Le 29 novembre 1974, à un peu plus de 3 heures du matin, la loi dépénalisant l’avortement en France était enfin votée après un marathon à l’Assemblée nationale et des débats houleux. De nombreuses blogueuses (et pas assez de blogueurs) ont rendu un hommage – tellement mérité – à Simone Veil, ce qui a suscité, en tout cas chez elle, des débats tout aussi virulents que ceux d’il y a trente ans. Comme quoi, le sujet ne laisse toujours pas indifférent. Et c’est tant mieux, parce que cela touche à la vie.
J’ai quelques amies qui, ne pouvant pas avoir d’enfants, ou ayant d’extrêmes difficultés, sont contre l’avortement, et c’est important de les entendre, de ne pas les rejeter. Parce que l’une d’elles m’a un jour expliqué : « Je suis contre l’avortement, moi qui ne peut pas enfanter. Si je devais rencontrer une femme qui veut avorter, je ferais tout pour qu’elle renonce. L’idée même d’avortement me révulse. Mais je me battrai, s’il le faut, pour que d’autres gardent ce droit. » Je trouve cette position d’un très grand courage et d’une rare intelligence.
Je connais d’autres femmes qui n’utilisent pas de stérilet car elles considèrent que c’est une façon douce d’avorter. Elles préfèrent donc continuer la pilule ou serrer les genoux, suivant la réflexion de mon gynécologue. Le jour où il me l’a sortie celle-la, j’ai modérément apprécié. Je venais d’accoucher de ma troisième fille. Je n’avais nullement l’intention de remettre le couvert comme on dit vulgairement. Mais comme j’allaitais, il refusait de me prescrire la pilule. Je n’avais pas eu mon retour de couche (pour ceux qui ne le savent pas encore, cela veut dire le retour des règles), et pour cause, en cas d’allaitement prolongé le retour de couches peut se faire jusqu’à un an après la naissance, il ne me restait pas beaucoup de solutions… Je pense que mon médecin, que j’apprécie beaucoup par ailleurs, est contre l’allaitement prolongé. Comme de nombreux médecins en France. Mais là dessus, je n’étais pas prête de céder. J’ai donc été voir pendant quelques temps un autre médecin qui m’a prescrit la fameuse
pilule. Et à lui, j’ai menti. A 41 ans, j’estimais avoir le droit d’allaiter tranquillement ma dernière fille et de ne pas risquer une nouvelle grossesse dont je ne voulais pas entendre parler. Et surtout pas risquer un avortement. C’est là qu’on se rend compte qu’il ne suffit pas d’avoir 15 ans et d’être une petite écervelée pour vivre dangereusement.
Serrer les genoux, il en avait de bien bonnes. J’ai repensé à nos mères et grands-mères. Que leur restait-il comme solution ? La méthode Ogino ? j’ai quatre sœurs et ma mère dit souvent que nous sommes toutes les cinq des filles de la méthode Ogino… En Espagne, on appelait les hommes qui pratiquaient ce genre de contraception des pères de famille nombreuse… L’abstinence ? Avec ce que cela engendre comme frustrations que ce soit pour les jeunes ou les couples installés, c’est une vraie machine à avorter. Alors ? pondre, des enfants, tous les ans, tous les deux ans et y laisser sa santé, parfois sa vie…
Souvent, quand on parle d’IVG, de cette loi de 1974, on oublie souvent le contexte. Si la femme à acquis le droit de vote en 1945, elle était encore bien souvent considérée comme mineure. C’est l’homme qui touchait les allocations familiales, même s’il avait quitté le domicile conjugal. Ma mère, comme toutes les Françaises, n’avait pas le droit de travailler sans l’accord de son mari. Elle ne pouvait pas non plus avoir de compte en banque personnel. Alors que la loi n’a jamais exigé qu’une femme prenne le nom de son époux, il n’était pas question pour elle d’utiliser son vrai nom de famille, le seul légal, celui de naissance. Les viols étaient systématiquement traités (quand ils l’étaient) en correctionnelle, quasiment jamais aux Assises.
