Quand faut y aller faut y aller. Je parcours ce qu’il reste des blogs de Garfieldd et je retombe immanquablement que ce post. Je ne voulais pas le choisir, pas en parler. Mais en même temps, c’est un de ces billets qui m’ont fait dire : « J’aimerais qu’un jour mes enfants aient un proviseur comme Garfieldd. » Qui sache voir, au-delà de tout, l’intérêt de l’enfant, pour le protéger. Même si ce n’est pas forcément dans l’intérêt de la famille.
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Ces gens-là. Février 2005
…Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas on triche…
Elle a 16 ans et demi.
Vendredi, elle a raconté à l’infirmière ce que son grand père lui avait fait, il ya quelques années.
L’infirmière lui a demandé si elle se sentait assez forte pour en parler à ses parents.
Elle a répondu par l’affirmative. Le plus dur c’est d’oser en parler la première fois.
Lundi l’infirmière reçoit la jeune fille et ses parents. Et leur indique sa détermination de faire un signalement auprès du Procureur de la République. A moins que le parents ne portent plainte eux-mêmes.
Ce matin je reçois les parents et la jeune fille. Ils ont l’air préoccupés.
Pas effondrés. Préoccupés.
Mais pas parce que je crois.
Ce qui les gêne c’est la réaction de la famille. La veille la tante de la jeune fille (pourtant mère d’une gamine elle aussi) a frappé la jeune fille pour avoir osé parler. Les parents pensent qu’il ne faut pas aller plus avant dans les démarches. Maintenant qu’ils savent, ils vont s’occuper de leur fille. En privé. Etouffer. Sauver les apparences. Le jeune fille ne souhaite d’ailleurs pas que l’affaire prenne ces proportions : hein tu ne souhaites pas que ça aille plus loin, hein ?
Et puis la grand mère est une femme admirable que la jeune fille adore. Et la grand mère en mourrait et la jeune fille culpabiliserait. Hein tu culpabiliserais s’il arrivait quelque chose à mamie ?
Et la jeune fille se tait.
Je m’élève violemment contre l’idée que les parents puissent vouloir ou oser instiller le poison de la culpablisation dans le coeur et l’esprit de leur fille.
Je demande à la jeune fille de sortir.
Je demande aux parents s’ils se rendent compte de ce qu’ils font, de ce qu’il couvrent, de ce qu’ils acceptent, de ce qu’ils demandent à leur gamine d’accepter. Elle a subi. Elle s’est tue. Elle parle maintenant. Mais selon eux il faut maintenant qu’elle chuchotte, ou mieux… qu’elle se taise. Je leur dis que cette attitude est intolérable. Inacceptable. Obscène. Abjecte. Pas avec ces mots là parce que je ne suis pas procureur. J’essaie de faire que mes mots trouvent le coeur de la mère et la raison du père. Ou l’inverse. Mais qu’ils ne soient pas vains.
Je fais rentrer à nouveau la jeune fille.
Non tu ne serais pas coupable, toi, de quoi que ce soit. Tu es victime. Et le retour à la simple chronologie des faits impose cette évidence. Rien ne serait arrivé si le grand père n’avait pas été indigne, abject, immonde. Je souhaite que plus tard la jeune fille se souvienne que des adultes l’ont aidé écouté sans se soucier du qu’en dira-t-on.
Les parents réfléchissent à voix haute et suggèrent que s’ils ne portent pas plainte, le signalement n’aura pas de conséquence, pas de suite. Que tout restera lisse en surface. Ils émettent l’idée que si la jeune fille, leur fille se rétracte ils pourront gérer l’affaire dans leur confort médiocre et lâche.
Ils me reprochent de ne pas leur laisser le temps de réfléchir à la meilleure façon de gérer ça. Ils me disent que si leur fille a plus tard les idées en compote (sic), ce sera de ma faute.
Il veulent protéger leur fille… Protéger. Je m’étrangle, mais je ne m’emporte pas.
Je reste ferme sur ma position. Je n’ai pas le choix certes, mais surtout je suis convaincu de faire le bon choix. Le seul choix.
Ce soir à 16h00, j’ai fait le signalement. Evidemment.
Je me souviens, au moment où j’ai lu ce billet, les commentaires étaient extrêmement violents vis-à-vis des parents de la jeune-fille et que je m’étais demandé ce que nous aurions fait, nous, à leur place. C’est si facile de jeter l’opprobe. Mais comment intégrer que son propre père a été incestueux sur son enfant ? C’est une nouvelle si terrible que l’on doit mettre plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour en saisir la portée, comprendre ce qu’elle signifie exactement. Et que justement, pour l’enfant, la solution est sans doute en dehors de la famille…
Pourquoi j’ai choisie de re-publier cette note finalement ? Parce que je trouve les enseignants, les proviseurs, et plus largement tous ceux qui ont à faire avec nos gamins dans le cadre de l’institution éducation nationale, se trouvent souvent face à des situations terribles, dramatiques et qu’il n’est jamais facile de prendre une décision, LA bonne décision. Faut-il ou pas signaler : les mauvais traitements, les coups, l’inceste… ? Dans quelles conditions, comment ne pas céder aux menaces ou pressions de la famille, etc. Décider, sans trembler, n’est pas donner à tout le monde.
