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Je ne laisse pas tomber l’affaire des dates et des gènes, mais j’ai un diptyque sur le feu. Et il faut bien que je me prenne à mon propre jeu…

Denis était le plus gentil des garçons. Et avec ses grands yeux bleus innocents et sa petite gueule d’ange, il aurait dû être la coqueluche de toutes les filles de la bande. Mais ce qu’il provoquait chez elles était bien loin de l’amour : de la commisération, de la pitié et quelques fois des crises de fous rires qui n’en finissaient pas… C’est que Denis manquait singulièrement de chance. En tout cas, il avait dû arriver bon dernier le jour de la distribution, ce qui en soi, déjà est une signe.

Voulait-il emmener une des ses amies au cinéma que sa voiture tombait en panne. Pas au milieu du chemin, au moins, on l’aurait pris pour un goujat. Non, devant la maison de la fille. La soirée tombait immanquablement à l’eau, Denis rentrant à pied chez lui avant de revenir le lendemain avec le dépanneur puis plus du tout ensuite… S’il arrivait jusqu’à la case restaurant, c’était pis encore. Il passait son repas à ramasser sa fourchette, puis sa serviette, puis son couteau. Quand ce n’était pas son verre de vin qu’il renversait sur la table ou sur sa convive. Si il y avait une mouche dans le potage, elle était pour lui, et un serveur maladroit, c’était pour son pantalon.

Il était devenu le sujet de plaisanteries favori de tous ses amis, qui étaient fort nombreux, car s’il était malchanceux, il n’en restait pas moins gentil. Et surtout drôle. Il surmontait chacune de ces avanies avec un désespoir poli et un humour désabusé qui le rendait, malgré tout, très populaire. Sauf que tout le monde refusait de partir où que ce soit avec lui. Il portait vraiment trop la poisse. L’emmener était le meilleur moyen de perdre une compétition, d’avoir de la pluie à la plage, une panne sur l’autoroute, de se faire flasher par un radar ou de se faire barboter ses économies. Les week-ends et les vacances de Denis restaient donc désespérément solitaires.

Comme ils avaient pitié, ses copains préparaient leurs départs en douce. Ainsi, quand ils décidèrent d’aller passer la Pentecôte dans la vieille maison de Jean, en Camargue, ils se mirent à éviter le garçon qui n’était dupe de rien er restait donc cloîtré chez lui. Seule Valérie l’aperçut, un matin, à la boulangerie. Il eut un sourire gêné quand il la vit et détala dès qu’il put. Elle eut honte. Quand elle retrouva la bande ce soir là au café, elle mit les pieds dans le plat.
– C’est dégueulasse ce qu’on fait à Denis. C’est notre pote quand même…

Seul le silence lui répondit et chacun se mit à trouver le fond de son verre passionnant.

– Bon, d’accord, il ne lui arrive que des merdes. Mais vous ne croyez pas que la plus grosse, c’est de nous avoir, nous, pour copains ?
– Arrête Valérie, s’insurgea Bertrand. Tu étais la première à râler l’année dernière quand on a campé toute la semaine dans le jardin de Jean sous la flotte. Sans compter l’électricité qui est tombée en rade, ma tente qui a foutu le camp, Pascal qui s’est fait emboutir sa camionnette, Hélène qui a cassé son moteur. Et toi, tu as oublié qu’on te l’a tirée, ta caisse toute neuve ? Total, il a fallu qu’on rapatrie tout notre barda dans la vieille Ami 8 de Jean, y compris le frigo qui devait revenir avec la camionnette. Et nous, on a pris le train. Qui, comme on était encore avec Denis la poisse, est resté bloqués toute la nuit à la hauteur de Montpellier. Alors merci, hein. Ce genre de plan pourri, pas deux fois.

– Oui, c’est vrai, ajouta Pascal. Denis, on l’adore. Mais dès qu’on part avec lui, il nous arrive que des trucs pas cool.

Valérie ne répondit pas immédiatement. Elle se souvenait parfaitement que le week-end lui avait coûté une discussion houleuse avec son père qui ne comprenait pas comment elle avait pu se faire voler son véhicule moins d’une semaine après qu’il le lui ait offert. Mais on ne pouvait pas transformer Denis en paria tout de même. Elle décida d’insister et fit tant et si bien que les autres se laissèrent fléchir. Il était difficile de résister à sa mauvaise conscience et à l’entêtement de Valérie.

