Ce matin, entre Adler et Duhamel, l’immuable créneau de ma douche d’avant départ au boulot, agitant mes mains ensavonnées, je fais tomber mon alliance.

Je la remets aussitôt mais avec beaucoup de difficultés qui me seront l’occasion de plusieurs vagues d’interrogation lors des minutes et heures suivantes, du séchage aux rebutantes tâches journalières et néanmoins professionnelles.

L’heure est au dé-ménagement. Pas que je me sois jamais beaucoup ménagée, mais ces derniers mois ont été particulièrement durs.

Chaque événement, bon ou mauvais, a été une secousse affective. Le grand tremblement n’est pas advenu, mais je me demande tout de même si les fondations sont encore solides.

Parfois, je m’arrête, je m’écoute et je pleure. Parfois je fanfaronne.

Je vais quitter un quartier où j’habite depuis vingt-six ans et que j’ai adoré avant qu’il ne soit envahi par les bobos, les bobofs et les commerçants du sentier. Avant que la vulgarité ne fasse la pige à la légèreté. Je suis contente de partir, de quitter ces rues où les pavés de guingois ont laissé la place aux alignements parfaits donnant à l’ensemble un côté clinquant qui va bien avec les nouveaux arrivants.

Je me souviens d’un soir d’hiver, la neige avait déposé sur Montmartre une épaisse couche de glace. J’ai découvert, rue Germain-Pilon, une vieille dame qui ne pouvait plus ni monter ni descendre. J’avais, ancienne habitude de campagne, enfilé des chaussettes par dessus mes chaussures et avançait sans risque de glissade. Je pris l’aïeule par le bras et la hissait rue des Abbesses où nous croisâmes une de ses voisines, qui la prit en charge avec un tendre « Mais alors mamie Germaine, on essaie de faire du ski ? » Germaine s’est mise à rire et nous a dit : « Ah ! vous savez, ces pavés, je les ai tellement arpentés quand j’étais jeune… »

Moi aussi, Germaine, je les ai arpentés, jeune, mais je préfère fuir avant de ne plus reconnaître ce quartier populaire que je chérissais tendrement, confisqué qu’il est par ce que je déteste le plus, un monde où l’argent et le paraître sont les seules valeurs qui comptent…

Cela n’empêche pas mon cœur de saigner. Il faudra se faire à d’autres cieux, d’autres perspectives… Que c’est dur de quitter ce qu’on aime. Même si on ne l’aime plus.

Mon alliance est tombée, je l’ai ramassée et j’ai eu du mal à la remettre. Où en suis-je de ma vie ? Ces derniers temps, le Nôm m’accompagne plus ou moins. Il s’accroche à notre histoire, mais ne le montre pas. C’est parce que je le connais bien que je le sais. La crise a été douloureuse. Il m’observe. Je lève le nez de mon clavier pour réfléchir à ce que je vais écrire et de suite il me demande « ke ail ?» (qui a-t-il ?)
– Je réfléchis…
J’attends. J’attends qu’il fasse les bons gestes, qu’il dise les bons mots, qu’il se donne du mal enfin pour moi. Qu’est-ce que je vaux pour lui ? Qu’est-il prêt à faire pour moi, pour me garder ? J’attends qu’il répare le mur fissuré de notre histoire.

Ce matin, mon alliance est tombée. Je l’ai ramassée. Elle était là, dans le creux de ma main. J’ai gardé son poids infime sur ma paume toute la journée. Alors que je m’escrimais sur un texte sans saveurs sur Grand Corps malade (un comble), j’ouvrais la main, et je revoyais l’or jaune et l’or blanc que nous avions choisis comme symbole de nos différences et de notre unité.

Il faut savoir réemménager, se ménager.
Ce matin, mon alliance est tombée. Je l’ai remise…

Ceci est ma participation au jeu Kozliko-Samantadien du sablier d’automne. Chaque soir à 22 heures, l’une d’entre elles nous donne l’amorce d’un texte piqué sur un blog. Il faut en écrire la suite et la publier sur notre blog avant 10 heures le lendemain matin. Et mettre un message sous le billet ou le jeu est lancé

Voilàààààààà

 

1. Le jeudi 4 octobre 2007, 22:59 par Mavie

Belles images, belles métaphores…L’alliance est tombée et tu l’as remise…

2. Le jeudi 4 octobre 2007, 23:10 par Marie-Aude

Joli, doux, pas si triste que ça :)

3. Le jeudi 4 octobre 2007, 23:35 par David

J’aime beaucoup ! Les billets de ce soir ne sont pas très joyeux sur cette histoire d’alliance…

4. Le vendredi 5 octobre 2007, 00:08 par samantdi

Etat des lieux…

5. Le vendredi 5 octobre 2007, 00:25 par Akynou

MArie-Aude : note d’espoir à la fin, n’est-ce pas ? :-)
Davide : c’est parce qu’elle tombe…
Samantdi : eh oui :-)

6. Le vendredi 5 octobre 2007, 01:36 par Oxygène

Je repars sur la pointe des pieds et toute émue.

7. Le vendredi 5 octobre 2007, 09:55 par Leeloolène

Pfiouu… Ca chaloupe…
Magnifique et émouvant texte.

Il parait que les déménagements sont propices aux reflux de souvenirs… et le bon moment pour faire le tri. C’est une amie très chère qui me l’a dit pas plus tard qu’hier. N’est-ce pas ?

8. Le vendredi 5 octobre 2007, 10:15 par Naya

J’aime beaucoup ton texte. Il est plein d’images.

9. Le vendredi 5 octobre 2007, 12:31 par PMB

Grand Corps Malade, je l’ai découvert avant qu’il soit à la mode, chez Philippe Meyer (le dimanche matin de 10 à 11 ou sur le net). Ne pas écouter ceux qui disent que c’est de la petite poésie. Mais vous pouvez écouter ça :
www.southwestern.edu/~pre…
Les plus beaux textes sont les plus simples, notamment ici où c’est de la douleur nue.

10. Le vendredi 5 octobre 2007, 14:30 par andrem

Un jour j’inventerai une histoire où il sera question d’un Nôm et d’un tourbillon.

Amorce à suivre, ailleurs. D’autant que je me méfie de ce qui ressemble à de l’auto-machin. Ce pourrait en être.

11. Le vendredi 5 octobre 2007, 14:43 par Akynou

Leeloolène : c’est qu’elle savait de quoi elle parlait sans doute…
PMB ; je connais Grand Corps malade, c’est le papier qui était insipide :-)
Andrem : auto et fiction… de toute façon, la matière première des écrivants n’est jamais très loin de chez eux…
Naya, merci :-)

12. Le vendredi 5 octobre 2007, 20:20 par Gilsoub

A mon tour de te faire des compliments. J’aime beaucoup ton texte et les images d’un lieu que je connais un peu et que tu décris si bien. très émouvant…

13. Le samedi 6 octobre 2007, 19:57 par Marloute

Quel beau texte.
A la croisée des chemins, faire de sa vie une histoire. Faire de son histoire une vie.

Et ces moments de doute, et quelle belle évocation de Montmartre, et du temps qui passe…