Dans la vie, je ne suis pas contre une certaine dose de surprise. Aussi, quand une amie m’a invitée jeudi dernier à aller voir un spectacle avec elle au théâtre des Abbesses, j’ai dit oui avec enthousiasme. Ce n’était pas prévu, j’allais sans doute avoir la soupe à la grimace de la part de mes filles, mais après tout… Et mon amie m’a précisé que cela ne durait que cinquante-cinq minutes.
Et c’est donc sans aucun a priori que je me suis présentée, en sa compagnie et celle d’une autre de ses amies, aux portes du théâtre en ce vendredi soir.
D’abord, nous avons commencé par un jeu de piste. L’entrée de la salle se faisait obligatoirement par le sous-sol. Mais curieusement, les portes étaient fermées, alors que, d’habitude, quand nous arrivons, tout est grand ouvert. La queue des gens qui attendaient était telle que nous sommes remontées à l’étage, pour essayer de prendre place au balcon. tout le monde ne pouvait pas loger à l’orchestre, c’était évident.
Mais le balcon était fermé. Pas de spectateurs prévus là haut.
Nous sommes donc redescendues et avons patienté dans la foule et la chaleur. Une annonce nous fut faite disant que le spectacle allait commencer et que nous devions rejoindre nos places au plus vite. Mais les portes étaient toujours fermées. Quand nous entrâmes dans la salle, les fauteuils à l’orchestre étaient tous ou presque occupés, nous dûmes rebrousser chemin, et remonter au balcon, qui entre temps avait été ouvert et s’était , lui aussi, bien rempli. Nous voilà à remonter les marches quatre à quatre. Nous avons voulu nous installer dans une des loggias, mais encore une fois, nous avons été refoulées. Pour des raisons de sécurité (sic), elles étaient interdites. Pourtant, d’habitude, elles étaient pleines. Nous avons fini par trouver des places assises, côte à côte, sur lesquelles nous nous sommes laissées choir en râlant (pour moi), en soupirant (pour mon amie).
Les spectacles au théâtre des Abbesses, il faut les mériter. Cela demande un sacré entraînement.
Sur la scène, un miroir. Nous pouvions voir les spectateurs de l’orchestre. Puis le noir se fit petit à petit et une espèce de bruit, genre salle des machines ou moteur d’avion sur un tarmac, a envahi la salle. C’était tellement fort que je fus obligée de me boucher les oreilles. Et ça n’arrêtait pas. Au fur et à mesure que le noir se faisait, apparurent, derrière la glace sans tain, quatre personnages dont on distinguait à peine le visage. On ne voyait bien que leurs avant-bras et leurs poings peints en blancs.
Puis les avant-bras se mirent à bouger. A tout allure ou tout au moins sur une rythme endiablé. Chaque danseur faisait des mouvements qui pouvaient être les mêmes que ceux du voisin, ou différents. Le tout formait des figure géométriques en perpétuel mouvement. Le genre de truc qui est impressionnant, mais qui va bien cinq minutes. Au bout de dix, on a compris, au bout d’un quart d’heure on commence à trouver le temps long. Profitant d’une accalmie dans les décibels, je glissais à l’oreille de mon amie : « Le comble serait que ça dure cinquante-cinq minutes comme ça. » Le vacarme assourdissant s’est enfin calmé, le noir total s’est fait et a duré un long, long, long, long moment…
Quand la lumière est revenue sur scène, on ne voyait plus que les bras, plus du tout les visages. Le concept était le même que précédemment, mais sur un rythme beaucoup plus lent. C’était assez esthétique, mais comme précédemment, je me suis lassée rapidement. Et ça a duré. A l’orchestre, comme au balcon, des gens ont commencé à sortir discrètement. Moi, j’étais au bord de l’endormissement. Comme le bruit avait cessé, on entendait tout dans la salle. Du coup, j’ai eu peur de me mettre à ronfler. J’ai lutté. Mais immanquablement, je me détendais. Genre : « Dormez, je le veux. » J’imaginais ce que j’allais raconter sur le blog, notait les reniflements, les soupirs, les grattements autour de moi, je pensais à ma journée, à mes vacances. Je jetais un œil sur la scène et je me demandais quel bras allait avec quel autre. J’étais… plus là du tout.
