Sale temps pour la Guadeloupe. Au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs. Il pleut des trombes d’eau depuis des semaines. Vendredi soir, une falaise de boue s’est effondré sur la route nationale 1 (c’est « l’autoroute qui relie Pointe-à-Pitre à Basse Terre, une six voies qui est relativement récente). Le talus de terre, haut de plusieurs mètre, a été miné par les eaux de pluie. Au journal de RFO, on voyait des failles à 1 ou 2 mètres du bord, laissant augurer d’un autre effondrement.
Cette route, à cet endroit et vu l’heure (vers 19 heures) est très fréquentée. Je l’emprunte régulièrement pour aller voir la famille du Nôm qui habite à Petit-Bourg ou pour descendre à Basse-Terre. Heureusement, ce soir-là, seul une voiture passait à ce moment-là. La voiture en a pris un coup, mais elle n’a pas été recouverte par la terre et les deux occupants, un père et son fils de 2 ans, ont pu être libérés par les secours arrivés très rapidement sur les lieux.
Aux Antilles, les catastrophes sont fréquentes et la population très solidaire. Aussi, dès la nouvelle connue, des entrepreneurs sont arrivés avec leur tractopelles pour commencer à déblayer la route. Car on craignait vraiment qu’il y ait des voitures sous la boue… Il a fallu attendre 2 heures du matin pour être sur du contraire. Bonjour l’angoisse.
Au vu des dangers, la route ne pourra être rouverte avant mardi ou mercredi, s’il ne pleut pas trop.
Le même jour, aux Abymes, c’est un pan de colline qui s’effondrait sur un groupe de maisons. Il y avait déjà eu un glissement de terrain à cet endroit, donc une grande partie des maisons avait été évacuée. Pour les autres, heureusement, les habitants n’étaient pas chez eux. Mais certaines cases (en dur, donc parpaing) sont éventrées. Au journal de RFO, on voyait des habitants tentant de récupérer ce qu’ils pouvaient mais, expliquaient-ils, comme ils ne sont pas relogés, ils ne peuvent emmener leur machine à laver, leur frigidaire, etc. Heureusement, il n’y a pas de pilleurs. Enfin, pas pour le moment. On ne dépouille pas plus malheureux que soi.
Et puis cerise sur le sundae, hier matin, tremblement de terre. L’épicentre est située entre la Basse-Terre de Guadeloupe et la Dominique. Certains scientifiques pensent à une éruption volcanique sous-marine (la région est assez active). Les dégâts sont considérables : maison écroulée, routes détruites.A Trois-Rivières, dans le sud de la Basse-Terre, une petite fille de 3 ans a été tuée après avoir reçu un pan de mur sur la tête. Sa sœur est grièvement blessée. Elles dormaient toutes les deux, quand cela s’est produit. Elles n’ont pas eu le temps de se mettre à l’abri. Nous avons vu les images de sa maison. C’est pitié. Les murs sont éventrés, des pans entiers de parpaings sont à terre. La mère s’occupe de personne handicapées et âgées. Elle vivait donc là, avec une personne gravement invalide et ses deux petites filles.
Que reste-t-il de la famille. Comment se remettre d’une telle fatalité. Comme d’habitude, la solidarité a été immédiate. Le téléphone étant coupé, la mère n’a pu joindre les secours. Ce sont des voisins qui les ont pris en charge pour les emmener à l’hôpital. Trop tard pour la plus jeune. Mais cela va peut-être sauver la plus âgée.
Vous avez vécu un tremblement de terre vous ? Moi oui, il y a deux ans. Nous dormions le Nôm et moi quand j’ai été réveillé par une sensation extrêmement bizarre. Tout bougeait, j’ai crié : « Qu’est-ce qui se passe ? » Mais j’ai su ce que c’était avant d’avoir fini ma phrase. Et ça s’est arrêté immédiatement. Ce n’était pas très fort, entre 3 et 4 sur l’échelle de Richter. Mais pour qui n’est pas habitué, c’est très impressionnant. Et quand cela se passe, on n’a pas matériellement le temps de faire quoi que ce soit. Léone, qui dormait dans son petit lit, ne s’est même pas réveillée. Si la secousse avait été plus forte et si la maison n’avait pas tenu, nous n’aurions pas eu le temps de sortir.
Hier, dans un reportage vu au journal de RFO de Guyane (celui de Guadeloupe passe aux alentours de 2 heures du matin), un femme expliquait, encore terrorisée, qu’elle était dans son lit quand le tremblement de terre a eu lieu, qu’elle s’était levée précipitamment pour sortir. Mais qu’elle n’avait même pas eu la présence d’esprit de prendre avec elle l’enfant qui dormait à côté d’elle. Et on sentait, à l’entendre, qu’elle s’en voulait terriblement. On se sent si impuissant quand on vit ce genre de chose.
