J’ai trop mangé… Voilà une chose qui m’arrive souvent au bureau. Comme je m’ennuie entre deux pages, je mange, j’engloutis, je dévore, j’actionne mes mandibules, je me remplie, je me renfloue, je me rassasie…
Oui, je suis au journal, et c’est l’heure du dîner. Il est 21 h 30 et je suis au journal. La nuit est tombée, et je suis au journal. Ce soir, c’est fête, ce soir, c’est bouclage exceptionnel. Ce soir, nous préparons la mort d’un grand de ce monde… Branle-bas de combat, tous à vos postes, et au boulot et que ça saute… Etant la dernière roue du carrosse, mais pas la moins importante, nous attendons la mort, nous attendons le boulot. En mangeant.
Au menu, du Linas. Une marque de sandwich que j’aimais bien fut un temps, mais que je trouve surfaits, maintenant. Ce qui ne m’a pas empêchée d’en engloutir une quantité incroyable. Comme les petits-fours : ce n’est pas terrible, mais on les enfourne comme si notre vie en dépendait… O tempora o mores… Je me sens un peu ballonnée.
Il n’y a que le dessert qui est vraiment bon, une petite crème brûlée de derrière les fagots. Je m’en reprendrais bien une… Boulimique, moi ? Non, plus maintenant, sauf un peu au boulot, le soir, quand j’attends les pages et les textes pour exercer ma sagacité, mon esprit critique et mon agilité mentale… Il faut gagner dix lignes ? Allez hop, je réécris cette question qui dépasse les deux lignes réglementaires. Parce que franchement, un journaliste qui met trois heures à poser sa question, déjà, à la télé, c’est pénible, mais dans la presse écrite, c’est insupportable. Non, vraiment pas, pas question, je sabre, je réécris.
Et puis cette réponse-là-là, une vraie logorrhée, on peut sûrement dire la même chose beaucoup plus élégamment et avec moins de mots. Allez hop, je taille, je remets en forme. Ah ! Monsieur (ou Madame) s’exprime nettement mieux ainsi.
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais mes confrères, en tout cas les plus jeunes d’entre eux, ont une fâcheuse tendance à retranscrire leurs interviews telles quelles, oubliant qu’on ne parle pas comme on écrit. Ce qui fait passer leurs interlocuteurs pour de fieffés imbéciles n’ayant pas plus de trois cents mots de vocabulaire. Sous leur patte, Daniel Auteuil parle comme un marlou de banlieue, Hervé Bourges « s’expressionne » à peu près aussi bien qu’un caillera, etc. C’est simple, qu’on lise les réponses de Johnny, de François Hollande, de Joey Star ou d’Isabelle Adjani, on a l’impression de lire la même personne. Dramatique.
« Comment ? Tu ne supportes pas la moindre critique sur les journalistes, mais tu ne te gênes pas pour les descendre en flèche », vous entend-je d’ici maugréer. Mais la grande différence, c’est que moi, j’aime les journalistes. Et qui aime bien châtie bien… Vous considérerez sans doute que cette réponse est plutôt capillotractée. Alors, j’ajouterai ceci : un bon article, c’est un travail d’équipe. Un bon journaliste n’est pas forcément un bon rédacteur, mais quelqu’un qui sait collecter des infos, les mettre en forme et les transmettre. Qu’un confrère m’apporte les infos et je me fais fort de rendre son texte journalistiquement bien écrit. Et il faut rester modeste, nous ne sommes pas écrivains, nous produisons de petits textes destinés à rendre compréhensible une information aux lecteurs. Autant qu’elle soit agréable à lire. Mais nous ne participons pas d’une œuvre littéraire. Ou alors elle serait de bien piètre qualité.
J’en ai vu quelques-uns, heureusement pas beaucoup, de ses plumitifs rentrés qui ne savaient pas aligner trois mots sans faire une faute de grammaire ou de construction, mais qui faisaient un caca nerveux dès qu’on leur déplaçait une virgule. « Si c’est comme cela, je retire ma signature », tempêtait cette écrivaine au petit pied. Ce qui nous faisait bien rire. Heureusement, pour le travail (et tant pis pour le rire), ces gens-là sont assez peu nombreux.
