L’info faisait grand bruit ce matin sur les ondes radio : Brice Hortefaux, ministre de l’Intérieur, convoquait vingt préfets qui n’avaient pas fait leur chiffre en matière d’expulsion d’étrangers. Depuis le début de l’année, entre 11 000 et 13 000 personnes ont été « reconduites à la frontière », en fait raccompagnés dans leur pays d’origine. On est loin des 25 000, chiffres exigé par le président de la République, d’autant que l’an passé, la police avait réussi à boucler son quota grâce à la Bulgarie et à la Roumanie, pays entrés dans l’Europe depuis le 1er janvier dernier. Pour le coup, les objectifs vont être difficiles à réaliser.

Au delà des chiffres, il y a des hommes, des femmes et aussi des enfants, qui sont traités comme des criminels, menottés, bâillonnés. Traités dans des conditions si dégradantes que de plus en plus de passagers « normaux » se révoltent.

En fait, nous savons peu comment se passe une expulsion. Une militante de RESF Paris, Florence Ostier, appelée en renfort, raconte le calvaire d’une famille. Une journée comme tant d’autres à Roissy.
De retour devant mon ordi à 19 heures, après six heures passées à Roissy, je découvre les mails qui retracent le fil de cette journée pleine d’angoisse et de rebondissements (merci Angers, Charleville, Paris).

Arrivée à 12 h30, Yekaterina, Vladimir et les enfants, partis d’Oissel vers 9 h 40 sont déjà dans les locaux de la PAF, pas loin du Mesnil Amelot, avec vue sur un parking. Retrouvailles avec deux « resfiens » de Rouen, suivie de l’arrivée d’Antoine, de la Cimade.

On distribue notre petit tract, d’abord à une responsable de l’embarquement qui, à notre demande, préviendra la chef d’escale. Puis aux passagers, peu nombreux, du vol KLM pour Amsterdam de 14 h 25. Des hommes d’affaires pressés et quelques étrangers à qui il faut faire le speech en anglais ou en espagnol. Nous demandons sans succès à ce qu’il soit vérifié que les POPOV sont bien sur la liste de vol.

Vers 13 h30, alors que Yekaterina nous a indiqué qu’elle « partait » dans cinq minutes pour l’avion, se présente dans le hall un policier avec un dossier. Nous entendons « une famille de 4 personnes avec un bébé ». Un membre d’Air France commence à pianoter sur l’ordinateur. Je m’approche et j’ai le temps de voir à l’écran s’inscrire « POPOV Geoffrey » (le nom du bébé, NDLR).

J’engage la conversation avec ce policier pour lui expliquer que les titres de voyage ainsi que la procédure d’expulsion présentent des irrégularités. Il répond : « Nous appliquons la loi, mais ils ne sont pas encore dans l’avion, il reste une heure et demi avant le départ ( en fait il ne restait que trois quarts d’heure) et même à Amsterdam, ils peuvent encore ne pas partir… »

Je lui propose de lire la lettre du sénateur Foucaud. Il refuse, disant qu’il n’en a pas le droit. Néanmoins, je ne le sens pas très assuré dans ses convictions. Très poli, il ira cependant poursuivre les formalités d’embarquement hors des bornes du hall , à un guichet « au calme ».

A 14 heures pétantes, les formalités POPOV sont terminées. Puis, au téléphone, Yekaterina me dit être déjà dans l’avion. Sa voix est chancelante. Elle dit avoir un policier à coté d’elle. J’entends les enfants pleurer. Elle me dit : « Véronique ne va pas bien. » Puis ça coupe.

L’embarquement est clos à 14 h 22. Arlette me dit avoir joint une ultime fois, croit-elle à ce moment là, Yekaterina. Elle entend les enfants hurler de peur et Yekaterina crier . Elle parle avec deux policiers, tente de les convaincre du danger, ce qu’ils nient. Il est 14 h 25. Arlette, moi et les autres présents pensons qu’il n’y a plus rien à faire. Arlette me redit : « On aura tout essayé. » Je raccroche. L’effondrement de les savoir dans l’avion dans de telles conditions n’est pas loin.

14 h 31, téléphone d’Arlette : ils ont été redescendus de l’avion. Ils sont à nouveau dans les locaux de la PAF. Je hurle la nouvelle à Karinne (merci Karine !).

14 h 41 Téléphone du syndicat d’Air France: confirmation, ils ne sont pas dans l’avion ; ils sont sur la liste des refusés !

