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Une histoire salée (suite)

La suite de…

En sortant de la maison du directeur, notre guide, qui avait un peu de temps devant elle et de la verve, nous emmena dans un des ateliers où étaient exposées des maquettes du seigneur des lieux, l’architecte Claude-Nicolas Ledoux dont on célèbre cette année le bicentenaire de la mort.

Dans cet incroyable espace, la première chose que je repérai fut les escaliers, magnifiques dans leur simplicité rustique, qui grimpaient à l’étage, là où vivaient les ouvriers et leurs familles (une chambre chacun, mais pour l’époque, c’était, paraît-il, Byzance). De chaque côté de la grande porte, deux immenses salles, l’une pour les maquettes qui ont abouti, l’autre pour celles, plus tardives, qui participaient de l’utopie. On commença bien sûr par la salle des monument réalisés.

C’est ainsi que je découvris le théâtre opéra de Besançon et son histoire. Ledoux, nous expliqua la guide, fut le premier à rompre avec le théâtre à l’italienne, très vertical et en bas duquel le peuple restait debout, au pied de la scène. Dans le théâtre de Besançon, pour la première fois, le parterre fut garni de fauteuils destinés aux abonnés. Les officiers s’installèrent au premier balcon, la noblesse occupa les premières loges et la bourgeoisie les secondes, tandis que le peuple eut des places assises en haut de l’amphithéâtre, le paradis ou le poulailler suivant la connotation qu’on veut bien donner à cet endroit. Aucune place aveugle. Tout le monde devant communier dans la culture, mais chacun à sa place…

Ledoux travailla également beaucoup sur la scène, son organisation, et fit descendre les musiciens dans la fosse, ce qui améliora le son et libéra l’espace scénique.

La maquette suivante était celle d’un immense palais carré. Huit habitations reliées entre elles par des allées de colonnes. Mais en fait, cette très belle réalisation neo classique n’est pas un palais. C’est la première version que Ledoux présenta à Louis XV pour la Saline d’Arc et Senans. Version qui fut retoquée, à cause de toutes ces colonnes justement. Les palais sont pour les rois. Pas pour les ouvriers. On voulait une usine, point à la ligne.

Ledoux retravailla donc son projet, tout en gardant l’idée de la beauté. Rousseauiste, il pensait que celle-ci améliorerait l’ordinaire des ouvriers. La beauté, l’amour plus forts que la misère… Il présenta donc cette deuxième maquette à Louis XV. Elle fut approuvé par le roi et par Trudaine avec cependant quelques arrangements.

Ainsi, nous expliqua la guide, les arbres que l’on voit tout autour ont été supprimés pour que rien ne puisse être masqué (et qu’un ouvrier ne soit pas tenté de voler du sel en se cachant derrière). Les colonnes centrales n’ont jamais été construites par soucis d’économie. Soucis qui présida également au remaniement de la maison du directeur qui fut simplifiée (pas de colonne sur les côté, notamment). Les rectangles que l’on voit derrières les bâtiments sont les potagers destinés aux ouvriers, ceux-ci ont été maintenus…

 Lié à la ferme générale, qui concentrait sur elle toutes des haines contre l’Ancien Régime, Ledoux fut arrêté durant la Terreur. Il sauva sa tête par miracle, mais lorsqu’il sortit de prison, plus personne ne lui fit de commande. Il faut dire que la majorité de sa clientèle soit avait quitté la France, soit s’était fait raccourcir…

Il reprit alors nombre de ses travaux pour les améliorer, en imagina beaucoup d’autres. Il repris notamment sa maquette initiale de la saline royale pour en faire une cité idéale, la ville de Chaux, dont la Saline aurait été le centre. Il ferma le cercle et créa de nouveaux bâtiments, dont des écoles. Mais ni hôpital ni prison, car, dans une ville idéale, on n’aurait besoin ni de l’un ni de l’autre.

 Les maquettes de cette période sont fascinantes par leur modernité. En cette fin de XVIIIe siècle, cet homme âgé imagina des lignes que ne renieraient pas des architectes contemporains. Une de ses constructions sphériques me faisant tout à fait songer à un immeuble de Marne-La-Vallée, conçu par Ricardo Bofill dans les années quatre-vingt et qu’à l’époque j’appelais Le camenbert.

Ledoux fut un précurseur du courant utopiste qui connut ses heures de gloire au XIXe siècle, avec Fourrier et Proudhon, tous deux Franc-Comtois et ce n’est sans doute pas un hasard… Mais il fut aussi un visionnaire.

