J’ai très longtemps habité près d’un pont SNCF, tout au nord de Paris.
Un pont très noir, qui tremblait au passage des trains de marchandises, un pont que j’aimais.
Comment pouvait-on aimer un tel amas de ferraille, lui trouver un quelconque charme ? Sans aucun doute, je devais être le seul dans ce cas.
C’est du moins ce que j’ai longtemps pensé. En fait, non. Les toqués des viaducs sont plus nombreux qu’on ne le croit. Le Garabit abrite ainsi ses idolâtre qui passent tous leurs étés à camper dessous, jusqu’à ce que la maréchaussée les déloge…
Je connais au moins une famille qui a traversé le Portugal pour le plaisir de rouler sur un pont de ferraille. Mais, ce sont des petits joueurs, ce pont-là est ridiculement petit.
Ils avaient Lisbonne à portée de roue, avec ces deux merveilles de l’architecture : le Vasco de Gama, et le 25-Avril, merveilleux vestige de l’époque Salazar. AH, on savait construire à cette époque !
Pas plus tard que mardi dernier, j’ai lu dans Le Parisien qu’un malheureux était devenu clochard plutôt que de quitter le pont Alexandre III. Et je passerai sous silence le cas de ces imbéciles qui se rendirent jusqu’à Antioche, en Turquie, pour aduler un pont de fer. Les malheureux. S’ils s’étaient correctement renseignés, ils auraient su qu’il s’agissait en fait du pont DU fer, du nom du fleuve qui passe dessous. Ils n’ont découvert qu’une misérable construction de pierre, même pas assez haute pour qu’ils puissent s’y pendre de désespoir.
Moi, j’ai su trouver un dérivatif à cette étrange passion. Je suis devenu ingénieur. Et les ponts de fer, maintenant, je les construits et les fanatiques iront jusqu’à Millau pour voir mon chef d’œuvre.
Ceci est ma participation au jeu Kozliko-Samantadien du sablier d’automne. Chaque soir à 22 heures, l’une d’entre elles nous donne l’amorce d’un texte piqué sur un blog. Il faut en écrire la suite et la publier sur notre blog avant 10 heures le lendemain matin. Et mettre un message sous le billet ou le jeu est lancé
Voilàààààààà
1. Le mardi 2 octobre 2007, 23:38 par Elisabeth
J’adore le titre.
Le reste aussi d’ailleurs.
2. Le mardi 2 octobre 2007, 23:44 par Marie-Aude
Très bonne idée !
3. Le mardi 2 octobre 2007, 23:44 par samantdi
Tu en sais, des choses, ma Laure.
Tu m Ȏpates !
4. Le mardi 2 octobre 2007, 23:57 par Vroumette
Toi, chuis sûre qu’en son temps tu avais regardé toute la série sur les trains du monde qui passait sur FR3.
Le titre = trop beau !
5. Le mercredi 3 octobre 2007, 00:13 par Saperli
ou bien pour t’inspirer, tu as tapé quelques mots dans la barre de ton moteur de recherche préféré ? C’est bien, et à Lisbonne, il y a effectivement des monstres de ferraille !
6. Le mercredi 3 octobre 2007, 00:20 par Otir
Ah les ponts ! Et dire que j’ai rencontré lundi dernier un ingénieur des Ponts (et Chaussées mais canadien, alors il n’avait pas fait cette école), qui aurait adoré lire ton billet je suis sûre ! Si je le revois…
7. Le mercredi 3 octobre 2007, 00:37 par Dzana
Belle anecdote que celle du SDF qui refusa de quitter son pont. Le pont, symbole de lien et de circulation. Ce sont souvent les premières victimes « architecturales » des guerres.
Joli texte, je ne savais pas qu’on pouvait être ingénieur en ponts lol,
Dzana
8. Le mercredi 3 octobre 2007, 01:05 par Akynou
Dzana, les architectes dessinent, les ingénieurs réalisent, les ouvriers construisent. Pour les ouvrages d’art (dont les ponts font partie) travaillent des ingénieurs des ponts et chaussées 
Vroumette : ben non, mais Garabit me fascine 
Samantdi et Saperli, je ne vais pas donner mes secrets de tambouilles. Ce n’est pas comme pour les confitures 
A tous, merci en tout cas
9. Le mercredi 3 octobre 2007, 01:10 par Oxygène
J’ai fait trois cent kilomètres en Nouvelle Zélande pour voir un ouvrage d’art qui n’était en fait qu’une maquette. Oh! La colère !
