« Robotique », ces deux derniers mois, c’est un mot que nous avons beaucoup entendu à la maison. En effet, le projet de classe du CM1 de Lou est un projet robotique. Leur instituteur considère que les mathématiques et la géométrie sont plus faciles à apprendre quand elles sont appliquées leur fait donc construire un robot, programmer les déplacements, calculer les trajectoires. Il fait régulièrement des petits matchs entre ses élèves, et les vainqueurs engrangent des points. Ceux qui totalisent le plus de points deviennent les conducteurs, mécaniciens, etc. de la machine.

Lou s’est découvert une passion pour la robotique à tel point qu’elle envisage sérieusement de devenir ingénieur en robotique. Toutefois, elle n’a pas gagné assez de match pour faire partie de la dream team devant participer aux trophées de la robotique.

Trophées ? Oui. Tous les ans, la classe participe à ces trophées. Cette année, elle était la seule de primaire. Les autres sont collégiens, lycéens, voire élèves d’école d’ingénieurs. L’équipe de notre école est le Petit Poucet de la compétition, regardée de haut par les concurrents.

Chaque année, il y a des phases de qualifications par région et une grande finale nationale pour les seize meilleurs. Autant vous dire que l’école ne participe qu’à la compétition régionale où les élèves figurent honorablement, mais jamais assez pour participer à la finale, croqués tout crus qu’ils sont par les plus grands.

Cette année, la compétition d’île de France avait lieu à l’école polytechnique. La règle du jeu était à la fois simple dans son énoncé et ardue dans sa réalisation. Il fallait en calculer des paramètres pour que le robot de la classe, tout en mécano, puisse effectuer ses matchs. La plupart des enfants de la classe y ont été avec leurs parents pour soutenir l’équipe engagée. Moi, je ne pouvais y aller à cause des deux plus jeunes. Mais Lou a pu s’y rendre avec la directrice de l’école. Elle en est revenue enchantée, la voix cassée tellement elle avait crié pour soutenir son équipe.

L’école, malgré les soucis, s’était classée 18e sur un peu plus de soixante participants. « Ils nous ont pris de haut, racontait-elle hilare. Mais on leur a mis la pâté. » Quand j’ai rencontré son maître le mardi suivant, il était tout heureux et tout fier de ses petits : « Ils ont bien travaillé et ils se sont arrêtés juste à temps. » Devant ma mine étonnée, il me répond : ils gagnaient deux places de plus et j’étais obligé d’aller passer le week-end à Montluçon pour la finale nationale. »

Deux jours plus tard, je trouve le cahier de Lou sur mon bureau avec des mots à signer. La robotique, encore ? Mais je croyais que c’était fini ! « Mais non, m’explique ma fille au comble de l’excitation, deux équipes ont déclaré forfait. Du coup, on est qualifiés. » L’école proposait d’emmener la classe là-bas, c’est-à-dire l’équipe et les supporters et demandait des parents en renfort. Les frais de repas et d’hébergement (environ 50 euros) étaient, bien entendu, à notre charge. J’ai fait un calcul. Lou ne me quittait pas des yeux, le regard implorant : « Dis oui, maman, dis oui. »

J’ai dit oui. J’ai même dit mieux. J’ai dit « Je t’accompagne. » Oh, vous auriez vu la danse de saint-guy qu’elle a entreprise à ce moment-là, vous en auriez ri, tout comme moi…

Mais comme Fritz devait sortir le samedi soir, il fallait me débrouiller pour trouver un hébergement pour Garance et Léone. Pour la première, cela s’est réglé assez rapidement. Pour la seconde, j’ai trouvé le mardi matin. Il y avait une douce euphorie. Tout le monde était fier des enfants. Vous vous rendez compte, qualifiés pour la finale nationale, pour la première fois, alors qu’ils sont la seule école primaire à participer. Ils ont quand même battu plein de boutonneux à la barbe naissante (et quelques jeunes filles aussi, mais elles sont beaucoup plus rares).

Le mardi soir, les parents avaient une réunion pour préparer le voyage. J’ai quitté le journal plus tôt pour pouvoir être à l’heure. Quand je suis rentrée dans la salle de classe, un des enfants était en train de prendre la parole et tout le monde faisait la gueule. Mauvais karma. J’ai assez vite compris pourquoi. Il n’y avait pas de bus, donc pas de moyen de transport pour aller à Montluçon… Certains parents se proposaient bien d’y emmener leur progéniture (des membres de l’équipe), avec éventuellement un de leurs copains, mais cela ne faisait pas une classe. Et puis l’équipe ne pouvait pas être complète. La mère du dépanneur avait mis son veto : faire 700 kilomètres pour participer deux minutes si le robot venait à tomber en panne, aucun intérêt.

Il s’est fait assez vite deux clans : celui des parents qui voulaient absolument y aller vu que leurs gamins faisaient partie de la dream team, même si les autres devaient rester sur le carreau (ben, ils n’avaient qu’à se qualifier), ceux qui considéraient que 1. cela faisait beaucoup d’argent à dépenser et 2. le collectif ne pouvant pas suivre, ce qui avait fait le charme de l’aventure disparaissait.

Je faisais plutôt parti du deuxième groupe, mais comme je n’avais pas de voiture, que Lou ne faisait pas partie des compétiteurs, il était évident que, quelle que soit la décision finale (on envoie une équipe réduite ou personne n’y va), ma fille n’irait pas, je trouvais que cela faussait le débat. J’ai essayé de ne pas trop intervenir (pas trop, hein, parce qu’avec ma grande gueule…). Je ne sait pas si je n’aurais pas fait partie du deuxième groupe si les conditions avaient été différentes… Une des mamans, dont le fils était qualifié, ne voyait plus l’intérêt de la chose. La compétition pour la compétition, ça ne l’intéressait pas, surtout dans le cadre du projet de classe, surtout par rapport au collectif et aux enfants qui resteraient à Paris et qui non seulement seraient déçus mais en plus jaloux.

La directrice de l’école partageait complètement le même avis, tout comme le maître, mais il était prêt à suivre, s’il le fallait.

Au bout de deux heures de discussion, tout le monde s’est rendu compte que ce n’était pas vraiment faisable. La team de toute façon ne pouvait pas être complète et il n’y avait pas assez de véhicules.

Je suis rentrée à la maison. J’avais eu le temps de mettre un mouchoir sur ma propre déception pour annoncer la mauvaise nouvelle à Lou et lui permettre d’exprimer la sienne pour la consoler.

Nous n’irons pas à Montluçon… Mais la vie est quand même belle, et c’est tant mieux.