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Jusque là, j’étais contre l’idée du mariage, passer devant le maire, tout ça… Je considérais que l’amour n’avait pas besoin de papiers, que le mariage n’était qu’un contrat sur les biens entre deux personne (ce qu’il est d’ailleurs). Ma chanson préférée était La Non demande en mariage, de Brassens. Les grandes idées quoi… Et je m’y suis tenue pendant… longtemps. Et je n’en étais pas malheureuse.

On m’a appelé longtemps mademoiselle. Puis un jour, vers la trentaine, je suis passée au madame. Vous dire que ça m’a fait plaisir serait exagéré, voire totalement non crédible. Je me suis fait une raison. Mon père, toujours le mot pour rire, me traitait de vieille fille. Dès que nous n’étions plus d’accord dans une discussion, et que je lui tenais tête, il disait que mon caractère ne s’améliorait pas et que j’étais en train de devenir une vieille acariâtre. Je ne lui ai pas répondu à l’époque, j’aurais dû : Papa, je t’emmerde. Vieille fille soit, mais fière de l’être. Et mort au con.

Je suis même devenue fille mère pour la peine. Et toujours aussi fière. Je portais mon ventre en avant, attention, c’est nous que v’la… Ma grand-mère s’inquiétait.
– Mais quand donc te marieras-tu ma chérie ?
– Mais pourquoi veux-tu que je me marie, mamie. Je suis pas bien comme ça ? De quoi ai-je besoin de plus ? J’ai un homme dans ma vie, un bon boulot et bientôt un bébé. Qu’est ce que tu veux de plus ? c’était tout moi.

Et puis une nuit, j’ai demandé mon Nôm en mariage. C’était une nuit de janvier. Nous papotions sur notre mezzanine et d’un coup, j’ai dit : « Et si on se mariait ? » Je ne sais pas comment ça m’est venu. J’avoue que je me suis étonnée moi-même. Je n’en revenais pas. Mon Nôm non plus d’ailleurs, qui, me connaissant, n’osait pas espérer. Il souriait et moi je considérais ce que je venais de dire.

C’est vrai que ça allait nous simplifier la vie au niveau des impôts. Nôm étant sans boulot et sans revenu m’enlevait la demi-part supplémentaire que j’avais en tant que mère célibataire, sans m’apporter rien du tout. Je ne m’en sortais plus au niveau fric. Là, au moins, je pouvais le déclarer aux impôts comme étant entièrement à ma charge. Mais se marie-t-on pour les impôts ?

Il m’a bien fallu reconnaître que non.

Alors quoi. C’est vrai, il y avait la situation de notre fille aînée. Un peu compliquée. Je vous raconterai peut-être tout ça un jour. Mais se marie-t-on pour ses enfants ? L’argument ne me convainquait guère.

Faire la nique à mes parents et leur montrer que j’étais, moi aussi, capable de me marier. Ça pouvait être une piste. Mais se marie-t-on pour ses parents, ou ses grands-parents. Pas plus que pour les enfants il me semble.

J’étais enceinte. Mais ça non plus ce n’était pas une raison, parce qu’au moment de ma demande, je ne le savais pas, ça datait à peine d’une semaine… Par contre, ça allait vite se voir…

Se faire appeler Madame ? Je vous l’ai dit, c’était déjà le cas depuis longtemps.

Le besoin de changer de nom ? Tant qu’à faire de chercher des raisons idiotes… Je suis mariée depuis… sept ans (oui, je sais, l’année noire, pas la peine d’insister) et je porte toujours mon nom de naissance, le mien.

Oui, bon, ben alors… pourquoi est-ce que tu voulais le marier cet homme…

Hem, je ne sais pas si je dois vous le dire. Ce n’est pas facile à avouer ces choses là. Je crois que je voulais lui dire combien je l’aimais. Et que la plus belle preuve d’amour que je pouvais lui donner, venant de ma part, c’était ça, le demander en mariage. Et comme mon Nôm est intelligent, il a compris et accepté ce cadeau à sa juste valeur.