10. Le mercredi 3 octobre 2007, 10:03 par PMB
Tous les ponts ne sont pas à aimer. En tout cas, pas tous les jours.
LE PONT DES COLERES
Cette bien plaisante cité des bords de Loire qui veille en silence un écrivain aussi grand que discret donne chaque samedi des vacances d’été la sérénade aux touristes et aux gens du pays, avec des artistes plus ou moins amateurs qui se produisent sur une ligne montant du port à la place de la Mairie. Et tout ça sans grande prétention, mais qu’est-ce qu’on s’en tamponne le baladeur, du moment que le plaisir y est.
Maintenant, le scooter a remplacé la moto ; mais le bonheur d’humer l’air qui passe, surtout s’il est tiède, reste le même. J’aborde à bon train de cherche-musique pressé le pont qui traverse en deux enjambées le roi des fleuves et inversement. Notre belle paresseuse a pris ses quartiers d’été sur un sable omniprésent que le soleil du soir effleure de son or pâle. Tiens, à droite, un homme, perché sur la rambarde, il regarde l’eau.
Souvent je comprends vite, mais il faut m’expliquer longtemps. C’est pour ça que je continue, avant de freiner en panique et de faire demi-tour, bien pour ça le deux-roues. Pas de temps à perdre, mais disons sans grande fierté que ce qui va suivre sera, pour moi, placé sous le signe de l’agitation brouillonne. Demander ce qu’il fait à l’homme (quelle question !). Ecouter sa colère. Lui dire qu’il n’y a pas assez d’eau et que tout ce qui risque de lui arriver c’est de se faire très mal, on en connaît qui sont devenus tétraplégiques pour moins que ça. Pas mon portable, bien sûr, juste là où il aurait son rôle. Ameuter à coups de sémaphore les clients d’un restaurant proche. Continuer à parler. En même temps, faire de grands gestes à la première auto qui passe, et se contente d’accélérer ; à la deuxième qui accélère aussi malgré ou parce que, de colère, mes gestes frôlent l’obscène (Elle fera demi-tour après le pont, le papa aidera, et je retrouverai ensuite sa famille occupante dans les rues musiciennes. Nous échangerons nos soulagements, ils ne sauront rien de mon contrecoup de saisissement qui n’aura lieu que dans la solitude de la nuit : et s’il avait sauté quand nous étions seuls ? Et si j’avais vu ce que je ne veux pas imaginer ?).
On accourt. On réussit à ceinturer avec une sangle l’homme qui a essayé de se jeter à l’eau et tire en pleurant vers le bas de toutes ses forces de perdu. Les gendarmes arrivent, les pompiers aussi. Maintenant qu’il gît sur son brancard, tout débraillé, qu’il pleure toujours, ils lui parlent, parler est utile autant pour soigner que pour se soigner de la peur de ce qu’on aurait pu voir.
Et voici enfin sa compagne, la cause du désespoir, que des voisins les connaissant ont réussi à joindre. Une jeune femme, mince, en jeans.
A sa façon comme lasse, détachée, de regarder l’homme qu’elle n’aime plus, d’en parler, je me demande s’il n’a pas eu raison de tenter sa chance.
11. Le mercredi 3 octobre 2007, 11:26 par Akynou
Non, il n’aurait pas eu raison, parce qu’on ne meurt pas d’une histoire d’amour qui finit mal. C’est obscène. On prend son courage à deux mains, et on se remet…
Cela dit, bravo aux secouristes et je comprends leur peur après coup…
12. Le mercredi 3 octobre 2007, 14:02 par obni
Sans être un toqué des viaducs, j’aime beaucoup les ponts quand ils ont un âme.
13. Le mercredi 3 octobre 2007, 14:02 par encorétoujours
Ma fascination des ponts remonte à loin, mais bon je ne vais pas non plus racontarer ma vie, ici c’est Akynou.