Au moment où nous avons appris le tremblement de terre (merci itélé qui a été la première a donner des informations complètes et assez précises), nous avons essayé de joindre notre famille, pour voir si tout allait bien. A priori, nous n’étions pas très inquiets car ils ne sont pas dans la zone la plus touchée puisqu’une partie vit aux Abymes, sur la Grande terre, l’autre à Petit-Bourg, donc dans le nord Basse-Terre. Mais sait-on jamais.
Les lignes étaient bien entendu saturées. Nous n’avons réussi à les joindre qu’à minuit passé. En attendant, nous étions à l’affût de la moindre info. RFO sat n’a pas daigné modifier ses programmes pour donner des informations aux familles paniquées. Le Nôm zappait d’une chaîne à l’autre pendant que je faisais des recherches sur Internet. Tout était mélangé, on parlait d’un homme tué d’un coté, alors que ce n’est pas vrai, les zones touchées n’étaient jamais les mêmes. Des sites comme Libé parlait de la réaction de Jacques Chirac, alors que nous manquions de la plus élémentaire des infos. La Guadeloupe devenaient une contrée lointaine et inconnue.
Je vais encore crier haro sur mes confrères et consœurs. Mais avant de dire qu’il y a eu un mort dans la région de Pointe-à-Pitre alors qu’elle a eu lieu à Trois-Rivières, on vérifie sa géographie. Cela évite à tout une partie de la population d’être saisie d’angoisse. Trois-Rivières est près de la ville de Basse-Terre la préfecture de la Guadeloupe. Pointe-à-Pitre est en Grande-Terre. N’importe quelle carte trouvée sur Internet en deux secondes permet de s’en rendre compte…
On a tout de même pu leur parler. Ma belle-mère m’a raconté avoir eu la peur de sa vie. Les meubles ont tous été déplacés, il paraît que tout le monde criait… Elle n’avait jamais vue cela avant. Heureusement il n’y a pas de dégâts ni de blessé. Elle m’a raconté aussi que la pluie avait redoublé après le séisme. Il pleut à ne pas mettre le nez dehors, à ne pas voir la maison en face. La petite route qui passe devant sa maison et qui mène chez mon beau-frère et les cousins a été emportée il y a quelques jours, elle est impraticable.
J’espère que l’ébauche de notre maison a tenu le coup aussi. Chez ma belle-mère, la maison est solide, construite dans les normes. Mais je m’interroge sur celle de ma belle-sœur. Dans la zone ou elle a la fait bâtir, à coté de chez nous, les normes antisismiques draconiennes. Il est notamment interdit de construire des maisons à étages en dur. Je veux dire que si on fait un étage, celui-ci ne doit pas être construit à partir d’une dalle de béton, mais d’un plancher en bois. Evidemment, beaucoup n’ont pas respecté cette consigne. Notamment ma belle-sœur. Elle a donc une très grande maison, avec au rez-de-chaussée une dalle de béton, à l’étage également. Le béton, il est vrai est moins cher que le bois. Et surtout, en cas de cyclone, c’est plus solide.
Quand nous avons commencé à faire construire notre maison, le Nôm a bien pensé en faire autant. Je m’y suis opposée de toutes mes forces. Notre permis de construire était très clair et très précis. Ma belle-sœur, qui se demandait de quoi je me mêlais, m’assurait que si, c’était bien, et que le permis de construire, franchement, pourquoi s’en préoccuper… Je lui ai répondu que si elle voulait faire un sandwich avec deux plaques en béton dans le rôle du pain et elle-même dans le rôle du jambon, c’était son droit. Mais que personnellement je ne préférais pas prendre ce risque. Car, cette zone, à la différence de celles de Trois-Rivières, de Terre-de-Haut aux Saintes ou des Grands-Fonds des Abymes où résident mes beaux-parents, qui sont montagneuses, est une plaine alluvionnaire, propice au phénomène de liquéfaction du sol. C’est-à-dire que le sol se déstructure complètement et les maisons construites dessus ne reposent plus sur rien. Dans ce cas, le problème n’est pas la résistance des matériaux qui les constituent, mais bien leur propre assise. Et elles s’effondrent tels des châteaux de carte. Avec l’effet sandwich décrit plus haut.
J’ai réussi a convaincre sans trop de peine le Nôm qui a décidé qu’il n’y aurait pas d’étage à la maison, même pas en mezzanine. Nous avons suffisamment d’espace pour agrandir autant qu’il nous faut. Mais tout autour de nous, on ne compte pas les maisons à étage avec dalles. Je n’aimerais pas être dedans au moment d’un tremblement de terre.