Je ne sais pas comment s’appelait notre guide d’un soir. Mais je dois dire qu’elle était passionnante et sans aucun doute passionnée par son sujet. Il n’y a pas de plus belles rencontres que celles de personnes qui vous entraînent sur les chemins de la connaissance avec autant d’engouement. Ha ! quelle belle conteuse nous avions là…

Nous nous sommes retrouvés dehors, un peu vides, un peu dans le vague, dans un temps suspendu que l’on ressent en général après avoir vu un très bon film. Dans ces cas-là, la meilleure marche à suivre est de faire comme tout le monde. Et le tout le monde en question se dirigeant vers un autre bâtiment, je lui ai emboité le pas sans me poser de questions.

Bien m’en a pris, car ils m’ont conduit vers le buffet. Rien de tel pour se remettre de ses émotions qu’un bonne assiette de gourmandises franc-comtoises et qu’un verre de vin d’arbois. La seule chose qui me chiffonnais, c’est qu’une fois de plus, il s’agissait d’un dîner debout et que je ne me tenais plus sur mes jambes. Avec d’autres, nous décidâmes de nous assoir par terre sans plus de façon. Après tout, ce ne devait sans doute pas être les premiers fessiers que ce sol historique recevait.

Tout en dégustant de la morteau et autres charcutailles, je levais le nez et découvrais deux nacelles d’aéronef et la reproduction d’un dirigeable. A l’étage, il y avait une exposition de photos qui me semblait très intéressante mais que je ne me sentais pas du tout le courage d’aller voir. Je finis par me lever pourtant, pour refaire le plein, aller écouter les différents orateurs et notamment le président du conseil général qui nous recevait. Puis un chanteur local.

En fait, non, celui-là, je ne l’ai pas écouté. Il paraît pourtant qu’il était vraiment très bien. Mais je n’en pouvais plus. Ayant trouvé un des (rares) fauteuils sans occupant, je m’y suis affalée en attendant la suite des événements, c’est-à-dire le moment où nous remonterions dans nos bus pour aller rejoindre nos lits et les bras de Morphée. Je n’étais pas la seule dans cet état, nous étions quelques uns à deviser en attendant que le temps passe.

Ce qu’il finit par faire. Le signal de départ fut donné. Je montais alors très vite à l’étage pour regarder les photographies. C’était celles d’un grand photographe, dont je ne me souviens plus le nom, mais dont je revois encore ce très célèbre cliché représentant trois hommes sur la terrasse d’un building new-yorkais avec, sur le côté en contre bas, la rue. Il y avait cette photo-là mais, surtout, tout une série sur l’architecture. Des clichés avec Le Corbusier, d’autres, merveilleux, représentant la construction et l’inauguration de la ville de Brasilia, d’autres encore représentant des villas ultra modernes, très belles, dans des régions improbables où il a l’air de faire toujours beau. Ah ! comme j’aurais adoré avoir les moyens d’être mécène.

Nous avons quitté ce lieu magnifique, non sans prendre encore des photos. Nous sommes remonté dans nos cars direction Besançon où on eut le bon goût de nous déposer juste devant la porte de nos hôtels. Il ne nous restait plus qu’une chose à faire, dormir…

 Si vous voulez voir les photos en format plus grand et découvrir d’autres maquettes fabuleuses de Claude Nicolas Ledoux (Le Doubs ?), il vous suffit de vous rendre dans cet album photo.

1. Le vendredi 3 novembre 2006, 15:09 par Dom

Merci pour cet article complet qui donne envie de découvrir cet architecte de manière plus approfondie. J’ai beaucoup aimé la maison ronde (et carrée à la fois) et effectivement ça me dirait bien d’y habiter. Un peu d’originalité dans nos parallélépipèdes rectangles qui gâchent la vue ne ferait pas de mal !
Décidément en ce moment je redécouvre d' »anciens » contemporains, qu’a-t-on véritablement inventé, je me le demande…
Dans le genre bien arrondi, il y a évidemment le musée Guggenheim à Bilbao (que je rêve de visiter depuis une anim péda sur l’architecture), mais aussi la maison ronde en bois qui tourne avec le soleil. Bref j’en ai profité pour rêver un peu -il ne reste plus de bonbons, il faut bien s’occuper ; )

2. Le vendredi 3 novembre 2006, 19:28 par Oxygène

Vous me donnez toutes envie de manger des bonbons !
Tu as ravivé une ancienne envie de visiter cette saline. Quand j’irai en France, je tacherai de faire un petit voyage du côté d’Arc et Senans.
Pour aller avec le sel et la confiture (Ne perdons pas le Nord) un lien sur les épices :
www.toildepices.com/

3. Le samedi 4 novembre 2006, 09:27 par Shaggoo

Merci pour la visite :)