Ponpaine et ponpon.
J’ai vraiment de chez adoré aimé ton histoire, Madame. Bien que le mystère demeure entier sur le pourquoi du pont noir des débuts. Amorce? Non mais, ce n’est Samantédéi qui me contredira, il faut encore l’allumer pour qu’elle fonctionne. Qui a cassé le pont?
Le brigadier Dupont enquête.
Pour moi, c’est un Gabarit sinon rien. Quant au Viaduc de Millau, as-tu seulement songé un instant que tu pourrais être lue un jour par celui qui fut l’auteur, avec les procès assortis?
Nonmého.
Non ce n’est pas moi, faut pas exagérer non plus.
14. Le mercredi 3 octobre 2007, 15:24 par PMB
Une hypothèse, Akynou : et si votre fascination des ponts (que je peux rejoindre) venait de ce que le but d’un pont, c’est de rapprocher ceux qui sont séparés ?
Quant à l’obscénité du suicide. C’est (enfin je crois) plus compliqué. Quelqu’un qui m’est cher m’a raconté un soir qu’il avait failli basculer par la fenêtre après avoir reçu le coup de poignard d’une rupture. Je ne pourrai jamais dire que son acte, qui m’aurait plongé dans le chagrin pour longtemps, trop longtemps, était obscène.
Meric de nous laisser nous exprimer. Ce blogue est le vôtre certes, mais vous nous donnez le droit de ne pas y être que lecteurs.
15. Le mercredi 3 octobre 2007, 20:40 par Akynou
Encorétoujours : c’est une fiction et c’est facile de le prouver
Vue que je suis une femme et que la personne est un homme… 
PMB : Non, je ne parle pas de l’obscénité du suicide en général, mais juste le fait de mourir d’amour… Quand au coup de poignard de la personne qui vous est chère, elle a failli, elle ne l’a pas fait basculer. Il faut autre chose qu’un coup de poignard pour basculer. Il faut une faille intérieure beaucoup plus profonde et ancienne… Et que la séparation ravive la douleur de cette faille.
Il est obscène de mourir par amour, car l’amour est la vie, il n’existe que pour cela. Même si comme nous, l’amour meurt un jour.
Mais je n’utiliserai pas ce terme pour le suicide en général.
Et j’ai dit que Garabit me fascinait, pas les pont en général. J’aime les ponts en fait, parce qu’ils s’élance dans le vide et retombent sur leurs piles. Il faut oser être pont 
16. Le mercredi 3 octobre 2007, 21:44 par PMB
Mmm… Il n’a pas basculé car il y avait un ami pour le retenir…
Mourir par amour, là non : par manque d’amour. Mais d’accord pour dire, là notamment, qu’il y avait faille. Que cette faille s’est aggravée, mais qu’il a maintenant une famille à nourrir et donc des raisons de vivre.
Pour les ponts, c’est pas pont ce que vous dites !
(Garabit : the best. Millau : avant j’avais hurlé en pensant au paysage qui allait être défiguré. En fait, je suis impressionné, et j’ai hâte de vérifier sur place. Enfin sur, non, à côté : j’ai un horrible vertige.)
17. Le jeudi 4 octobre 2007, 17:22 par andrem
Encorétoujours, si tu m’écoutes. Ouais, je sais, ma main droite et ta main gauche s’ignorent. N’empêche, tu n’es qu’un traître de miroir.
Akynou, tu m’entends, je le sais. Souviens toi de ce que nous avions raconté dans d’autres jeux du temps des dyptiques. Enfin je crois que c’était par là-bas.
Ils sont des centaines à être l’auteur du pont, peut-être de milliers. Et chacun d’eux a eu autant d’importance pour la réussite du tout que celui qui d’un trait a lancé le tablier à travers la vallée sur son premier jet. Il n’aurait jamais su monter les deux-cents cinquante mètres d’échelle qu’il fallait parfois monter, dans le vent glacial ou sous le soleil brûlant. Alors moi qui suis capable de gagner le concours de vertige contre PMB, je ne les oublie pas.
Ne les oublions pas.
