En ce moment, je suis plutôt dans l’action que dans l’écriture. L’école mobilise tout ce qu’il me reste d’énergie. Nous avons un nouvel obstacle à franchir. L’académie a annoncé en janvier que notre école ne serait plus en ZEP l’an prochain. Nous l’avions vu venir, cela n’a pas été une surprise. On nous en avait déjà parlé. Ainsi, un inspecteur venu voir la directrice lui avait dit : « Votre école, ce n’est pas une ZEP ! Regardez votre cours de récréation ! » Voilà ! Pour être en ZEP, il faut avoir une majorité d’Arabes et de Noirs. Et que ça se voit. Délits de faciès quand tu nous tiens. Relents dégoûtants et nauséabonds.
Nous pâtissons forcément de la vitrine du quartier : bars branchés, immeubles cossus, prix de l’immobilier s’envolant. Nos pauvres manquent de visibilité : en plus de n’être pas assez colorés, ils ne hantent pas les bistrots à la mode du coin. Mais il suffit d’entrer, l’été, dans le petit square de notre place, celui où les parents aux poussettes dernier-cri ne s’aventurent guère, pour trouver des enfants parlant toutes les langues, des mamans à foulard conversant avec celles têtes nues, des grands frères un peu voyous beaucoup dealers, des gens chiants dans les buissons quand ils ne s’envoient pas carrément en l’air à 2 mètres du toboggan des petits (je n’exagère pas, je l’ai vu). C’est pas tout rose, c’est pas tout gris, c’est la vie en technicolor illustrée par un immense mur où est inscrit « je t’aime » dans toutes les langues.
Nous avons demandé à ces messieurs de l’académie sur quel critère, forcément indiscutable, ils se basaient pour nous asséner leur sentence. La réponse nous a laissé pantois : les indications données par les parents sur les fiches d’inscription en sixième. Pour juger de la composition d’une école primaire, on ne considère que ceux qui entrent en sixième. C’est d’une logique imparable. Nous savons d’expérience qu’une partie des enfants de notre école ne va pas en sixième dans notre quartier. Pourquoi ? C’est compliqué. Il y a ceux qui ne feront jamais de sixième (lorsqu’on a 12 ans et qu’on est au stade du CE2, on a peu de chance d’intégrer un collège).
Ceux qui intégreront ces classes, mais pas dans le quartier. Parce qu’ils l’ont quitté. Au bout de cinq ou six ans d’hôtel sociaux, les parents finissent par avoir leurs papiers et déménagent alors pour trouver des logements plus accessibles à leurs moyens, nous n’avons quasiment pas d’HLM. Quand ils partent, la plupart du temps, ils tentent de laisser leurs enfants finir leur scolarité primaire dans la même école. Mais les inscrivent dans les collèges de leur nouveau lieu de vie. Ensuite, sur les fiches, les parents indiquent leur profession, pas leur statut. Ainsi, ils vont rarement écrire chômeur en fin de droit. Même s’ils le sont.
Nous avons mené une contre-enquête basée sur la situation réelle des parents. Il apparaît que 50 % d’entre eux sont sans emploi, ouvriers ou employés. Il y a en face, 40 % de gens très favorisés (commerçant, chefs d’entreprise, cadres supérieurs). La population intermédiaire n’est que de 10 %. Mais on ne voit que les 40 % favorisés. Faut-il condamner les autres à avoir une école au rabais ?
On nous oppose que nous ne pouvons pas nous comparer aux ZEP les plus difficiles de Paris. C’est évident qu’un borgne est moins à plaindre qu’un aveugle, mais on ne va tout de même pas nier son handicap pour autant… On peut tout de même préciser que dans ces quartiers très durs, très difficiles, les gens, au moins, ont un logement. Ce qui n’est pas le cas d’une partie des enfants d’ici. Ce n’est pas redéployer des moyens sur des secteurs déjà constitués en ghetto (et qui ne peuvent que le devenir un peu plus si on ne les laisse à part et si on ne les insère pas dans un ensemble plus vaste) qu’il faut, mais en dégager de nouveaux. Et laisser fonctionner ceux qui réussissent leur travail d’intégration.