C’est ainsi que le vendredi soir, la petite bande se mit en route avec un Denis qui n’en pouvait plus de joie. Contre tout attente, le voyage se déroula sans encombre. Le samedi, malgré l’anxiété des jeunes gens, le temps resta au beau fixe. Ils passèrent la journée à la plage. Il n’y eu pas de noyé, pas de raz de marée, pas de méduse ni de vives. Rien. Ils finirent par oublier la scoumoune et, dans l’euphorie, décidèrent d’aller, le soir même, manger des fruits de mer au restaurant voisin. Ils n’auraient peut-être pas dû tenter la chance à ce point car celle-ci est inconstante et espiègle…

Le lendemain, ils étaient un peu nauséeux, mais rien encore de catastrophique. Ils mirent cela sur le compte du picpoul dont ils avaient quelque peu abusé. Ils se rendirent à la plage. Une heure plus tard, d’eux d’entre eux furent pris d’un violent mal de ventre et d’une envie aussi subite qu’urgente. Ils se précipitèrent vers les seules toilettes de la plage. Bientôt, il n’arrêtèrent plus de s’y relayer. Garçons et filles se succédaient sur le trône. Tous, sauf Denis qui n’aimait pas les moules.

Inutile de rester plus longtemps. Il décidèrent de rentrer. Mais quand, à la queue leu leu, ils dépassèrent les toilettes qu’ils avaient si abondamment fréquentées, ils blêmirent. Aucun ne s’était rendu compte qu’il manquait un grand panneau au fragile édifice et que, massés sur la dune la plus proche, les gamins du village en avaient profité pour se rincer l’œil.

– Putain, Denis, tu fais chier…

Ce texte est donc ma participation diptyque, L’histoire des photos de Rh.P. Je vous conseille d’aller visiter son album car ses photos sont vraiment magnifiques…

Le jeudi 23 novembre 2006, 13:35 par Anne

Quelle imagination ! Pauvre Denis, quand même… :-D

2. Le jeudi 23 novembre 2006, 16:01 par andrem

Akynou, merci de tes bravos; j’ai beau faire le fier j’en suis toujours content. Et surpris parfois d’avoir plu.

Une fois le truc jeté dans la nature, je n’aime pas relire ce que j’ai écrit. Trop vite, trop flou, trop téléphoné, trop tout. Alors un bravo me console et je m’interdis de relire désormais.

La meilleure est que ma connexion capricieuse va au delà de mes désirs. Je suis venu ici lire ton histoire de Denis la scoumoune, que j’ai aimée aussi (ce n’est pas un retour d’autocongratulation d’ascenseur, j’aurais aimé même sans ton bravo, la preuve, je regrette de ne pas l’avoir trouvée moi-même cette histoire). Ma connexion a décidé de m’interdire l’accès à mon histoire postée sur ton diptyque.

Aucune difficulté pour « lieu et besoin d’aisance » d’Orpheus, aucun obstacle pour « ON QUITTAIT LE BORD DE LA MER, d’Anne Chiboum. Mais entre les deux, le panneau sinistre « IWSS Security Event (srv-interscan) » au lieu de mon texte. Mystère de l’informatique, ou incompatibilité des liens photos, peut-être.

Pourquoi m’as-tu dis, chez moi, que j’aurais dû joindre les photos? Je l’ai fait, mais elles ne sont pas affichées, et seules en restent les traces cadrées.

Encore un coup de Denis je parie.

3. Le vendredi 24 novembre 2006, 11:24 par andrem

Le barrage se produit maintenant quand je vais chercher le texte sur mon propre blogue !! Est-ce que tu rencontres la même anomalie quand tu cherche à ouvrir le texte dans ton blogue de jeu, ou quelqu’un d’autre qui le lirait de l’extérieur?

C’est agaçant d’être privé de soi.

Heureusement que je ai gardé le texte en fichier Word sur ma clé (avec les deux photos). A tout hasard, je vais changer le titre qui me plaisait bien (je peux accéder au titre via le code HTML), c’est d’ailleurs d’avoir vu le film Babel qui m’a inspiré l’histoire, alors je voulais lui créditer le titre. Mais il est peut-être des administrateurs qui ne peuvent supporter les mélanges, que tu sais si bien vanter.

En cas de succès (improbable), je te donnerai le nouveau titre pour modification du billet chez toi.

Bon Vendredi, bon Samedi, bon Dimanche, en un seul mot.

4. Le vendredi 24 novembre 2006, 18:25 par Anitta

Dommage qu’il n’existe pas — comme au Scrabble — la case Image compte-double au Diptyque, il aurait fallu y positionner ce poisseux billet… Double roulement de tambour ;-)