Il faut savoir aussi que la Guadeloupe ainsi que toute la zone caraïbes est placée en zone III pour le risque sismique, donc le plus fort.
Il y a un risque non négligeable dont on parle assez peu, mais il faut bien dire que s’il se produisait, nous n’aurions pas grand-chose d’autre à faire que serrer les fesses ou prier pour ceux qui croient. C’est le tsunami, le raz de marée. En cas d’éruption volcanique importante, sous-marin ou non, ou de tremblement de terre sous la mer, la mer se retire de plusieurs centaines de mètres pour revenir en une ou plusieurs grandes vagues. Si le volcan Montserrat avait explosé, comme on a cru un moment qu’il le ferait (et ce qui peut toujours advenir) des villes comme Pointe-à-Pitre serait rayé de la surface du globe. Et mon village aussi.
Il faut faire avec. Je dois dire que je comprends le caractère très religieux des gens qui habitent ces zones. Car entre le volcan, le cyclone, les tremblements de terre, les raz de marée, il faut être soit particulièrement optimiste soit profondément croyant pour ne pas vivre dans une angoisse permanente. Celle-ci ne serait d’ailleurs pas une solution puisque cela ne changerait strictement rien à la réalité. La peur n’exclue pas le danger.
Alors vivons heureux en attendant la mort.
Quelques commentaires
Leelolène
J’attendais de te lire sur le sujet depuis hier
De mon côté ma mère m’a envoyé un texto immédiatement tôt le matin : « Gros tremblement de terre, lignes coupées, tout va bien, les Saintes touchées. ». Je me suis empressée d’aller allumer France Info… évidemment rien, sur Internet tous les sites de Guadeloupe bloqués… Rien sur l’AFP, rien sur Reuters… Ensuite… comme toi j’ai commencé à m’énerver sur la désinformation concernant le soit disant mort dans Pointe-à-Pitre (puisqu’entre temps j’avais eu la vraie version de ma mère en Guadeloupe)… sur « l’horreur de ne plus avoir d’eau »… alors que les coupures sont incessantes depuis un mois… Sur les pluies diluviennes qui tombent depuis une semaine…
Je partage évidemment ton opinion sur les constructions en Guada. J’ai vécu pendant longtemps dans les vrais maisons antillaises à flanc de morne, sur deux étages, en pur béton, bien costaud pour les cyclones… mais tellement dangereux pour les séismes !
Dieu merci, cette fois-ci, il n’y a pas eu plus de dégâts… Même si la terre continue de trembler depuis hier. J’ai peur d’imaginer le sol tellement fragilisé par les torrents d’eau qui tombent depuis dix jours… déjà en passant du côté de Pointe Noire il y a deux semaines, j’avais vu le désastre après les queues de cyclones de septembre : plusieurs maisons à flanc de morne complétement détruites… la Route de la traversée effondrée depuis deux mois…
J’ai vécu deux ou trois tremblements de terre (ah et un autre aussi à Saint Malo assez violent )… C’est toujours assez traumatisant de s’imaginer recevoir sur la tête dans les secondes qui suivent des tonnes de bétons. Je me souviens bien des exercices à l’école où l’on sautait tous sous nos bureaux. Je me souviens de ces soirs d’angoisses où je m’endormais en pensant au plus court trajet pour sortir de la maison (allez savoir pourquoi j’angoissais comme ça !). Je me souviens lorsque nous étions petits de nos parents nous montrant quel chemin emprunter la nuit en cas de séisme.
Je ne veux pas regarder les infos ce soir. Je ne veux pas voir les images de ces maisons éventrées (dont j’ai aperçu quelques photos sur yahoo). Je ne veux pas entendre ces Guadeloupéens effrayés. Je ne veux pas me mettre à pleurer devant ces images… mais ce soir je me brancherai quand même sur RFO pour voir et mettre une image sur le récit effrayé de ma mère…
Samantdi
Un petit message pour redire « bon courage » aux Guadeloupéens… je venais de poster un commentaire chez Leeloolene quand tu as publié ce billet. Donc, je ne vais pas redire les mêmes mots… Grâce à vous la Guadeloupe, nous lecteurs-lectrices, nous apprenons doucement à la connaître de l’intérieur… Pas seulement à cause des belles plages « clichés » (même si c’est bien agréable aussi !) mais grâce à ses habitants.
Et du coup, je suis allée rechercher le roman préféré de mes années quatre-vingt : Pluie et vent sur Télumée Miracle, de Simone Schwarz-Bart. Je me disais bien que j’avais déjà des copines là-bas : Télumée et sa grand-mère…!
Pensées amicales à tous