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Cela donne une ambiance tout à fait particulière à cette école. Quand je suis arrivée, il y a un peu pus de vingt ans dans le quartier, elle était totalement décriée : les plus riches n’y mettaient pas leurs enfants, ils demandaient des dérogations pour les écoles voisines ou inscrivaient leurs petits dans le privé, considérant sans doute que cette école de ZEP ne garantissait pas l’excellence de leur progéniture. N’y allaient que ceux dont les parents ne pouvaient pas faire autrement ou ceux pour qui l’école publique était un combat.

Ceux-là, grâce à une équipe enseignante de choc, ont décidé de relever leurs manches et de démentir la fatalité. Ils se sont battus. Petit à petit, ils ont obtenu des moyens, mis sur pied un projet qui a vu le jour, il y a six ans, de réaménagement du temps scolaire, dans lequel les enfants, outre les heures d’enseignement qui leur sont dues, bénéficient de deux demi-journées d’activités périscolaires gratuites. Une organisation qui permet de façon transversale d’appréhender non seulement le français, les mathématiques mais aussi la connaissance du monde, des autres, la vie citoyenne, le respect de soi, des autres et des adultes et, surtout, le goût d’apprendre. Petit à petit, l’école a redressé la tête, les gens du quartier n’ont plus vu d’obstacle à lui confier leurs enfants. Elle a pu à nouveau refléter la réalité de l’endroit.

Le premier enseignement de cette histoire pourrait être que lorsqu’on se bat, on peut modifier le cours des choses, que rien n’est fatal. Qu’il ne faut pas fuir, mais résister. Mais ce n’est pas si simple. Nous avons bénéficié d’une conjonction extraordinaire de parents, d’enseignants, d’élus.

Le deuxième enseignement, c’est que la mixité sociale à l’école, ça peut fonctionner, ça peut même être un plus pour tous les enfants, pour leur intégration dans la vie sociale future, dans la lutte contre le communautarisme qui pourrit tout. Ce n’est pas forcément synonyme de niveau scolaire au rabais et de problèmes sans fin. Les résultats des enfants aux évaluations nationales sont supérieurs aux moyennes parisiennes et aux moyennes nationales.

Cela évidemment demande des moyens. Des moyens importants. L’école coûte trop cher. Vous l’entendez tous les jours : il y a trop de fonctionnaires, il faut en supprimer un tiers. C’est valable aussi pour l’éducation nationale. Alors l’académie sabre. Elle supprime des classes bien que le nombre d’enfants soit de plus en plus important, elle coupe des heures dans les collèges et les lycées. Et quand une nouvelle école ouvre, au lieu d’ouvrir un poste, elle se contente de le transférer d’un endroit où elle l’a supprimé.

Elle entasse les enfants. « Quand j’étais jeune, nous a dit l’inspecteur d’académie, nous étions à quarante par classe et cela ne m’a pas empêché de réussir. » De son temps, on s’essuyait aussi les fesses avec du papier journal. Et alors ? L’an passé, on nous a fait le coup. Fermeture d’une classe alors que nous n’étions pas à la limite de fermeture et que nous prévoyions des effectifs supplémentaires l’année suivante. Mais non, la mairie mentait, les parents d’élève mentaient, les directeurs d’établissement mentaient. L’académie, elle, était la seule à avoir les vrais chiffres. Nous avons lutté, nous avons gardé notre classe (qui a été fermée ailleurs, dans une école où les parents ne se sont pas mobilisés). Cette année, l’école accueille cinquante enfants de plus… Qui mentait ?

Beaucoup de personnes ont une attitude consumériste vis-à-vis de l’école, en tout cas à Paris. On choisit une bonne maternelle, une bonne primaire, un bon collège et un bon lycée. Et si ceux-ci ont des problèmes, on change nos enfants d’établissement. Difficile de mobiliser autour d’un projet dans ces conditions.

Je me souviens de la fête de l’école de l’an passé. Des parents sont arrivés avec leurs liasses de tickets (dont les prix sont calculés au plus juste pour tenir compte des plus petites bourses), comme s’ils étaient à la Foire du trône payant à leurs mômes ce qu’ils voulaient, mais ne s’occupant de rien et surtout pas de partager avec les gamins qui n’avaient pas les mêmes moyens (cela dit, beaucoup de leurs enfants, eux, partageaient). Bien loin de l’esprit communautaire qui avait toujours présidé à cette fête. Et nous étions une petite dizaine à ramer pour tenir les stands, pour servir la nourriture. De nombreuses demandes de coups de main ont été repoussées de façon à la limite de la politesse. On a même vu un papa qui s’était annexé une table sur laquelle il avait installé son ordinateur portable. Son gamin ? Partager ? Communiquer ? Il payait, que lui voulait-on de plus.