15 heures Yekaterina prévient que si le Maine-et-Loire en donne l’ordre, ils peuvent être relâchés. A toutes fins utiles, en cas notamment de garde à vue, nous lui communiquons les coordonnées d’un avocat. La consigne est donnée d’assiéger la préfecture du Maine-et-Loire de coups de fil. Des élus, députes et sénateurs, cherchent à avoir de leurs nouvelles.

On attend sagement deux heures, dans l’espoir qu’ils soient libérés, pour pouvoir les accueillir et les acheminer sur Angers. Dans la crainte aussi que les parents soient mis en garde à vue et les enfants placés à la DASS.

Il est 16 h30 quand Yekaterina m’apprend qu’ils repartent sur Oissel. Sa voix n’est plus qu’un fil.
Elle confirme que ni elle ni Vladimir , ni Veronique n’ont rien eu à manger depuis ce matin. Le bébé juste un peu de lait.

Ce soir, quand ils arriveront vers 20 heures au CRA d’Oissel, il n’y aura plus rien à manger.

C’est la deuxième fois, en douze jours, que la famille avec des enfants est soumise à ce traitement aussi inhumain alors qu’elle n’a commis aucun crime ni délit. Douze heures de transbahutage, de stress maximal, la peur chevillée à l’estomac, sans nourriture ni boissons.

Les POPOV ne sont pas partis pour le Kazakstan. Ils ne sont pas en garde à vue, mais ce qu’on leur fait vivre est une horreur absolue. Il est 17 heures, nous rentrons sur Paris puis, pour les copains sur Rouen, le cœur endolori de les savoir repartis sur Oissel.

Le teléphone ne cesse de sonner. La presse s’intéresse aux POPOV, est en demande d’infos. Certains se proposent de couvrir « la prochaine tentative d’expulsion». J’ai du mal à rester zen !

Le coût humain est immense. De vrais traumatismes sont infligés à ces enfants et à leurs parents : détention, privations, stress jusqu’à épuisement… Le coût monétaire est un abyssal gâchis : en huit jours, deux fois quatre billets aller simple, plein pot, pour le Kazakhstan plus six billets aller retour pour l’escorte, achetés par le ministère de l’Intérieur, via la Compagnie Wagons Lits, soit, au bas mot, pour ces « escapades » avortées, plus de 73 000 euros*. Oui vous m’avez bien lue ! Et c’est sans même compter le coût du personnel d’escorte, du gazoil, des voitures, ni même les frais de détention durant tous ces jours, ni ceux d’utilisation de personnels de tous ordres mis à contribution… une ineptie économique.

Mais qui s’interroge sur un gouvernement prêt à dépenser 100 000 euros pour expulser une famille totalement intégrée, apatride de fait si ce n’est de droit, dont les seules attaches restantes françaises, et juriste par dessus le marché.

Demain (aujourd’hui mercredi, NDLR), la ville d’Angers va parrainer les enfants POPOV. Une grande manifestation de soutien aura lieu en fin d’après midi. Jeudi, le JLD de Rouen devra, au terme des quinze jours, se prononcer sur le maintien en détention. Un recours devant la CRR est déposé.

Le Droit et l’Humanité doivent aboutir !
Les POPOV doivent vivre Libres ici , en France, leur pays !

Florence Ostier
RESF paris

(*) détail de mon petit calcul à la louche : par tentative (il y en a eu deux, une mardi dernier et une ce mardi ), 4 billets AS à 2 300 euros (prix plein tarif) plus six billets AR à 4 600 euros (prix plein tarif).

Quelques précisions.

JLD : juge des libertés et de la détention Le JLD est spécialement compétent pour ordonner, pendant la phase d’instruction d’une affaire pénale, le placement en détention provisoire d’une personne mise en examen ou la prolongation de la détention provisoire, et d’examiner les demandes de mise en liberté. Il est saisi par une ordonnance motivée du juge d’instruction.

CRA : Centre de rétention administrative.
CRR : Commission des recours de réfugiés.

Qui sont les Popov ?
La famille Popov a reçu hier soir notification du refus de l’Ofpra de tenir compte des fuites dont aurait bénéficié la police Kazakh, informée des déclarations des Popov la mettant en cause. Ils peuvent être expulsés à tout moment vers le Kazakhstan avec leurs deux enfants, Véronique, 4 ans et Geoffrey, 6 mois. Comme une partie des Kazakhs d’origine russe, Vladimir et Yekaterina ont été accusés d’avoir été des « colonisateurs » pendant l’ère soviétique. Toute la famille a fui vers la France et demandé l’asile. Ils ont été déboutés. Le beau-père de Yekaterina (second mari de sa mère) a été assassiné à son retour au pays après que sa demande d’asile en France ait été rejetée.

