Sélectionner une page

J’ai mal à la tête… Je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Mes paupières pèsent mille ans. Je tente de bouger un bras, une main. Je suis sans forces, sans voix, sans vue, paralysée, prisonnière d’une ouate prête à m’engloutir. Emmurée à l’intérieur de moi-même, je me débats immobile. L’angoisse me cisaille. Je me souviens enfin que j’ai vécu, déjà, pareil cauchemar. Je ne dois pas lutter. Je dois me laisser aller, me détendre, accepter de m’enfoncer, de me noyer. Petit à petit l’étau se desserre, et me libère tout entière. J’ouvre un œil, puis l’autre. Tout est flou, les contours, les couleurs… Les sons prennent forme, les images donnent de la voix.
 
– Tu te sens mieux ?


Je tressaille, je connais cette voix qui m’enveloppe et me réchauffe comme un châle protecteur. Encore engluée de torpeur, je regarde autour de moi. Je suis étendue sur un canapé rouge, dans une pièce blanche pleine de lumière.


– Où suis-je ?

– Dans ma loge.


La voix n’est pas amicale. Pas agressive non plus. Juste indifférente. Et cette indifférence me cloue au mur, fait courir dans mes veines mille petits glaçons empoisonnés. Les images me reviennent, cette complicité à eux, leurs rires, leur baiser. Lui que j’aime, et l’autre… Mon cri, et la terre qui tourne, tourne…

La tête me lance. Je m’ébroue. Je me tourne vers lui. Nos regards se croisent dans le miroir. Ses yeux noirs m’observent en silence. Puis sa main saisit un pinceau épais. Les yeux me quittent alors, se concentrant à nouveau sur ce visage qui peu à peu va se transformer pour la scène.

« Y’a les regards
De ceux que l’on croise
Et ceux que l’on habite
Avant d’avoir
Eu le temps de voir
J’ai fermé les yeux trop vite…»

Muette et perdue, éperdue, j’épie tous ses gestes. Les yeux noirs se posent à nouveau sur moi, songeurs, tristes aussi. Ils savent le mal qu’ils me font, mais la vie est ainsi faite… Il ne m’aime plus, il l’aime lui. Nous n’avons pas besoin de mots. Nos regards et ce qu’ils ont vu suffisent.

«Tous les visages parlent d’eux même
Avant qu’on les connaisse
Le tien m’a dit:” Va-t’en, cours au loin
Je ne serai que tristesse”

On s’est brisé la tête et le cœur
Avec bien trop d’adresse
On a noyé nos yeux dans les pleurs
Prétextant notre ivresse

Tous les visages parlent d’eux même
Avant qu’ils se connaissent
Les nôtres on fait semblant jusqu’à la fin
Aidés de fausses promesses. »

Voilà, c’est fini. Les yeux sont retournés au miroir. Il faut que je me lève. Quitter la pièce. Je suis sans force, sans vie, l’angoisse me cisaille, je me débats immobile. Et une voix me souffle que j’ai déjà vécu pareil cauchemar, je ne dois pas lutter, je ne dois pas résister, je dois m’en aller…

Ce texte, qui m’a été inspiré par le photo de Joël Zobel et la chanson de Pierre Lapointe, Tous les visages, est ma participation au diptyque 3.4., l’histoire de la photo.

1. Le mardi 19 décembre 2006, 08:39 par Anitta

Bien vu, bien trouvé, et bien troussé !

2. Le mardi 19 décembre 2006, 19:58 par Vroumette

Mais qu’il est beauuuuuuuuuuuuu (et bien vu, mais quelle pesanteur dans ces yeux noirs).

3. Le mercredi 20 décembre 2006, 09:09 par luciole

Très bien écrit comme toujours ! J’aime bcp cette photo, mais j’ai vraiment pas eu le courage de m’y mettre… A la séance de rattrapage peut être ! bises

4. Le mercredi 20 décembre 2006, 14:54 par Akynou

Luciole : la séance de rattrapage ? Oubli ! :-) J’espère bien qu’au moment des soldes Louise sera enfin là et je t’imagine mal, dans l’immédiat, faire autre chose que de t’occuper de ton bébé et d’essayer de te remettre…