Puis, peu à peu, la lumière s’est faite plus forte, les avant-bras ont disparu et les spectateurs restants se sont à nouveau trouvé à regarder leur reflet dans le miroir.
Silence, puis, à l’orchestre, applaudissements frénétiques et quelques bravo hurlés. C’était tellement grotesque que je me suis mise à rire. Personne n’est venu saluer, nous aurions pu en fait ne voir qu’un film. Nous sommes sorties de la salle dans un état second, pas très sûres de ce que nous avions vu. Cela aurait pu être une de ces installations video, fréquentes dans les FIAC, devant lesquelles on passe, sans presque s’arrêter.
Malgré l’absurdité de ce que nous venions de regarder, nous n’étions même pas en colère. Plutôt hilares. Très zen. C’était en fait cinquante-cinq minutes de relaxation offertes par le théâtre des Abbesses.
Pour aller avec notre nouvelle zénitude, nous avons été déguster des sushis au restaurant de la rue des Abbesses. Et j’ai écouté les amies parler de leur métier : restauratrices en verre ancien et en céramique. Et même si je n’y connais rien, j’ai trouvé cela passionnant, bien plus que mes cinquante-cinq minutes au Théâtre.
Extrait du programme du théâtre des Abbesses :
« Avec Quantum-Quintet, Brice Leroux confirme la singularité d’une démarche chevillée à la rigueur d’une écriture minimaliste poussée jusqu’au vertige. » (jusqu’au vertige, je confirme). […]« Avec Quantum-Quintet, Brice Leroux renoue donc avec les pièces dites “sur place”, initiées par Continuum, et réduit encore les paramètres : il resserre la focale sur les avant-bras, détaché des repères du corps et restreint la palette des mouvements à dix-huit positions, dont il exploite les multiples potentialités combinatoires, comme un exercice exhaustif. (…) » « La virtuosité n’aguiche pas l’ostentatoire, mais devient une confrontation avec ses propres limites, une quête de dépassement de soi pour atteindre la perfection. »
Heureusement que je n’avais pas lu cela avant, je n’y serais pas allé et j’aurais raté un excellent dîner. Je l’ai dit, dans la vie, je ne suis pas contre une certaine dose de surprise.
1. Le jeudi 14 juin 2007, 18:27 par Aude dite Orium
Je trouvais le titre de ton post joli, vraiment! Mais replacé dans son contexte… Ça perd de sa poésie et déjà je m’endors. Tu es bien courageuse. Ceci dit les spectacles « surprenants » ont la vertu d’aiguiser la frustration et d’être moteur d’une nouvelle envie de passer une Bonne soirée,avec majuscule, le B de Bonne, d’en avoir pour son déplacement, etc… Bonne nuit ZZZ /ZZZ
2. Le vendredi 15 juin 2007, 15:06 par linconnu comainverre
Un bon Feydeau du jeudi soir au théâtre de Paris n’aguiche pas l’ostentatoire et ne se joue pas (que) sur les avant-bras.
On se marre sans arrière pensée, on rit des caleçons et des gesticulations de José Paul en grand menteur lâche, et pour la peine, on entend ici et là une perle sur la société de l’époque qui serait aujourd’hui mise en prison (ou presque).
Signé le bourge de service qui n’a même pas vu que c’était de lui qu’on se moque.
3. Le vendredi 15 juin 2007, 15:06 par linconnu comainverre
Un bon Feydeau du jeudi soir au Théâtre de Paris n’aguiche pas l’ostentatoire et ne se joue pas (que) sur les avant-bras.
On se marre sans arrière pensée, on rit des caleçons et des gesticulations de José Paul en grand menteur lâche, et pour la peine, on entend ici et là une perle sur la société de l’époque qui serait aujourd’hui mise en prison (ou presque).
Signé le bourge de service qui n’a même pas vu que c’était de lui qu’on se moque.
4. Le vendredi 15 juin 2007, 15:51 par Akynou
L’inconnu commun vert : Etant, paraît-il, plus ou moins descendante de Labiche, je ne crache pas non plus sur un bon Feydeau.
Cela dit, en matière de ballet, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. Mais ce que j’ai vu vendredi soir non plus;-)