Vladimir et Yekaterina et leur fille, Véronique (4 ans) (Geoffrey n’était pas encore né, tous deux sont nés en France) avaient été arrêtés une première fois en octobre 2006. Ils avaient été libérés sur intervention du ministère de l’Intérieur avant d’être arrêtés une seconde fois et libérés à nouveau suite à une importante mobilisation à Charleville.

Le 27 août les gendarmes sont venus les cueillir à 7 heures du matin. Le lendemain, ils étaient levés à 3 heures du matin et conduits à Roissy où la police espérait les mettre dans un avion. Une expulsion minute en quelque sorte, longuement préméditée en dépit du fait que les Popov sont déchus de la nationalité Kazakh. La tentative d’expulsion express ayant finalement échoué, ils sont enfermés au centre de rétention d’Oissel où ils tentent une ultime démarche auprès de l’Ofpra, celle qui vient d’avorter. La mobilisation doit être totale pour empêcher l’expulsion imminente d’une famille apatride.
Contacts pour les aider. Arlette Sauvage 06 13 01 18 91(Ardennes)
Katia Beudin 06 81 54 96 34 (Angers)
Florence Ostier 06 65 35 15 24 (Paris)

Des dizaines de témoignages sur les conséquences de cette abominable politique des quotas sont à lire sur le site de RESF.

Comme le dit très justement Arlette Sauvage dans un courrier adressé à une député de sa région :

– Comment peut-on à l’avance fixer un nombre, alors qu’il s’agit de dossiers d’individus à étudier ?
– Comment peut-il y avoir une « productivité » à atteindre et une prime attribuée pour atteinte de productivité, alors qu’il s’agit d’humains ?
– Comment accepter de plonger ainsi des hommes, des femmes, des enfants dans la peur, le désespoir, le danger ?
– Comment accepter que des enfants voient leurs parents non malfaiteurs, menottés ?
– Comment supporter que des enfants vivent des semaines en centre de rétention administrative où pourront leur manquer éléments d’hygiène et nourriture ? (couches et lait en poudre en ce qui concerne le petit Geoffrey POPOV, au CRA d’OISSEL, près de ROUEN) ;
– Comment accepter qu’aujourd’hui des enfants soient réveillés par des policiers et embarqués ?
– Comment accepter que les chaises des enfants inscrits à l’école soient vides à la rentrée ?

Si vous voulez aider cette famille, voici ce que préconise RESF :

Quand bien même un JLD est prévu ce jeudi à 10 h au TGI de Rouen, nous devons nous préparer à ce que les POPOV puissent être sortis du CRA jeudi matin aux aurores pour être dans l’avion à 10 h dès ce jeudi.
Mobiliser la population, faire intervenir les élus, écrire, téléphoner et faxer
Ministère : 01 77 72 61 00
Préfecture d’Angers Tél : 02.41.81.81.81 Fax : 02.41.88.04.63
Préfet : M. Vacher – prefet@maine-et-loire.pref.gouv.fr / cabinet-prefet@maine-et-loire.pref.gouv.fr – Cabinet : tel 02 41 81 80 20
Service de la Réglementation : reglementation@maine-et-loire.pref.gouv.fr – Secretariat : tel 02 41 81 81 02
Préfecture de Charleville-Mézières : 03 24 59 66 00
Mail de la préfète : catherine.delmas-comolli@ardennes.pref.gouv.fr
Fax de la pref : 03 24 59 67 55 et : 03 24 59 66 12
Secrétaire Général : vincent.desoutter@ardennes.pref.gouv.fr Fax : 03 24 59 66 60
Directrice de la Réglementation : nadine.estermann@ardennes.pref.gouv.fr Fax : 03 24 59 67 19
Directeur de cabinet : franck.chaulet@ardennes.pref.gouv.fr

1. Le mercredi 12 septembre 2007, 22:58 par Tatami

Vu au JT ce soir des clandestins « empaquetés » comme de la marchandise et hissés dans l’avion du retour, ben ça fait mal…..

