alors la piaule du pseudo intello, avec au mur un papier, plus seventies, tu meurs.

La mode ne tenait pas qu’à la tapisserie. Il y avait aussi le mobilier, aux formes et aux couleurs dites psychédélique. J’ai, près de chez moi, un antiquaire spécialisé dans ces années-là, je retrouve donc régulièrement, avec amusement, les décors qui faisaient mon étonnement dans les films ou dans certains appartements de nos connaissances. Je me rappelle encore cet espèce de bahut que mes parents avaient acheté pour mettre dans la chambre que je partageait avec une de mes sœurs : un grand machin blanc crème, avec des vitrine, des portes qui se rabattaient, des formes à la con : pas solide, pas beau, pas pratique, mais très mode.

Chez nous, pourtant, c’était le règne du mobilier rustique comme on disait. Pas du Louis Caisse, non. Ma mère affectionnait les tables de cuisine en bois massif, des meubles des siècles précédents, des bidules en fer forgés qu’elle peignait en noir et disposait harmonieusement dans la maison, des pots de grès, qui firent dire à la femme qui venait faire le ménage chez nous : « Ben, vous n’avez pas un vase plutôt que ce pot de graisse pour mettre vos fleurs…» Cette dernière nous racontait qu’elle avait mis à la poubelle tout un tas de vieilleries pour pourvoir s’acheter ses meubles en formica. Je crois que ma mère frémit encore à s’imaginer les vieilleries mises ainsi à la décharge.

Question vestimentaire, jusqu’à l’âge de 15 ans, c’est ma mère qui choisissait nos vêtements. Chaque dimanche soir, elle mettait au pied de notre lit la tenue de la semaine, des vêtements récupérés dans la famille pour la plupart. Quand il s’agissait de ma tante, ça allait, celle-ci aimait la mode et la suivait de près avec beaucoup de goût. Quand les frusques venaient des cousins du Luxembourg, c’était nettement moins fun. J’ai, depuis, une aversion certaine pour le pied de poule, pourtant très in en ces années-là.

Là où nous habitions, il était très difficile de se faire sa propre mode, comme c’est le cas aujourd’hui. Un certain uniforme était de rigueur.Nous avions donc le choix entre le style depuis mis en avant par les Deschiens : jupe, col roulé en acrylique, collant chair trop épais, blouse et gilet un peu étroit (la blouse était obligatoire dans mon collège) à la Yolande Moreau ou le look soixante-dix : cols pelle à tarte pour les hommes avec des cravates à faire peur, pantalon patte d’éph’, couleurs à l’avenant. Je me souviens particulièrement d’un pantalon très rouge, très patte d’éléphant et d’une chemise indienne vert pomme que je mettais souvent ensemble. J’avais, pour l’hiver, un manteau court en fausse moumoute blanche, qui sur mes canes de serin, me donnait l’allure d’un échassier. Il faut dire qu’à 13 ans, je dépassais déjà le 1,70 mètre.

Quand nous sommes revenus en région parisienne, quand ma mère a commencé à relâché l’étau de ses exigences vestimentaires, j’ai opté pour ce qui me semblait le moindre mal et qui me semblait une cuirasse tout à fait pratique  : le jean, le pull large, l’écharpe de 4 mètres (je sais, c’est moi qui l’avait tricoté. Je me la suis faite voler au cour de danse tellement elle était chouette). Un peu bab, ma mère appelait ça : « le style sale. » Mais c’était ma mère et donc c’était bien qu’elle n’aime pas. Elle m’avait tout de même crocheté un poncho (que j’ai toujours) qui ferait fureur maintenant et un gilet afghan. Ha ! le gilet afghan ! autre grand moment…

Par contre, j’aimais bien la mode des filles dans ces années là : mini jupe, manteau maxi, botte cuissarde. Enfin, j’aimais bien sur les photos. Parce que porté par certaines de mes copines, ça devenait un cauchemar…

La note de Tarquine sur le catalogue Manufrance de ces années-là a joué un peu le rôle de la madeleine de Proust. Elle a ouvert la porte du temps, la pop musique a envahi mes oreilles. Mes camarades de classe connaissaient tout Mike Brandt, tout Claude François. Alain Chamfort chantait dans des costards à paillettes. Puis est arrivé un dénommé Cerrone et le disco qui sera la musique reine la décennie suivante. On découvrait aussi le Bob, Marley, le reggae. Et ça, c’était déjà plus sympa.

Je ne connaissais rien au pop art, je l’ai découvert bien après, mais Jacquou le croquant me fit pleurer dans ma chaumière, bien plus que Jacouille ne me fit rire des années lumières plus tard.

Le décor des journaux de TF1 faisait mal aux yeux, les cravates de Roger Gicquel aussi, son « La France a peur » a propos de l’affaire Patrick Henry dont un avocat célèbre et talentueux sauva la tête l’année de mon bac nous terrorisait. La femme de cet avocat fut ma prof de philo et elle nous fit reconsidérer le monde de façon salutaire…

Bref, nostalgie, quand tu nous tiens. Et pourtant, j’ai détesté ces années-là. Je suis incapable de revoir un film de l’époque sans avoir le bourdon immédiatement. J’avais l’impression de vivre dans un immense rêve glauque et humide ou toutes les apparences étaient trompeuses, où l’on ne pouvait se fier à personne.
C’est pendant cette période que ma famille a commencé à imploser. La déflagration finale aura lieu au milieu des années quatre-vingt-dix, soit vingt ans après. Mais elle fut comme un soulagement, un abcès qui se perce et qui vide son pu saumâtre. Ce n’était pas une tragédie, juste une longue et cruelle agonie.

