Guita se glisse sans peine sur la banquette en face de moi. Petite, menu, le visage fin et des yeux verts en amandes, elle a un sourire discret et une douceur qui donnent une autre dimension à cette apparence fragile. Il y a de la détermination dans ce sourire-là.
Elle est arrivée en France le 8 janvier 2004, avec ses trois enfants, un garçon qui a aujourd’hui 15 ans, et deux filles de 13 et 8 ans. Ils ont fuit l’Iran pour une histoire de Livre. Envoyé en Turquie de longs mois pour un boulot de commercial, son mari en revient muni d’un opuscule sur une religion qui n’est pas celle préconisée par son pays. Il a été mis immédiatement en prison, lui, le vétéran de la guerre Iran Irak, blessé au combat. A sa libération, la famille n’a pas hésité. Le danger était trop grand. Il fallait fuir, fuir avant que les gardiens de la révolution ne reviennent.
Pour Guita, la décision n’a pas été douloureuse. Bien sûr, il y avait l’arrestation de son mari et la menace. Mais elle n’en pouvait plus de n’être qu’une femme dans un pays où celles-ci sont niées. Même libre, elle s’y sentait en prison.
Ils ont marché quatre jours et presque autant de nuits pour arriver tous les cinq en Turquie. Où ils sont resté une année bon an mal an. Séjour entrecoupé par des tentatives pour partir ailleurs, plus loin, mais qui se sont toutes soldées par un échec. A chaque fois, la même chose : des petits boulots pour réunir un pécule afin de payer les passeurs, le départ, la marche de jour comme de nuit, la faim quand les provisions s’achèvent et l’arrivée en Grèce, où ils se font arrêter. Et expulser. Retour vers la Turquie.
A la troisième tentative, léger changement de scénario. Nous sommes en pleine guerre américaine contre l’Irak. La famille de Guita se fait passer pour Irakienne. Les expulsions vers ce pays sont alors impossibles à cause du conflit. Mais ils sont emprisonnés. « Pas dans un camp de réfugiés, précise Guita, dans une vraie prison. » Ils sont une centaines à croupir là, pendant trois mois.
« Un jour, raconte la jeune femme, un surveillant a maltraité mes enfants. Ils leur a parlé comme on ne parlerait pas à des animaux. Mon mari a demandé quelle était la raison de cette attitude. On l’a matraqué. Comme j’ai voulu intervenir, les gardiens s’en sont pris à moi aussi. Nous avons été roués de coups, devant les enfants qui hurlaient. Vous savez, ma plus jeune fille avait juste 5 ans. Je croyais qu’elle avait oublié. Mais elle s’en souvient encore très bien. Elle l’a raconté à sa maîtresse l’autre jour : la prison, les voyages, la marche, la faim… »
Quand Bagdad est tombé, les « Irakiens » ont été mis dans des camionnettes, direction l’Irak. Lors du trajet, les parents avouent qu’ils ont menti sur leur nationalité. Ils sont arrêtés à nouveau. Les policiers qui les interrogent leur promettent la tranquillité s’ils donnent leur passeur. Mais ils refusent. Ils sont alors laissé en prison pendant une semaine. Puis libérés, sans autre forme de procès.
Toutes ces expériences les ont quelque peu refroidis. Ils décident donc de quitter la Grèce, de partir ailleurs. Pourquoi pas la France où ils ont des connaissances ? Ils travaillent six mois, toujours pour acheter les guides et de faux passeports qui leur permettront de monter sur le bateau qui les conduira en Italie. Quand ils embarquent, Guita et ses enfants sont devenus allemands, le père, belge.
Malheureusement, avant d’arriver, le bateau est inspecté par la police italienne. Tout le monde est contrôlé. Le père est arrêté. Guita et ses enfants s’en sortent quasi miraculeusement : le fils aîné (12 ans à l’époque) s’est emporté en disant qu’il était allemand et qu’il en avait assez d’être contrôlé pour un oui ou pour un non. Les policiers les ont laissé passer…
Guita et les enfants restent en Italie une semaine, le temps de soigner la plus jeune qui est tombée malade. Puis ils prennent le train pour Paris. Personne ne les y attend. Guita téléphone alors à une amie qui l’envoie vers la Cafda. cet organisme leur trouve un hébergement dans un hôtel à Bercy puis dans le 18e. Le père, qui avait été renvoyé en Grèce, les rejoint un mois plus tard. Les enfants sont très vite scolarisés.
Aujourd’hui, l’aîné et la seconde sont en 3e et en 5e. La dernière est en CE2. Ce sont de bons élèves. La famille est logée dans un petit hôtel du bas Montmartre où ils occupent deux chambres. Ils ont demandé l’asile politique mais ont été débouté par l’Ofpra puis par la commission de recours. Ils ont donc déposé, avec l’aide du comité citoyen de l’école de la petite, une demande de régularisation au titre de la circulaire Sarkozy. Ils ont été convoqués en vue d’une régularisation, mais ce jour-là, en fait, on ne leur a demandé qu’un complément de papiers. Depuis, ils attendent.