Mais l’école, ce ne devrait jamais être cela, un lieu où l’on paie pour obtenir ce que l’on désire. L’école de la République, ce sont aussi des valeurs, des idées, un état d’esprit. Une certaine idée du partage, de la vie ensemble, de la citoyenneté. Une idée aussi que l’on retrouve dans la vie des blogs, qui fait qu’on a plaisir à se rencontrer et à discuter ensemble. Ces gens tels que je les décris se rendent-ils compte de ce qu’ils sont en train de perdre ? Est-ce là le monde qu’ils veulent pour leurs enfants, un monde où le fric remplacerait tout : les sourires, le plaisir de rendre service, le bonheur de voir un enfant sourire, le partage.

Violente réaction de notre part cette année. Il est hors de question que cette fête continue ainsi. Nous ne serons pas plus longtemps les dindons de cette sinistre farce Nous avons donc instauré l’ère du tout gratuit, du partage et de la solidarité. Prix d’entrée à la fête ? Une boisson et un plat. De préférence fait à la maison. Et nous allons sensibiliser les enfants à la question, afin qu’ils harcèlent leurs parents à ne pas les ridiculiser par un paquet de chips et une bouteille de Coca. Les jeux seront entièrement gratuits, les parents ne pourront plus faire étalage de leur niveau de vie. Tous pourront y participer à égalité.

Seules une tombola et une loterie seront payantes en monnaie sonnantes et trébuchantes, parce qu’il faut bien alimenter la coopérative de l’école. Mais les lots seront fournis par les parents… L’esprit ? Celui des grands repas communautaires où chacun apporte ce qu’il peut ou ce qu’il veut et dans lesquels tout le monde partage. Un peu dans l’esprit du 14 juillet, l’année où avait été fêtée la Méridienne.

C’était ça, ou l’arrêt de la fête. Nous ne voulions pas recommencer l’expérience désastreuse de l’année passée.

A suivre…

Le mercredi 9 février 2005, 23:00 par Nounou, l\\’ours en peluche
Merci :)
Ton texte me touche particulièrement et me renforce dans mes projets…

Le jeudi 10 février 2005, 20:38 par Alix
Bravo pour ce message :) Il y a tant à faire…

Le lundi 14 février 2005, 01:24 par Kouignaman
C’est toujours rassurant au hasard du web de lire un texte prouvant qu’il existe des gens qui ne baissent pas les bras malgré tout.
Alors bon courage, je n’ai pas d’enfants mais si j’en avais j’aimerais que leur chemin croise le votre.

Le mardi 15 février 2005, 10:55 par Jazz
Ah ! L’école publique est un combat, ici, aux Etats-Unis, un peu partout.

Le fait d’instaurer une fête aussi gratuite et égalitaire que possible, c’est une idée géniale.
Et bravo pour votre résistance couronnée de succès contre la fermeture de la classe.
C’est vrai, autrefois, certaines classes étaient surpeuplées, et les élèves n’en apprenaient pas moins pour autant (enfin, ceux qui le disent sont ceux qui ont réussi en général), mais aujourd’hui, la pédagogie, les méthodes d’enseignement ont évolué (pas toujours en bien, il faut m’admettre), et les enfants aussi dans leur rapport à l’école et à l’autorité de l’instit’.
Ce qui m’attriste le plus, c’est, non pas la volonté de fermer des écoles ou des classes, ni même la mauvaise foi, non, pardon, je veux dire, les estimations erronées de l’administration, parce que tant qu’il y aura des parents citoyens comme vous pour faire primer l’intérêt des enfants, je ne m’inquiète pas outre mesure.
Non, ce qui m’inquiète, c’est qu’il y a de plus en plus de parents comme ce monsieur grossier à l’ordinateur portable qui pense que tout leur est dû parce qu’ils ont payé. L’éducation et la vie de l’école sont des projets collectifs, à la réussite desquels chacun des acteurs doit prendre part, à sa manière. Alors, oui les sous ont leur importance, mais l’implication, les initiatives et la volonté transformée en actes ont aussi leur valeur.

Et puis, si tu as besoin d’aide, tu connais mon mail. ;o)

Le mardi 15 février 2005, 10:56 par a n g e l
merci pour ton texte qui correspond tellement à mon idée de l’école…..
et la kermesse gratuite je l’ai déjà pratiquée, c’est ce qu’il y a de mieux (ethiquement parlant)

surtout ne lit pas ce livre « nanny journal d’une baby sitter » de Emma McLaughlin et Nicola Kraus. ca fout grave le bourdon sur les parents démissionnaires obsédés par l’argent……