La révolution sexuelle n’y fut pas pour rien. A revoir les années précédentes, si pleines de tabous, d’interdits, de frustrations, je comprends qu’il était urgent de faire changer les mentalités.Mais une génération d’enfants a été la victimes de cette nécessaire révolution quand leurs adultes de parents, ivres de sensations nouvelles, ont commencé à péter un câble et à ne plus se conduire comme des adultes responsables de leur gamins. Je me souviens avec tristesse de ces soirées interminables où mes sœurs et moi restions entre nous pendant que mes parents faisaient la fête (la beuverie) chez les voisins. Eux qui auparavant nous emmenaient partout se mirent de plus en plus souvent à nous laisser pour aller faire la fête.

Je me souviens de ces fiesta ou tout le monde rappliquait à la maison pour s’en mettre plein la lampe, où mon père confondait notre mère et ses maîtresse, où nous devions faire attention avant de décider d’aller dans une autre pièce (y compris nos chambres) de bien vérifier qu’il n’y avait pas quelqu’un en train d’y baiser. Une période où je pris l’habitude de changer mes draps très régulièrement pour ne pas dormir dans le foutre des autres. Une période où ma mère commença à tutoyer les bouteilles. Une période où nous eûmes la chance de ne pas tomber sur des mecs que notre jeunesse émoustillait un peu trop (en tout cas, nous pûmes toujours nous en dépêtrer) mais le malheur de tomber sur notre père.

Alors, oui, je déteste les papiers peints de l’époque, les couleurs marronnasses, les pantalons pattes d’éph’, les vannes poisseuses, les beaufs et les Bofs, les pavillons de banlieue et certains coins du Val de Marne. J’ai aussi longtemps haï les dimanches et abhorré ces années qui pour moi sont le comble du vulgaire. Mais au moins, je sais pourquoi

Eh bien, nous voilà fort loin de ce que je voulais vous narrer. Cela fera une l’objet d’une prochaine note.

Le jeudi 30 décembre 2004, 16:49 par samantdi
Il y a beaucoup de choses que j’ai connues dans ce que tu racontes… Née en 1961 à la campagne, j’ai connu les tenues choisies par maman, qui, bien qu’ouvrière avait le goût « du beau » et des choses qui avaient « de l’allure ». Elle est d’ailleurs, à 80 ans, toujours abonnée au magazine « Elle » ! Par opposition, et peut-être par désir d’assumer nos racines prolos, j’ai opté pour les imprimés « de concierge » qualifiés de « vulgaire », pour mon plus grand bonheur et goût pour l’auto-dérision. Elle, elle ne connaît que trois couleurs : le bleu marine, avec un liseré rouge et une touche de blanc (petit foulard par exemple), alors que moi je raffole des imprimés ! 
A la limite elle accepte certains verts, la gamme des gris… Quand je choisis par extraordinaire quelque chose qui lui plaît, elle s’exclame : « Eh bien, en vieillissant, je crois qu’il te vient quand même un peu de goût! » 
Comme toi, je garde un souvenir extrêmement mitigé des 70’s, années où ma vie comme la tienne, a pris certaines formes qui devaient laisser durablement leur empreinte… 
Eh bien, ce catalogue Manufrance de Tarquine, il nous en fait faire, des commentaires, et ce n’est pas fini… 
Je t’embrasse.

Le jeudi 30 décembre 2004, 17:12 par Racontars
Très classique ta mère :-) plus que la mienne quand même. Qui me fait pourtant toujours la guerre sur ma façon de m’hailler qu’elle trouve trop juvénile. Tout de même, à mon âge, je devrais … et puis cette coiffure…
Je la laisse dire, ça ne m’agace plus.
En fait, je voulais raconter tout à fait autre chose sur le gout du vulgaire. mais j’y reviendrai. Mais là, faut que je fasse un peus emblant de bosser quand même…

Le jeudi 30 décembre 2004, 21:47 par Jocker
Moi aussi je suis de 61… de juillet,(du 4évidemment) donc beaucoup plus jeune que vous toutes, ben ne le répétez à personne, mais il m’arrive de mettre  » Qui Saura  » et de chanter à tue-tête. C’est sympa tous ces souvenirs !

Le vendredi 31 décembre 2004, 02:00 par Aude dite Orium
Souvenirs, souvenirs….
Arch!!!! Nostalgie! Le goùt de l’enfance… 
T’as pas laissé de commentaire sur mon blog?! Tu réclames et après tu dédaignes… hum! Pffff!!!! 
Et py arrêtes de faire senblant de bosser, c’est mauvais pour la santé. 
Bisouxxx

Le vendredi 31 décembre 2004, 04:48 par AURORA
Ben, j’attendrai patiemment ta blog story alors…
Mais avant fin 2005, promis?
Bonnes fêtes à vous… 
AURORA

Le vendredi 31 décembre 2004, 16:05 par a n g e l
très belle note. sans faute de goût ;)

Le lundi 3 janvier 2005, 19:24 par Rainette
Ben mince, on doit être de la même génération, j’ai tout retrouvé ! J’ai pas non plus aimé la mode des filles de mon âge et j’ai adopté le jean. Papier peint… et tout ! Mais maintenant que l’âge avance… j’ai un petit regard plein de nostalgie pour certaines choses dont : les colos ! Parce que j’ai connu, j’ai aimé (ouai, mais j’étais en 4* chateau, piscine, chevaux…) Je reviendrai te lire, j’aime beaucoup ! ;-)

Le vendredi 7 janvier 2005, 14:57 par JazzMoi, j’ai pô du tout connu, je suis née au début de 79…
Je ne connais des années 70 que l’image que la télé, le cinéma où les chansons m’en inspirent.
Mes 70’s à moi, ce sont les années 90. Des souvenirs semblables, juste 20 ans plus tard. Ca me file le cafard…