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Parmi les étrangers qui peuplent mon quartier, certains ont eu des trajectoires terribles. Comme Maria.
Maria, je l’ai rencontrée il y a trois ans. Sa fille, Sara, était dans la même moyenne section de maternelle que Léone. On n’a pas sympathisé tout de suite, ce sont les enfants qui nous ont rapprochées, parce qu’elles sont très amies. Léone dit qu’elle ne peut rien faire sans Sara, même si cette année, elles ne sont plus dans la même classe.

Sara est une enfant jolie, au visage mutin et puis d’un coup, terriblement sage et sérieux. Mais quand elle éclate de rire, c’est le bonheur qui explose et nous atteint en ricochet. Elle est adorable, je l’adore. Chaque fois que je la vois, j’ai envie de la prendre dans mes bras et de la couvrir de bisous. On en mangerait.

Son frère aîné, Paulo, à l’âge de Garance. Il est beau comme un Dieu mais c’est un brigand. Un voyou charmant, mais un voyou tout de même. Il est capable de faire de très grande conneries, d’en faire voir de toutes les couleurs à ses enseignants, ses camarades. Dans le même temps, il est lui aussi hyper craquant, attentif à sa sœur, aux copines de sa sœur et aux sœurs des copines de sa sœur. Il s’entend bien avec Garance et je suis sûr qu’il la protégerait s’il lui arrivait quelque chose.

Ces frasques, pourtant, on les excuse. Quand on sait par quoi lui et sa mère sont passés. Sara était trop petite. Elle ne se souvient pas. Et c’est tant mieux.

Maria et ses enfants viennent d’un pays d’Afrique. Il y a un peu plus de cinq ans, une milice a envahi la maison où ils habitaient avec le père. Pour tuer. Maria a réussi à s’enfuir par les jardins avec les deux enfants. Mais le mari est resté pour ralentir leur fuite. Maria a entendu les coups de feu sachant ce qu’ils signifiaient. Pendant une semaine, elle est restée cachée dans les arbres. Elle a vécu dans les arbres oui, avec son bébé et son garçon de 4 ans, ne buvant que l’eau de pluie, sans manger. Ils ont fini par se faire prendre, par une autre milice, qui les a enfermés dans un cabanon de jardin où, tous les soirs, elle se faisait violer par les miliciens, devant ses enfants, le bébé et le petit garçon, qui, lui aussi, a été violé.

Si vous connaissez un peu les modes opératoires des milices quelle qu’elles soient et de quelque pays qu’elles soient, de l’Afrique à la Tchétchénie, vous ne pouvez pas être surpris. Où alors, c’est que vous êtes aveugles et sourds.

Je ne sais pas exactement combien de temps a duré leur calvaire, ni comment ils en ont réchappé. Quand la confiance est là et quand vient le temps des confidences, il est difficile de poser des questions, de demander des précisions. On laisse le flot couler et on n’ose interrompre.

Je ne sais pas non plus comment ces trois là on réussi, au bout d’un an, à se retrouver dans un avion pour la France ni comment ils ont atterri à Paris. Enfin, à Paris… à Roissy, au centre de rétention pour les étrangers en situation irrégulière. Ils y sont restés des semaines. Le temps que Maria réussisse à expliquer son histoire et à demander l’asile politique. Alors on l’a relâchée, à 1 heure du matin, sans un sou, sans une adresse, sans rien, dans l’aéroport. Elle a pris ses maigres affaires, ses deux enfants, Sara avait alors 18 mois, et elle a pris la route de Paris. A pied.

Là enfin, elle a eu un peu de chance. Une jeune femme d’origine sénégalaise qui rentrait sur Paris les a vu sur le bord de la route. Elle s’est arrêtée, a demandé ce qu’ils faisaient là. Et les a emmenés avec elle. Le lendemain matin, elle les déposait à la Cafda où ils furent pris en charge.

C’est alors qu’ils ont commencé leur errance d’hôtel en hôtel. Plus d’une fois ils se sont retrouvés à la rue sans préavis, une fois même en plein hiver, à 8 heures du soir, sans possibilité de retourner au bureau de la Cafda pour obtenir une nouvelle chambre. L’hôtelier avait simplement mis leurs affaires sur le trottoir. Et avait reloué la chambre alors que celle-ci était payée par l’association. Ces gens-là sont des négriers.

Maria n’a jamais abandonné. Elle a scolarisé ses enfants, elle-même a appris le français, a trouvé du boulot, un avocat, suivi son dossier devant l’Ofpra sans jamais baisser les bras. Elle a réussi à trouver des gens qui a chaque fois l’ont soutenue. Et puis elle est arrivée dans le quartier, nos filles se sont rencontrées. Cet été, l’Ofpra a reconnu officiellement son statut de réfugiée. Il paraît que, lors de la dernière séance, lorsque Paulo fut interrogé, il régnait un silence de mort. Le seul qui a pleuré, c’est le petit garçon. Mais il a eu le courage, et il en faut, de se souvenir et de dire.

Et puis miracle. Des courriers sont arrivés disant que le père avait survécu, qu’il était vivant. Maria n’osait y croire. Les courriers se sont précisés. Il croupissait dans une geôle depuis toutes ces années, subissant les pires sévices, dans un état lamentable, mais il était bien vivant. Il fut évacué vers l’Afrique du Sud. Puis fin novembre, il est arrivé en France.

Cadeau de noël, sans aucun doute. Mais tout ne fut pas facile. Parce qu’il est arrivé dans un état psychologique et physique absolument affreux, traité comme un déchet depuis tant de temps, il eut du mal à trouver sa place dans cette famille qui, peu ou prou, était en voie de s’en sortir. Il se mit à frapper la mère sous les yeux des enfants horrifiés. Le garçon est parti en vrille. A l’école, c’était de nouveau n’importe quoi. Maria, elle, fut remarquable, sans rien renier de sa fierté qui lui fait tenir la tête droite en toutes circonstances, elle a aidé son mari, l’a accompagné dans les hôpitaux, où il est toujours soigné, elle a renoué petit à petit les liens avec les enfants. Il fallait la voir suivre de loin son mari qui amenait les enfants à l’école, les observer, puis s’éloigner discrètement quand tout s’était bien passé.

La maîtresse a invité le père à se présenter devant la classe. Et le garçon a pu présenter ce papa qu’il avait cru mort, qu’il avait vu arriver comme le messie puis détesté puis réappris à aimer.

L’amour, la confiance, l’espoir, tout ceci est encore en train de se construire. Lui veut s’intégrer, il veut guérir, il accepte de se soigner. Elle le soutient.

Ne les cherchez pas. J’ai changé leurs noms et ils ne sont plus dans le quartier. Ils sont ailleurs, anonymes, ils y ont droit.
Ils ont eu de la chance : ils ont survécu et leur histoire a été écoutée et reconnue. Ce n’est hélas pas toujours le cas…

1. Le samedi 20 janvier 2007, 21:22 par Otir

Comment commenter de telles histoires de vies ?

Mais il faut que quelqu’un les raconte, et tu as raison de le faire. Merci Akynou.

2. Le samedi 20 janvier 2007, 22:58 par anita

merci.

3. Le samedi 20 janvier 2007, 23:19 par Vic(victoire)

Qu’ils soient bienvenus et heureux ,je l’espère ,un jour
en France.

4. Le dimanche 21 janvier 2007, 01:24 par Oxygène

!!!

5. Le mardi 23 janvier 2007, 11:08 par Franck

J’en connais quelque uns qui feraient bien de lire ce témoignage avant de se plaindre de l’immigration !