Je comprends ce que les gens disent. C’est pénible, je n’en ai pas l’habitude. Je déteste ça. Les gens parlent, j’entends sans avoir besoin d’écouter et je comprends. C’est infernal. J’ai l’impression de me mêler de ce qui ne me regarde pas. D’ailleurs ça ne m’intéresse pas, je ne veux pas savoir.
Je ne veux pas savoir que, depuis quelques semaines, Leila fait des infidélités à Juan.
Je veux rester en dehors de ça, à la surface des choses. Les observer tous les deux vivre ensemble, s’amuser, s’agacer, se caresser, s’embrasser ou s’engueuler suffit à mon bonheur. Je n’ai pas besoin de surprendre cette conversation téléphonique, d’apprendre ces rendez-vous furtifs. Maintenant, je ne peux m’empêcher de regarder Leila d’une autre manière. Je n’aime plus ce rouge qui lui vient aux joues ni cette façon qu’elle a de parler trop vite quand elle revient un peu tard.
Je ne veux pas savoir que Juliette, ma Juliette, est triste, toujours triste. Elle me le dit souvent. Avant, je l’entendais, mais ne l’écoutais pas. Je me contentais d’être là et ma présence, fidèle et silencieuse, suffisait à la consoler. Maintenant que je sais qu’elle se fait agresser à l’école et n’arrive pas à se défendre, j’ai de la haine et de la colère pour ceux qui la persécutent, plus du tout d’amour pour elle. Et je souffre de la voir s’étioler, ne pratiquement plus manger sans que ses parents, trop pris dans le tourbillon de leur vie, ne le remarque.
Je ne veux pas savoir que Madame Michèle, la voisine de palier, va bientôt mourir, qu’elle a attrapé une vilaine bête qui lui mange les seins et le reste. Elle est devenue toute chauve, mais ça n’a servi à rien. Elle en parle de temps en temps avec Leila, qui devient toute triste. Je l’aime bien Madame Michèle. Elle est douce et gentille, attentive aux autres. Elle est courageuse aussi, malgré ses souffrances. Quand elle grimace, je prends la fuite, c’est trop insupportable. Je ne veux rien savoir de la peine de son mari ni l’angoisse de son fils. Je ne veux plus les entendre…
Avant, avant…
J’étais heureux, oui. Je restais des heures étendu sur le lit à écouter mes colocataires. J’entendais la musique de leur voix, la contrebasse grave et chaleureuse de Juan ; l’alto un peu rauque, sensuel et troublant pour Leila, la petite flutte à bec de Juliette et la guitare de Mme Michèle. Le quatuor me faisait la plus belle des musiques de chambre.
Mais voilà, il a fallu que cette fée crétine me fasse don de la compréhension. Que les notes deviennent mots, les arias prennent du sens. Que je découvre leur monde, leurs mesquineries, leurs peurs, leurs angoisses, leurs morts, en un mot leur finitude qui me pèse et me paralyse. Je ne suis pas Jimmy Cricket, je ne veux être la conscience de personne. Je veux retrouver mon langage de chat, miauler pour réclamer à manger, ronronner sous leurs caresses, frotter mon museau contre leur peau, lécher leurs larmes et apaiser des chagrins que je ne comprends pas. Ni indifférent ni insensible, mais à ma juste place de matou.
Ceci est ma participation au jeu Kozliko-Samantadien du sablier d’automne. Chaque soir à 22 heures, l’une d’entre elles nous donne l’amorce d’un texte piqué sur un blog. Il faut en écrire la suite et la publier sur notre blog avant 10 heures le lendemain matin. Et mettre un message sous le billet ou le jeu est lancé
Voilàààààààà
- Le mercredi 3 octobre 2007, 23:03 par dragon d’eau
J’aime beaucoup.
Tu as raison, si je comprends bien ton commentaire sur le bloc de Samantdi, ton billet est plutôt triste…. Mais joliment écrit
2. Le mercredi 3 octobre 2007, 23:18 par Marie-Aude
J’aime beaucoup ton billet
mais j’espère que mes chats sont heureux de me comprendre 
3. Le mercredi 3 octobre 2007, 23:22 par Akynou
Marie-Aude : Ha mais il y a comprendre et comprendre… Ne pas entrer dans le détail mesquin permet sans doute de mieux aller au fond des choses et des sentiments