A qui profite le crime ? Pour baisser les impôts, il faut baisser les dépenses de l’Etat. Qui profite de la baisse des impôts ? Ceux qui en paient. Qui pâtit des baisses des dépenses de l’Etat ? Les plus pauvres. Nous préparons un curieux avenir à nos enfants : ceux qui auront les moyens, les mettrons dans des écoles privées, dont la plupart sont tenues par des catholiques, curieux retour en arrière. Les autres iront dans des écoles publiques au rabais, surpeuplées et mal famées. Ça me rappelle vaguement quelque chose. Je n’ai pas envie de ce monde-là pour mes enfants. Pas nous, pas ici, pas en France !
Nous pourrions nous tromper, souhaiter garder un système qui ne fonctionne pas. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas. L’intégration et la mixité sociale, c’est possible. Et la meilleure preuve que nous pouvons en apporter, c’est le résultat aux évaluations nationales de CE2 et de sixième, elles sont au-dessus de la moyenne nationale. Et le comble, c’est qu’on semble nous le reprocher. Car c’est là le deuxième critère que nous oppose l’académie : « Avec les résultats que vous avez, vous n’êtes pas une vraie ZEP ! » Mais, monsieur l’inspecteur, si les ZEP ne servaient à rien et surtout pas à améliorer les résultats scolaires, pourquoi les maintenir, voire les renforcer ?
Voilà le débat qui nous agite au gré des circonvolutions de ces messieurs de l’administration. En décembre, reçus en délégation, on nous disait que rien n’était arrêté. En janvier, nous apprenions la suppression de la ZEP. En février, nous avons manifesté, nous nous sommes rendus en délégation encore et encore.
Apparemment, c’était en pure perte. Nous avons rédigé des textes, sommé les élus de nous défendre, organisé des distributions de tracts, des signatures de pétition… Ce soir, se déroulera une scène supplémentaire de cette comédie : l’inspecteur d’académie, flanqué de deux acolytes, viendra nous rencontrer lors d’un conseil d’établissement convoqué à sa demande. Nous avons hésité. Nous avions l’impression d’avoir dit tout ce que nous pensions des critères, des méthodes, des besoins, de la réalité de nos quartiers. D’avoir produit tous les documents. Nous avions également le sentiment de connaître dans le détail la position de l’académie. Alors, pourquoi une telle réunion ? Nous en avons conclu que c’était peut-être pour amorcer un vrai dialogue, une vraie concertation. Et au bout du compte, nous donner une bonne nouvelle.
L’espoir fait vivre…
Le mardi 15 février 2005, 20:06 par Syl
En ce moment, je suis plutôt dans l’action que dans l’écriture. L’école mobilise tout ce qu’il me reste d’énergie. Nous avons un nouvel obstacle à franchir.
Oui je peux utiliser le début de ton texte mais ensuite je parlerai de la mairie qui a enlevé un auxiliaire de sécurité pour les sorties de nos enfants…malgré un chemin d’accès dangereux pour atteindre la piscine…
Les choses avancent, la mairie a de l’humour : elle concède de nous redonner un auxiliaire pour les trajets-aller……le retour…???? elle pense peut être que on les aura tous noyé entre temps !!!
Véridique…alors, on continue à se battre
Bon courage à toi
Le mercredi 16 février 2005, 07:08 par jeff
l’espoir fait vivre, mais le fait que tu te battes, avec les autres parents, fait avancer les choses plus surement que l’espoir.
Je vous soutiens (ayant fréquenté une ZEP).
Le mercredi 16 février 2005, 09:05 par Anne
C’est quelque chose que je trouve extrêmement positif dans nombre de quartiers dits populaires, c’est la capacité des gens à se mobiliser pour se battre pour ce qu’ils croient juste.
Très mal dit, mais je sais que tu sais ce que je veux dire.
Courage. Et bonne chance.
Le mercredi 16 février 2005, 13:38 par Jazz
Des écoles trop « bon teint » pour être des ZEP (j’étouffe !), une minorité de parents trop aisés dont le niveau de revenus prime sur le sort des enfants des 60% restant (je suffoque), « des écoles publiques au rabais » comme tu le dis (j’enrage)…
Et dire qu’on argue de toutes arts qu’il faut enrayer l’échec scolaire !
Ça me dépasse.