Dans le genre catastrophe, dans un magazine de golf où j’ai sévi quelques mois, j’ai rencontré le pire de ce qui peut se faire : un inventeur. Surtout quand le fripon est malin. Difficile de faire le tri. Je me souviens qu’après un dossier, « Où peut-on faire du golf en hiver », plusieurs golfs nous avaient appelé pour râler. Nous leur avions attribué des greens d’hiver alors qu’ils étaient bel et bien fermés pendant toute la mauvaise saison. Du coup, ils avaient des soucis avec leur clientèle qui réclamait un service qu’ils ne pouvaient fournir. J’eus droit à quelques remontrances de mon chef, et n’ai pas tardé à me rendre compte que toutes les informations qui pêchaient venaient du même journaliste. Peu de temps après, il nous produisit un texte sur les origines du golf. Autant vous dire que je ne me souviens pas du contenu, cela a plus de dix ans. Mais si, sur le coup, je trouvais le texte amusant et bien troussé (et bien trouvé), je tenais mon gars à l’œil. Je me suis mise à faire des recherches. Non seulement, je me suis rendue compte que tout le papier était pure invention, mais j’ai retrouvé le passage du bouquin qui avait servi de base de départ à l’olibrius. Il n’a plus jamais retravaillé pour nous. Quand on veut faire du Mickael Kael, mieux vaut travailler dans la précipauté du Groland.
Cela dit, j’ai aussi vu des gens à l’écriture dense et serrée, calibrée au millimètre, une merveille à lire et qui n’avaient aucune, mais alors aucune fierté d’auteur. « Tu dois couper ? Vas-y ? Tu veux changer ? Pas de problème. » Qu’est-ce que c’est bon de travailler avec des gens pareils.
Et entre les deux pôles quantité de gens formidables, consciencieux, marrants, passionnés, dégoûtés, fatigués, railleurs, râleurs… Des gens quoi.
Fini de rire, voilà mon chef qui arrive avec les pages et toutes les corrections, une heure, deux heures, trois heures… Une page, deux pages, trois pages… qui sait quand nous en verrons la fin.
Il est maintenant 1 heure, c’est terminé pour ce soir, les pages sont parties. Demain, 10 heures, une autre journée… Je ne sais pas pourquoi me revient cette phrase de Pierre Dac : « Celui qui est parti de rien pour arriver nulle part n’a de merci à dire à personne. »
Le 25 mars 2005, 19:01 par ani
y a pas un s entend-je ?
ouais j’ai rien trouvé de plus con à dire
Le 25 mars 2005, 19:33 par anihihi , merci pour les adresses .;p
Le 25 mars 2005, 20:37 par Veuve Tarquine
Moi aussi je les aime les journalistes !
Comme ils s’exposent ils sont forcément en première ligne de nos acerbes critiques mais n’oublions pas ce qu’ils représentent dans une démocratie ou ailleurs d’ailleurs !
Et quand ils bouclent à pas d’heure la vieille d’un weekend pascal au lieu d’aller câliner leur progéniture, on réalise que l’on est parfois bien ingrats !
Le 25 mars 2005, 21:03 par Vincent
Juste au sujet du grand de ce Monde que tu évoques. C’est un sacré Monsieur. Un sacré Monsieur. Je me demande bien comment on va s’en sortir sans un capitaine de son envergure. Et on ne s’imagine l’humain qu’il est, même si je ne le connais bien sûr pas (héhé).
Mais s’il vous plait ne croyez pas les cons. Un grand Monsieur est en train de passer l’arme à gauche.
Mais bon désolé quand même pour tes heures sup’ 
Le 25 mars 2005, 21:06 par ImpasseSud
Passionnant cet article. Le début m’a fait penser à « Peireira prétend » d’Antonio Tabucchi. Tu connais?
Le 25 mars 2005, 21:42 par racontars
Ani : de rien 
Tarquine : Mais oui, je sais bien…
J’ai quand même eu ma compensation aujourd’hui. Je suis sortie en début d’après midi et j’ai pu aller chercher les filles à l’école pour leur plus grand bonheur… Et le mien
Vincent ; de quel sacré grand monsieur parles-tu ? Je n’ai pas donné de nom ni de localisation parce que l’homme qui est en train de mourir en fait, dans cette situation, importait peu. Mais ils sont deux, grands de ce monde, à ne pas aller très fort en ce moment… et qui peuvent recevoir la même ferveur que la tienne…
ImpasseSud. Je connais Tabucchi de nom, et je ne crois pas avoir lu un de ces livre. Il faudra que j’essaie. après le Fante 
Le 25 mars 2005, 21:46 par leeloolene
« il est une heure… demain une autre journée »… mais non
c’est déjà demain !!
Rien trouvé de mieux à dire non plus !
