Une histoire salée
Après une cinquantaine de kilomètres, peut-être un peu moins, nous sommes descendus du bus et nous avons découvert ce que nous étions venu voir…
De l’autre côté de la route, une muraille et une porte immense, imposante. C’est très curieux à voir, on se demande ce qu’il peut bien y avoir derrière. On ne voit rien. Peut-être des champs à perte de vue. Cela arrive de voir d’immenses portails qui donnent sur rien. Des propriétaires qui ont commencé par une porte d’entrée d’une magnificence absolue mais qui n’ont pas eu les moyens de construire le reste…
Nous nous approchons et ce n’est que devant la porte que j’aperçois un autre bâtiment, juste un peu plus loin. Quelle fabuleuse perspective… Nous passons un premier porche et là, je me dis : « Nom d’un pipe, va falloir que je révise mes superlatifs si je ne veux pas faire trop de répétitions quand je raconterai tout cela. »
En face, il y a une série de cinq bâtiments alignés. La porte monumentale appartient à une autre série disposée elle en arc de cercle. Le tout d’une architecture neo classique très belle.
Autour, des champs.
Dans la moitié du cercle, de l’herbe et des allées. Sur les murs se répète la même sculpture : un énorme tuyau dont semble sortir une pâte épaisse. Je ne sais pas du tout où je suis. Mais j’ai sacrément envie d’en savoir plus.
Nous sommes en fait dans une saline royale. C’est une usine de traitement de sel que Louis XV commanda à l’architecte Claude Nicolas Ledoux. Tout le monde a appris à l’école l’importance du sel à cette époque (et avant, et après). C’était une denrée absolument essentielle. Elle était aussi précieuse que l’or. Nous avons tous entendu parlé de la gabelle, cet impôt basé sur sa consommation et de tout ce qui va avec : les gabelous, les fermiers généraux, etc.
Mais ce que j’ignorais et ce que nous apprend la guide chargée de notre groupe, c’est que dans la région, et vers l’Europe de l’Est, existe un important gisement de sel gemme. A 240 mètres de profondeur, fait qui le rendait inexploitable à cette époque.
Mais les excroissances de ce gisements affleurent un peu partout en Franche Comté, ce qui a permis, depuis la nuit des temps, leur exploitation en saline à Lons-le-Saunier par exemple, ou à Salon-les-bains.
Pour ce faire, on creusait des puits qu’on remplissait d’eau, puis on pompait, on faisait chauffer l’eau pour qu’elle s’évapore et on récupérait le sel. Qui dit chauffage, dit bois, en tout cas à l’époque. C’est peu dire que les forêts comtoise se sont réduites à leur portion congrues.
Les demandes en sel provenaient de la France entière mais aussi de Suisse et d’Autriche. Les vieilles salines ne pouvaient fournir autant. Il fut donc décidé de construire une usine et claude Nicolas Ledoux, architecte de la ferme générale et du roi, en fut chargé.
Sur le diamètre de l’arc de cercle, au centre la maison du directeur avec, au centre, la chapelle et, de chaque côté, les appartements du directeur et du fermier général. Il est orné de colonnes doriques chères à Ledoux dont le maître était un architecte de la renaissance italienne, Palladio.
Tous les autres bâtiments de l’usine sont construits sur le même modèle. Une entrée au centre et des salles qui se répartissent de chaque côté, que ce soit au rez-de-chaussée ou dans les étages. La symétrie est parfaite, c’est le cas d’ailleurs de l’ensemble de la construction.
Les deux bâtiments qui se trouvent sur la ligne médiane abritent les chaufferies. A côté d’eux, deux autres bâtiments plus petits dont je ne me souviens plus l’usage. Je pense qu’il s’agit d’un côté des écuries de l’autre de l’infirmerie ou de l’hôpital. Mais je n’en suis pas certaine.
Dans les autres, situés dans l’arc de cercle, on retrouve tous les ateliers nécessaires à l’usine : tonnellerie, maréchalerie, etc. A l’étage, les logements (une chambre) des familles d’ouvriers. Derrière, les potagers des ouvriers.
Cette organisation n’est pas sans me rappeler les phalanstères chers à Fourrier, ces usines palais où devaient vivre en bonne harmonie ouvriers et patrons. Si l’utopie est née à Besançon, nulle doute que la Saline royale conçue par Claude Nicolas Ledoux en est à l’origine…
Nous visitons la maison du directeur dont il ne reste pas grand chose d’époque. En effet, elle fut victime d’un incendie en 1918. Puis son propriétaire fit dynamiter les colonnes en 1926 car il ne voulait pas voir ce bâtiment classé au titre des monuments historiques. En 1982, la saline fut placée dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Et ce n’est que justice.
Les salles en sous sol, où étaient entreposées les pains de sel, sont elles intactes. Aujourd’hui, on y découvre toute l’histoire du sel dans la région. Et les processus de son extraction. Un tronc d’arbre traine dans un coin. On découvre qu’il appartenait au saumoduc, cette canalisation qui acheminait la saumure de Salins-les-bains jusqu’ici. Construit en double pour parer les pannes, enterré pour éviter le gel, étroitement surveillé pour éviter le trafic des « faux-sauniers » qui cherchaient a voler le sel, il courait sur quelque 21 kilomètres, traversant routes, forêts, collines.