Et puis parce que ce matin, j’ai croisé une de mes amies, une mère d’élèves comme moi, une battante qui se ferait découper en petits morceaux pour protéger ses enfants. Sa fille aînée, adolescente, a fait une tentative de suicide. Un de ses oncles du côté de son père (les parents sont divorcés) abusait d’elle quand elle n’avait que 5 ou 6 ans. Le petite a porté ce fardeau pendant si longtemps qu’elle n’a pu s’en débarrasser qu’en tentant d’en finir avec la vie.
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Alors, M. Garfieldd, pour avoir fait votre métier, entendu cette enfant, maintenu votre décision face à des parents perdus dans leur propre enfer familial, je vous tire mon chapeau. Respect. Total respect.
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oui, Akynou, on est tous, l’un ou l’autre, un jour ou l’autre, confronté à l’abject dans ce qu’il a (hélas) d’humain. J’étais, dans une vie heureusement antérieure, responsable d’un service « petite enfance » et de sa crèche familiale ; un bébé de neuf mois, tu entends bien, neuf mois, tu vois bien ce que cela veut dire Akynou ? – a été violé par son père, nous l’avons su par « notre » nounou….. Me comprendras-tu, Alynou, si je te dis que moi aussi j’ai été violée, simplement de l’avoir su, et d’avoir du, oh pas comm un juge ni comme un travailleur social, juste comme la responsable administrative d’une crèche municipale, gérer « ça »? Et des années que je porte cela
Clopine, qui voudrait bien ne pas etre aussi grave tout le temps, mais là ce soir en te lisant…
Oui, je sais Clopine. c’est pour cela que je voulais rendre hommage aux gens qui comme lui, comme toi… ont à gérer l’horreur pour protéger les enfants.
Sans doute parce que j’ai été une enfant, et que je m’en souviens…
merci Akynou d’avoir republié ce billet que je n’avais pas lu ; au lieu qu’on fasse taire celui qui l’a écrit, il devrait servir de base pour un large débat public.
Trop de personnes sont encore les victimes silencieuses et culpabilisées de ce que d’autres leur font subir.
C’est affrayant comme pour les parents l’important n’est pas ce qui a eu lieu mais que ça se sache où non.
un bravo bien tardif à Gardfieldd qui avait su garder son calme face à une si profonde lacheté parentale et faire son travail malgré tout, et dans l’intérêt de la jeune fille.
Gilda, je ne serai pas si sévère que toi avec les parents. Si j’en crois le texte de Garfieldd, cela faisait peu de temps qu’ils étaient au courant. Maintenant, imagine que tu apprennes, un jour, que ton père ai abusé de ton fils ou de ta fille. Il est probable que tu passeras par un certain nombre de stade qui iront de l’incrédulité (non, pas mon père)[et si quelqu’un parle de ce cas-là et mentionne ton incrédulité, on trouvera que tu es une mère en dessous de tout] à la colère (mon salaud de père) en passant par des tas d’étapes intermédiaires. Le soucis du qu’en dira-t-on est une de ces étapes. Ces gens étaient perdus, ils se raccrochaient à ce qu’ils pouvaient. Ce qui es symptomatique, c’est la réaction de la tante, qui voit son père accusé par sa nièce de l’innommable. Elle n’a pas la bonne réaction, mais qui peut lui jeter la pierre ? De plus, il est possible qu’elle ait subi ce genre de choses elle aussi (et même assez logique) et qu’elle supporte encore moins bien la rupture du silence, alors que elle, elle l’a toujours gardé. C’est assez classique
Bon, peut-être que ceux là sont peut-être d’infames salauds, mais je crois qu’ils faut aussi imaginer le traumatisme que ce type de nouvelles peut produire dans une famille.
Moi, j’ai mis 10 ans avant d’admettre que ça m’était arrivé et encore 10 ans pour en parler. Et j’étais la principale intéressée.
très d’accord pour ce qui est des différents stades dont l’incrédulité, le refus, etc., d’ailleurs je ne cherchais pas tant à porter un jugement sur ces parents eux-mêmes mais sur le fait que ce soit humainement possible qu’au bout du compte on se dise que l’essentiel c’est que personne n’en sache rien.
Et puis si, le côté, je reporte la faute sur celui qui m’en parle (le « Ils me disent que si leur fille a plus tard les idées en compote (sic), ce sera de ma faute » j’ai du mal avec ça, les gens qui accusent les autres du mal qu’eux-mêmes sont en train de faire).
Cela dit, je ne parle effectivement pas en connaissance de cause, mes parents avaient bien d’autres défauts (dont celui d’être extrêmement toxiques en croyant protèger) mais pas aussi extrêmes, loin s’en faut.
Et puis aussi j’ai le bonheur de vivre dans une très grande ville et même si je sais que ça existe et les formes que ça peut prendre, je n’ai pas directement vécu sous la pression de l’oeil de la communauté, du village, du patelin. Je devine que ça peut effectivement être invivable en cas de problème.
Cela dit c’est quand même la jeune fille qui est en danger.
Ce que tu dis (« j’ai mis 10 ans avant d’admettre que ça m’était arrivé ») ne m’étonne qu’à moitié. A l’occasion d’une revoyure il faudrait qu’on recause des défaillances protectrices de la mémoire / la compréhension. C’est un sujet sur lequel je me pose pas mal de questions.