Il leur a fallu de courage à ces femmes tout de même pour se révolter, pour exiger, pour se débarrasser de ce carcan, de cette maternité obligatoire. Cela a pris des années, des siècles.
Alors, moi, aujourd’hui, j’aimerais bien que l’ont pense à nos aînées qui se sont battues pour que nos ayons un peu de bonheur, des droits et pas que des devoirs.
Bien sûr, l’IVG n’est pas une bonne solution, c’est sans doute la pire. Il vaut mieux avoir une bonne contraception. Mais aucune méthode n’est infaillible, que ce soit faute à notre mode de vie ou simplement à pas de
chance. L’accident de contraception est une des raisons principales d’avortement en France. Petite analyse emprunté à Doctissimo.
– 10 % seulement des premiers rapports ont lieu sans contraceptif ;
– Ce n’est pas lors du premier rapport que surviennent le plus de grossesses non désirées mais en moyenne deux ans après ;
– Dans 45 % des IVG, les jeunes filles n’avaient pas de contraception. Dans % des cas d’IVG sous contraception, le préservatif était le moyen
contraceptif choisi et pour celles sous pilule (soit 40 %), l’accident était lié à un oubli (87 % des cas) ;
– 2,4 % des adolescentes vivant à la campagne ont eu recours à une IVG contre 5,9 % dans les villes et 14,7 % à Paris et région parisienne ;
– Les lycéennes représentent 4,6 % des IVG et les étudiantes 4,7 %. Chez les salariés, 15,6 % et 20,8 % chez les sans-emploi ;
– Les adolescentes vivant avec leurs deux parents sont moins concernées (3,9 %), suivies par celles vivant avec leur père (4,1 %), avec leur mère (9,7 %) ou en famille recomposée (10,3 %).
Il ne s’agit là que des chiffres concernant les plus jeunes d’entre nous. Mais il n’est pas non plus si facile d’obtenir un contraceptif quand on est une femme venant d’accoucher, j’en sais quelque chose. A cela s’ajoutent l’engorgement des centres, les médecins qui traînent les pieds, le temps qui passent. Elles sont encore nombreuses ces femmes qui sont obligées de traverser nos frontières pour aller pratiquer l’IVG aux Pays-Bas ou en Angleterre.
Enfin, sur le site très intéressant de l’Ancic (Association nationale des centre d’interruptions de grossesse et de contraception) on peut lire l’analyse suivante :
« Nous ne pensons pas, en outre, qu’il y ait contradiction entre une pratique contraceptive rigoureuse et répandue, qu’attestent toutes les études sur le sujet, et une résistance à une baisse rapide du nombre des avortements, pour au moins deux raisons :
– Dans un contexte social très malthusien, une grossesse refusée n’est pas nécessairement le fruit d’une conception involontaire : elle peut
résulter d’une pression de l’entourage à laquelle la femme a finalement cédé.
– Militer en faveur d’une contraception de plus en plus maîtrisée, c’est militer en faveur de la naissance non programmée. Inciter les couple à une maîtrise toujours plus grande de leur reproduction a évidemment pour effet de les déterminer à ne pas accepter les échecs. »
Personnellement, je ne connais pas de femmes pour qui avorter fut une partie de plaisir, qui n’en ait pas eu de regret, voire du remord. On ne peut juger personne. Mais quoi qu’il en soit, il faut toujours se souvenir : notre corps nous appartient et nous sommes libres d’en faire ce que bon nous semble. Nous sommes des êtres humains responsables capables de prendre des décisions qui nous concernent. Personne n’a le droit je décider à notre place. Et si on devait revenir sur ce principe fondamental, c’est toute la démocratie qui en prendrait un coup.
Les illustration utilisées pour ce post sont tirées du livre Les Femmes s’affichent Chez Syros.