2. Le mercredi 12 septembre 2007, 23:08 par Saperli

je viens d’envoyer un mail à la préfète : « Je suis scandalisée d’être française, quand je vois comment vous traitez une famille qui sera assassinée à son retour dans son pays d’origine. Deux enfants nés sur notre sol seront orphelins par votre faute, tout cela pour remplir les quotas exigés par Mr Sarkozy et garder votre place de préfète ! « 

3. Le mercredi 12 septembre 2007, 23:23 par Valérie de Haute Savoie

Et j’entendais les journalistes parler du quota à atteindre, et cette comptabilité me semble l’épouvante absolu. Cet oubli que l’on parle d’homme, de femme, d’enfant qui vivent, qui souffrent. Ici, en Haute Savoie, les quotas ne doivent pas être atteint à voir le harcèlement des policiers arrêtant les personnes trop typés. Tout comme il n’y a plus de gêne d’étaler son refus de l’autre, il n’y a plus aucune gêne de se glorifier d’atteindre vite les quotas.

4. Le mercredi 12 septembre 2007, 23:25 par Valérie de Haute Savoie

Oui mais si les quotas sont atteints cela fait 12% de prime sur le salaire a rappelé hortefeux

5. Le mercredi 12 septembre 2007, 23:41 par Oxygène
Chaque fois que je lis l’un de ces récits d’expulsion, je reste sans voix à cause de la similitude avec la déportation des Juifs dans l’Europe nazie.
Il y a une administration chargée de cette tâche. il y a une police qui doit appliquer des quotas.
Comme dans l’industrie, il faut produire. C’est donc planifié ?
Il y a les conditions de détention dans les locaux et les centres de rétention administrative.
Il y a les menaces de 5 ans de prison pour les maires qui pratiquent les baptêmes républicains des enfants étrangers.
Il y a la délation ( allez voir chez Fauvette …)
Et au bout de ce calvaire, il y a l’expulsion, souvent d’une violence inouïe et pour beaucoup la mort dans leur pays.
Alors écrivons, téléphonons, mailons, PROTESTONS !

 

6. Le jeudi 13 septembre 2007, 10:13 par Akynou
LE JLD a finalement tenu séance hier mercredi à 17 heures. Il a demandé la libération de la famille et le procureur a décidé de ne pas faire appel.
Et puis hier soir, bonne nouvelle dans ma boîte à mail :
« 23 h 25 CA Y EST LES POPOV SONT LIBRES

 

YEKATERINA VLADIMIR VERONIQUE ET GEOFFREY SONT SORTIS DU CRA ET SONT ENTOURES DE ROUENNAIS

YEKATERINA SOULAGEE MAIS EPUISEE N’ A EU ENCORE UNE FOIS QU’ UNE PAROLE :

« J’AI FAIT TOUT CA POUR MES ENFANTS , POUR QU’ILS VIVENT LIBRES ICI  » »

Les militants RESF de Rouen, des Ardennes et de Paris se sont tous mobilisés pour en arriver à cette bonne nouvelle. Car évidemment, le jeu de la police est de sortir les personnes arrêtées de la région où ils vivent pour les enfermer dans des CRA parfois de l’autre côté du pays…

Ce qui s’est passé pour la famille Popov, continue de se passer pour beaucoup d’autres. Et on pourra difficilement dire qu’on ne savait pas. Hier, alors que le ministre recevait les préfets, des cars de police ont bloqué le quartier de la Goutte d’Or. Les policiers ont organisé un ratissage systématique des bars, des squares et ont contrôlé tous ceux qui leur semblaient « étranger ». Ils sont remonté jusqu’à la rue Pajol.
C’est vrai que la rafle, c’est quand même le moyen le plus rapide pour faire du chiffre.

7. Le jeudi 13 septembre 2007, 10:16 par Anne

Billet demain à suivre sur le sujet…

8. Le jeudi 13 septembre 2007, 11:28 par Akynou

Je viens de me rendre compte que j’ai fait un lapsus écrit sur le nom du ministre…

9. Le samedi 15 septembre 2007, 01:02 par Oxygène

C’est un très beau lapsus ! Félicitations !

La discussion continue ailleurs

1. Le jeudi 13 septembre 2007, 11:58 par Luciole, tome II

Des hommes, des femmes, des enfants …

C’est en larmes que je vous écrits. Des larmes de rage et de désespoir aussi. Hier, on entendait partout que le ministre de l’intérieur convoquait les préfets parce que les quotas d’expulsions n’étaient pas respecter. Pas un journaliste des infos…

2. Le jeudi 13 septembre 2007, 11:58 par Luciole, tome II

Des hommes, des femmes, des enfants …

C’est en larmes que je vous écrits. Des larmes de rage et de désespoir aussi. Hier, on entendait partout que le ministre de l’intérieur convoquait les préfets parce que les quotas d’expulsions n’étaient pas respecter. Pas un journaliste des infos…