Le 25 mars 2005, 22:43 par Nounou
et bien moi, aujourd’hui après une journée pas terrible, j’ai trouvé dans ma boite aux lettres un CD et un dessin, et hop la journée devient plus sympa d’un coup…
Merci
Le 25 mars 2005, 22:57 par Thomassenfout
Chez Lina’s, au dessert, y’a que le brownie qui vaille. D’abeur.
Le 26 mars 2005, 00:17 par Vincent
Je parlais de Rainier. 
Le 26 mars 2005, 05:50 par Bertrand
Madre dios! Le journaliste que je suis perd trois ou quatre bras à te lire… En 19 ans je ne me suis jamais permis d’être à ce point approximatif (pour être poli) que quelqu’un doive me réécrire… et sûrement pas avoir l’idée que j’eusse pu inventer!
Et désolé si je heurte, mais si le « grand homme » dont il est question plus haut c’est « DjiPitou »(JP2) eh bien le devoir m’oblige à dire que ce triste sire est un des plus dignes représentants de l’obscurantisme… (Opinion documentée…)
Le 26 mars 2005, 09:50 par racontars
Bertrand : Le problème c’est que j’ai parlé de cuisine interne et personne n’avoue qu’il se fait réécrire. J’ai toujours dit, à propos des books que les journalistes pouvaient présenter, que ce n’était pas toujours parlant parce que derrière un papier, il y a un journaliste bien sûr, mais aussi un secrétaire de rédaction. C’était le cas par exemple pour l’inventeur. Les papiers publiés qu’il avait présenté à l’embauche était vraiment très bons. Mais ceux qu’il m’a fournis n’étaient pas du même niveau.
Je n’ai pas beaucoup moins de métier que toi, et malheureusement, j’interviens de plus en plus. Sans compter le chef d’édition qui relie les textes avant moi et qui souvent dégrossit ou renvoie carrément au journaliste. Et les correcteurs font beaucoup plus que chasser la coquille : ils soulignent les phrases qui sont incorrectes.
Cela dit, nous travaillons aussi dans l’urgence, et quand on commande un papier pour avant-hier, c’est évident que le journaliste va passer plus de temps sur le contenu que sur la forme.
Et je pense aussi que les écoles de journalisme ne sont plus tout à fait à la hauteur de leur réputation, en tout cas pour cette partie là. Avant les journalistes avaient souvent fait, avant d’intégrer ces écoles, des études de lettres ou d’histoire. Maisntenant, c’est plutôt science po ou sciences éco. Et il est dommage de constater qu’au niveau de la langue cela se ressent.
Et pour finir, il y a aussi des cas désespérés pour lequel on ne peut pas grand chose, il y a aussi des mauvais secrétaire de rédaction qui laissent tout passer.
C’est comme dans tous les métiers, il y a les bons et les mauvais.
En enfin pour finir, un racontars reste un racontars…
Le samedi 26 mars 2005, 09:54 par racontars
Bertrand : joubliais : Pour le « Grand bonhomme » il ne s’agit pas de JP2 au sujet duquel je suis plutôt d’accord avec toi. Cela dit, grand bonhomme pour moi faisait plus état de la notoriété.
Vincent qui semble très touché parce qui se passe a parfaitement compris de qui il s’agissait. Mais la notoriété de celui-là est sans doute plus importante en France qu’au Québec 
Le 29 mars 2005, 13:06 par brio
… puisque tu en es à parler de cuisine interne : le calendrier de ces bouclages mortuaires ne cesse de me fasciner. Si j’ai bien compris, les hommages à certaines personnalités canoniques (à défaut d’être canonisées) se préparent de leur vivant. Au moindre coup de faiblesse, à la moindre hospitalisation, c’est le branle bas de combat dans les rédactions, on lance un dossier spécial, des fois que l’intervention serait fatale, histoire de pouvoir sans délai faire les gros titres et accompagnée la foule dans son deuil.
Y t-il souvent des faux départs ? Des interventions chirurgicales qui sont un vrai succès, qui rendent au patient une forme d’adolescent pour une quinzaine d’années supplémentaire ? Que fait-on alors de ces dossiers spéciaux qui ne sortent jamais ? Où prennent-ils la poussière ?
Le mardi 29 mars 2005, 13:07 par brio
ah ough « accompagner la foule », tout le monde aura rectifié
Le 31 mars 2005, 11:29 par Anne
J’aime beaucoup tes notes autour de la vie professionnelle. Elles sont empreintes d’une sorte de bougonnement affectueux qui me réjouit à chaque fois.
En plus de la plume, bien sûr !