Ils travaillent tous les deux, au noir évidemment. Mais il faut bien survenir aux besoins de la famille. Si l’hôtel est pris en charge par la Cafda, il en va autrement de la nourriture, des vêtements, des fournitures scolaires (environ 100 euros par enfant dans le collège du quartier). Lui, qui était artisan ébéniste, travaille sur des chantiers, il y fait surtout de la peinture. On lui a promis un contrat d’embauche s’il obtient ses papiers. Elle était secrétaire. Elle garde des personnes âgées, ou des enfants. Elle fait aussi des ménages. Elle prend tout ce qu’on lui propose en fait. Mais elle a un rêve. Si elle est régularisée, elle voudrait reprendre ses études d’infirmière.
Est-ce qu’elle repartirait dans son pays si la situation s’améliorait ? « Mais mon pays, maintenant, c’est la France ! » se récrit-elle. Puis, comme j’insiste, avec son drôle de petit sourire, elle m’explique : « La situation peut changer. Mais les mentalités… Cela fait trente ans que les religieux ont pris le pouvoir, trente ans que la femme n’a plus le droit d’exister. Ma sœur vit toujours là bas. Son mari la bat. Quand je l’ai au téléphone, elle pleure, elle veut partir. C’est trop de souffrance. Parce que là bas, elle n’a que le droit de se taire. J’aime l’Iran. Mais ma vie, ma liberté, sont ici. »
J’ai rencontré Guita cette semaine pour un projet qui me tient à cœur, le Blog Terres d’accueil, qui doit réunir des photos de lieux d’accueil et des portraits de gens sans-papiers, pour leur donner une autre réalité que de simples chiffres… Si vous souhaitez participer, vous pouvez m’envoyer des photos et des textes (pas de polémique, juste des portraits de gens qui sont dans cette situation).
Pour elle et pour toutes les autres familles sans-papiers du quartier, les écoles organisent un apéritif demain 20 octobre, place des Abbesses, à partir de 18h30. Si vous passez dans le coin, vous serez les bienvenus…
1. Le jeudi 19 octobre 2006, 16:29 par Nab
Merci akynou, de nous faire partager, encore et toujours ces histoires, belles ou révoltantes, mais qui me donnent l’impression de ne pas vivre dans un monde fou, indifférent, consumériste, qui me prouve que l’engagement, la citoyenneté et l’empathie ne sont pas que des grands mots, mais veulent encore dire quelque chose. Cela me fait du bien.
2. Le jeudi 19 octobre 2006, 17:01 par Aude Dite Orium
…
3. Le jeudi 19 octobre 2006, 17:24 par Akynou
Aude, mais encore ? 
Quand on clique sur le lien que tu mets en réponse, on arrive sur une page où il est écrit que le blog demandé n’existe plus. Comme je sais qu’il n’en est rien, vérifie la syntaxe du lien.
Nab. Merci à toi 
4. Le jeudi 19 octobre 2006, 18:19 par luciole
Oui c’est une bonne chose de raconter ces histoires, ça nous sort des chiffres, des statistiques et des à priori. Cela leur rend un peu de l’humanité qu’on leur a volé …
5. Le jeudi 19 octobre 2006, 19:07 par samantdi
Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour aller sur le blog mais je trouve que c’est une superbe idée. Sortir des généralités et raconter des parcours de vie : changer le lieu depuis lequel on regarde…
6. Le vendredi 20 octobre 2006, 13:25 par Fauvette
Je suis très touchée par Guita.
Je ne suis pas libre demain à cette heure là, hélas. Sinon je serais venue.
(Je t’ai envoyé une photo par mail, l’as-tu reçue ?)
7. Le vendredi 20 octobre 2006, 20:44 par Amazone
Trop tard, c’est dommage…
8. Le vendredi 20 octobre 2006, 21:43 par Vroumette
Tout comme Sam, j’aime ces récits de vie. Un ouvrage recueillant le témoignages de toutes ces familles que certains en France refuse d’accueillir leur parlerait peut-être davantage que les discours nauséabonds de certains.
Juste avec ces quelques lignes, Guita m’est déjà sympathique.
9. Le samedi 21 octobre 2006, 00:18 par Fauvette
Ce n’était pas possible ce soir non plus (zut, mais c’est vrai); mais j’ai pensé à vous.
Vroumette a raison, un livre, un recueil de témoignage est une excellente idée.
10. Le samedi 21 octobre 2006, 00:42 par Oxygène
Merci de donner de la chair aux chiffres anonymes cités quotidiennement par les dépêches d’agences. Leur histoire est héroïque. Je me demande si j’aurais le courage d’en faire autant.