Nous avons prévenu la famille, la sienne, là bas en Guadeloupe. Sa mère était si heureuse qu’elle a décidé de faire le voyage. Les miens étaient dubitatifs. Je crois qu’ils n’ont pas pris la chose du tout au sérieux. Au point que je n’ai d’ailleurs de leur part pas eu de cadeau… Nous faisions une souscription pour notre projet de maison, en promettant des hébergements à tous ceux qui avaient participé. Ben, c’est qu’à nos âges, une liste de mariage avec couverts, verres, argenterie, etc, ce n’est plus trop utile. On a tous ce qu’il faut.

Nous avons fait les démarches, réservé une date à la mairie. Plus les mois puis les jours passaient, plus nous étions fébriles. Lou regardait sans bien comprendre. Elle n’avait que 3 ans. Quelques jours avant la date fatidique, elle me déclara même qu’elle voulait se marier avec moi et papa. Elle a été très peinée de ne pouvoir le faire. Notre petite fête l’excluait et ça la chagrinait.

Et moi, tous les jours je me demandais si je ne faisais pas une connerie. Je me disais : « Ma cocotte, tu as encore le temps de faire machine arrière. réfléchis nom de Dieu ! Réfléchis bien à ce que tu vas faire… »

Ma mère me fit la scène de la robe. Il me fallait UNE robe pour de mariage. Mais si au moment de la décision ma grossesse passait encore totalement inaperçue y compris de moi, six mois plus tard, ce n’était plus tout à fait le cas. J’avais la grosse bedaine. Je ne me voyais pas, à 39 ans, enceinte jusqu’aux yeux, mettre une robe de mariée. Ce que j’essayais d’expliquer à ma mère… Mais rien n’y fit. Elle voulait que j’achète une robe. évidemment, elle ne me l’offrait pas. Et j’avais pas franchement les moyens…

Faut dire que ma mère s’était également mariée enceinte, de moi. Pour elle, ça ne se voyait pas encore. Elle aurait pu avoir droit à la robe de mariée. Mais sa propre mère, qui était une peau de vache, lui a fait comprendre que lorsqu’on avait fauté, on ne se mariait pas en blanc. Elle est donc passée à la mairie et à l’église dans un ensemble jupe twin-set vert, du plus bel effet pour une rousse, mais fort décevant pour la jeune fille romantique qu’elle était.

La pauvre, non seulement elle n’aura pas eu droit à sa robe, mais aucune de ses filles ne la portera non plus…

Enfin, j’ai donc couru les magasins avec ma belle-mère pour me trouver une robe, convenable. Et dans laquelle je rentrais quand même. Pronuptia n’est pas Prénatal. C’est dans cette dernière boutique que j’ai fini par acheter ma robe. Comble de l’ironie, elle était verte ! Ça a dû suffoquer ma mère qui n’a pu s’empêcher de faire la réflexion à l’une de mes sœurs : « Tu te rends compte, Laure, pour son mariage, elle s’est acheté une robe de grossesse ! » Ben oui, mais je ne vois pas ce que j’aurais pu mettre d’autre !

Je rêvais d’être mariée par quelqu’un que je connaissais. Or, il se trouve que je connaissais bien le maire du 18e. Problème, il était à l’époque ministre et je ne pensais pas qu’il aurait le temps. Mais qui ne demande rien, n’a rien, alors je lui fis tout de même une belle bafouille que j’oubliais sitôt postée, tellement je n’y croyais pas. Or deux semaines avant la date, sa secrétaire me téléphona pour me dire que c’était d’accord, il allait décaler ses vacances d’une journée pour pouvoir me marier. Une journée, ce n’est pas grand chose vous me direz, mais une journée de ministre, quand même… Il me demanda cependant de lui faire le discours. J’avais déjà fait ça, écrire des discours. mais je ne pensais pas rédiger celui de mon propre mariage…

Enfin, ne dit-on pas qu’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même ? J’incluais même un compliment sur ma grand-mère, présente comme il se doit, qui fut lu, comme le reste et avec des félicitations car j’y disais qu’elle habitait le 18e depuis son mariage à elle, en 1934. Elle en rosit de plaisir.

Et voilà, c’est ainsi que par un beau jour de juillet, je me suis retrouvée mariée…