Dragon d’eau. Oui, plutôt triste, parce qu’il y arrive des choses tristes… merci pour le compliment
4. Le mercredi 3 octobre 2007, 23:28 par tropeole
Oui, c’est plus confortable de comprendre à l’aide de ses propres codes.
Mais…5. Le jeudi 4 octobre 2007, 00:05 par Zub
Cette année les chats se sont invité au sablier. C’est génial.
Mais je pense qu’ils sont vraiment capable de nous comprendre et qu’ils font semblant du contraire.
Biz
6. Le jeudi 4 octobre 2007, 00:25 par Mavie
Un beau billet sensible. Qu’est-ce qu’on donnerait des fois pour ne pas comprendre, ne pas savoir!
7. Le jeudi 4 octobre 2007, 01:19 par Moukmouk
Oui, très bien ce billet. Mais si ce chat est fatugué de vivre, je peux très bien m’en occuper…
8. Le jeudi 4 octobre 2007, 01:23 par Dzana
Bonjour,
Ce billet est joli et sensible, et triste, surtout la petite Juliette… Et si on en croit la chanson (la mère Michèle qui a perdu son chat), ce sera encore pire pour l’auteur de ces mots…9. Le jeudi 4 octobre 2007, 01:27 par Oxygène
Moukmouk rôde par ici, planquez vos chats, ceux qui comprennent et les autres.
Sensible, ce billet Akynou, et ça ne me surprend pas.
10. Le jeudi 4 octobre 2007, 08:36 par MKe
Hello – juste un petit passage pour constater qu’apparemment ton problème de SQL est réglé… tant mieux tant mieux.
Content d’avoir pu me rendre utile, et n’hésite pas s’il te reste des questions.11. Le jeudi 4 octobre 2007, 09:45 par Akynou
Mais non, il n’est pas réglé, je t’envoie un mail

12. Le jeudi 4 octobre 2007, 10:47 par luciole
J’adore ce texte .
13. Le jeudi 4 octobre 2007, 11:31 par Akynou
Zub, ni plus ni moins que les humains… le chat est une parabole facile certes, mais une parabole quand même…
Certains d’entre nous n’entendent rien, ferment les écoutilles bien étanches et mènent leur petite vie tranquillement sans que rien ne les dérange. Et puis, parfois (rarement) la fée crétine de la compréhension débarque, et ils se rendent compte de la réalité qui les entourent, celle là où une autre. Et ils aimeraient bien redevenir un peu con, parce que la réalité est vraiment trop dérangeante, enfin, je vais pas réécrire l’histoire.Et puis il y a ceux qui ont toujours tout compris. Et qui parfois en ont marre du malheur des autres parce qu’ils n’arrivent pas à l’ignorer. A ne pas en être affecté. Ceux là aussi, aimeraient bien pour voir appuyer sur le bouton pause…
14. Le jeudi 4 octobre 2007, 11:32 par Akynou
Moukmouk ce n’est pas parce que je miaule que je suis bonne à manger…
Luciole, tu me fais plaisir. Tu coup, je l’ai relu

15. Le jeudi 4 octobre 2007, 16:36 par andrem
Jamais à l’heure pour le sablier. Sans parler des maudit mots qui disparaissent dans les abîmes du blogue aux raconteries, le bloguabogues.
Retour aux chats. Oui, ils sont paraboles.
Surtout quand je les jette par la fenêtre du cinquième étage de mon château, sans tenir compte du frottement de l’air ni de l’accélération de coriolis.
Gyroscope toi-même.
16. Le jeudi 4 octobre 2007, 20:01 par Oxygène
Andrem est dans une forme éblouissante depuis quelques temps et c’est un vrai plaisir de lire ses commentaires ici ou là, mais surtout ici.