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Barre-toi l’araignée. Tu ne me fais pas peur. Qu’est-ce que tu crois ? Que parce que ma copine hurle de l’autre côté de la toile comme une folle, tu m’impressionnes ? Mais ma pauvre, j’ai vu des choses bien plus horribles que toi.

Tiens, pas plus tard que ce matin, j’ai eu des nouvelles de Rosario.

Tu ne sais pas qui est Rosario toi. Elle non plus tu ne l’impressionnerais pas. C’est pourtant une toute petite fille, avec couettes et sourire édenté de celles que tu aimerais sans doute terroriser.

Rosario est arrivé en France en provenance de sa Bolivie natale il y a un peu plus de deux ans. Ses parents l’ont tout de suite inscrite à l’école. Comme elle avait tout juste 6 ans, elle s’est retrouvé en classe de CP. Avec ma Garance. Qui s’était mis dans la tête de lui apprendre à parler français. Rosario et Garance. Et puis ensuite Rosario et Élodie. Et puis Rosario et Adèle. Parce que Rosario est si petite et mignonne, avec son visage d’amérindienne et ses yeux malicieux qu’elle est devenue la mascotte de la classe.

Elle a passé deux ans à l’école. Deux ans où les conditions de vie dans l’hôtel sordide avec ses parents et sa grande-sœur n’étaient pas si importants, puisqu’elles avait ses copains et ses potes. Deux ans où la maladie de son père devenait supportable, et puis il va bien guérir. Deux ans, où malgré tout, il y avait de la joie. Et de l’amitié. Tu connais ce mot, toi, l’araignée ? AMITIE. Eh bien, celle qui existe entre les gamins de cet âge, même si elle est accompagnée de tirage de couettes et de fâcheries, c’est la plus forte. Des fois, elle dure même toute la vie, s’il n’y a pas les déménagements qui se mettent en travers.

En juin dernier, la Cafda a changé la famille de Rosario d’hôtel. Elle est donc parti vivre pas très loin, à quelques rues de là. On continue de prendre des nouvelles. On suit son dossier. On a appris avec tristesse et colère aussi le fait que sa demande de bénéficier de la circulaire Sarkozy a été rejetée, alors qu’elle répondait à tous les critères. Mais Rosario, elle, a basculé dans un autre monde. Elle a fait sa rentrée en CE2 en septembre, dans sa nouvelle école. Et elle a découvert la jungle. Parce ce que, depuis la rentrée, Rosario, elle se fait casser la figure. Tous les jours. Tous les jours. Tous les jours…

Alors tu vois l’araignée, tes mines de terreur, ton ventre jaune, tes menaces, tu peux te les carrer où je pense. J’en ai rien à foutre. Allez, fous le camp où je t’écrase…

Ce texte est ma participation au dyptique 3.5. l’illustration de la photo d’Anideg.

J’avais besoin ce matin d’écrire cette histoire. Comme cela. Peut-être pour mieux m’en défaire.

Je voudrais juste ajouter que Rosario va quasiment tous les jours d’école dans le bureau de la psychologue, où on la laisse pleurer tout son saoul. C’est la seule chose que l’on puisse faire pour elle apparemment. Parce qu’entre le tabassage de ses petits camarades et les souffrances de son père quasiment constamment sous morphine, la vie de cette petite fille de 8 ans est tout sauf un conte de noël.

On ne peut même pas en vouloir aux petits morveux. Quand on traite les enfants comme de la vermine, on en fait des bêtes sauvages. Ils sont parfois dans la même situation que Rosario, ou pire. Ils ne mangent pas à leur faim tous les jours et le déjeuner à la cantine est souvent le seul repas chaud qu’ils ingurgitent de la journée. Pour eux non plus, noël ne veux rien dire vu que de toute façon, des cadeaux, ils n’auront que ceux qu’ils auront réussi à barboter.

La faiblesse de Rosario, c’est d’être isolée, sans communauté. Elle n’est pas noire, elle n’est pas arabe, elle n’est pas française. Elle est bolivienne, amérindienne, moins que rien.

Évidemment, nous allons essayer de faire quelque chose pour elle. Tenter de la sortir de là. Mais ne trouvez-vous pas terrifiant que ceci se passe à Paris, au XXIe siècle, sous nos fenêtres, à notre barbe.

Vous souvenez-vous du conte, si affreusement triste, de la petite fille aux allumettes. Eh bien dites-vous que la petite fille aux allumettes est revenue. Et qu’elle pourrait s’appeler Rosario…

1. Le vendredi 22 décembre 2006, 14:26 par Anitta

Emotion et colère. Salutaire :-)

2. Le vendredi 22 décembre 2006, 18:21 par andrem

J’ai commenté ce billet de rage dans la salle de jeu. Emotion et colère comme Anitta. Je t’admire de savoir te dépenser comme tu fais pour tous ces malheurs dont se repaît notre araignée nationale.

Mon bulletin de dans cinq mois, je sais à quoi il doit servir, au moins. Ne serait que pour Rosario et ceux qui te remuent tant jour et nuit. Peu importe au fond les restes des programmes affichés et placardés.

Comme ce ne pourra pas être pire, du moins je veux le croire, je voterai pour Ségolène Royal sans joie mais sans état d’âme, et je devrai à Rosario d’être devenu serein sur la question, les cons diront serin.

Tant mieux celui qui le dira, car s’il est content mieux.

3. Le vendredi 22 décembre 2006, 20:31 par Oxygène

+1 Andrem

4. Le vendredi 22 décembre 2006, 23:31 par anita

La vie est une chose formidable.
Mais c’est si rare qu’on soit à la hauteur.
J’ai dans mon crâne, à peu près 13000 visages comme celui de Rosario. Ils ne font pas tous souvenirs, mais il font, profondément, mémoire d’émotions diverses, de respect pour l’immense courage quotidien, pour les victoires minuscules, pour la nécessité, absolue, permanente, intacte, de coincer nos pieds dans la porte pour que notre pays et ses instituions ne soient pas une machine à broyer.
Akynou, tu sais combien j’aime tes dyptiques. Je ne pourrais pourtant pas écrire, sur ce sujet, d’autres mots après les tiens. Ce soir, je m’abstiens, en hommage à Rosario.
Mais en 2007, je ne m’abstiendrai pas.
Tocsin, ginette!

5. Le vendredi 22 décembre 2006, 23:31 par anita

insti tue tions ?

6. Le samedi 23 décembre 2006, 18:07 par bee_human

Tant que tout être humain ne sera pas considéré comme un citoyen de la terre, ces histoires se répèteront à l’infini.

Nous avons su créer des organismes supranationaux. Malheureusement ceux-ci sont au service des intérêts d’une poignée.

Pour le moment, le XXIème siècle n’est pas bien beau…