Il fait beau ce matin. Nous décidons de laisser quartier libre à Madame ma mère et de passer la journée du coté de Salou. Enfin, non, pas Salou, trop grand, pas pratique en cette saison. Plutôt Cambrils, à dimension plus humaine. L’an dernier, quand je suis revenue dans ce coin, vingt ans après ma dernière visite, j’ai été épouvantée par le changement.
La petite tour du port de pêche est maintenant noyée au milieu des immeubles ; c’est tout juste si on la voit encore. La petite place qui donnait sur le port, et où nous dégustions des tapas à tomber, a totalement disparu. A la place, une enfilade de magasins et de restaurants. Nous nous promenons un moment, faisons les boutiques. Nous passons devant une échoppes de coiffeurs africains qui, évidemment, nous invitent à entrer pour coiffer des petites. Je leur réponds en riant que je tresse moi-même les cheveux de mes filles. Nous rencontrons des statues ; Elles représentent deux femmes en train de réparer un filet. Les filles se font évidemment photographier à côté, comme l’an passé elles ont posé à côté d’un vieux assis sur son banc sur les ramblas de Tarragone. Il fait bon à déambuler ainsi en attendant l’heure du repas. Nous choisissons un petit restau pour sa terrasse
ensoleillée et à l’abri du vent. Nous nous régalons de sepietas. Lou choisit elle une assiette combinée : lard, œuf sur le plat, frites. Les petites ne veulent que des frites auxquelles nous faisons ajouter une tranche de jambon. Frites/jambon, peu de chance de se tromper et, de fait, elles dévorent…
Après déjeuner, nous retournons à la voiture prendre les affaires de plage. Mais le vent s’est levé et le ciel s’est obscurci : gros nuages en perspective. On prend quand même le barda. Et les impers qui serviront de coupe-vent. On trouve une place, ce qui n’était pas un exploit. La plage est immense et si en été, il est quasi impossible de voir le sable tant la foule est nombreuse, à cette saison, les candidats sont peu nombreux.
Les filles s’activent immédiatement et se transforment en terrassières. Moi, je suis assise sur le fauteuil pliant, dos au vent, emmitouflée dans mon imper, la capuche sur la tête. Je n’ai pas froid, mais pas loin… Léone est comme moi qui se calfeutre dans sa polaire.
Je maudis ce temps et je me demande ce que je fous sur cette plage. La couette me paraît nettement plus indiquée. Le sable vole en tout sens, Des gamins d’une école, venus pour une compétition de beach volley se défoulent en se lançant des oranges pourries. Je vois le moment où c’est moi qui vais la recevoir, l’orange pourrie. Un des ados est maintenu au sol par ses copains qui lui mettent du sable dans le caleçon. La jeunesse de tous les pays et de toutes les époques est si imaginative… Le garçon se relève et met ses fesses à l’air pour se nettoyer. Quand il aperçoit les
filles, il se reculotte bien vite, puis rebaisse plusieurs fois son pantalon. Ah ! L’incomparable plaisir de baisser son froc devant des gamines de 9 et 5 ans quand on en a 15… Il en est pour ses frais, Lou et Garance s’en foutent royalement.
J’engueule le ciel et le soleil : « Non mais qui m’a foutu un temps pareil, vous êtes priés de faire le ménage illico. C’est quoi ces nuages qui trainent là. On dirait les moutons sous mon lit. Allez du balai ! » Ça a l’air de produire son effet car peu à peu le ciel se dégage et le soleil apparaît. Je me détend et prend la position du vacancier en plein boulot… Garance et Lou se rapprochent immédiatement de l’eau. C’est marrant ce phénomène, vous avez remarqué ? Presque aussi étrange que celui de la marée. Plus il y a de soleil, plus les enfants se rapproche de la flotte…
Elles remontent leur pantalon, mais finissent par me réclamer leurs maillots de bain : « Juste le bas, maman, pour pas mouiller le pantalon. » Ben voyons… Et elles pensent peut-être que je suis dupe… On ne me la refait pas celle-ci… Car en fait de bas, bien sûr, ce sera bientôt la tenue complète et elles se jetteront à la baille très rapidement.
Le vent est glacial. Je me demande comment elles font. Je ne crains pas vraiment l’eau froide. Mais l’air gelé en sortant d’un bain froid, c’est trop pour moi. Léone doit me ressembler. Car même si elle a tenu à enfiler son maillot, elle reste prudemment sur le sable sec avec le seau, la pelle et le râteau. Et puis, pendant que ses sœurs se baignent, elle n’est pas obligée de partager. Stratège !
Garance provoque la mer, elle entre dedans, en sort en criant, puis se retourne et lui tire la langue. Elle entame une espèce de danse orientale qui lui fait tourner les fesses. Elle s’éclate. Elle et Lou se racontent des histoires incroyables d’espions, de sauveurs, d’agresseurs. A force de les entendre, je fais la nuit des rêves bizarres et angoissants où je me retrouve au cœur de complots improbables…
La baignade est finie. Elles ont trop froid. Je les sèche et les rhabille. Elles se remettent illico à jouer avec le sable. Même le Nôm s’y met. A presque 5 heures, nous interrompons les festivités. Le Nôm veut faire un dernier tour en ville avant de rentrer, pas trop tard, car nous sommes invités au restaurant par ma tante et S.
Nous faisons les boutiques, qui rouvrent les une après les autres. Tout ferme entre 14 et 17 heures ici. Nous achetons une paire de chaussures à Garance et à Léone. Lou, non, car nous ne trouvons pas sa pointure dans les modèles qui nous intéressent. Ce n’est que partie remise. Par contre, il y a un chausseur (je dis ça au cas où ça intéresserait quelqu’un, sait-on jamais), sur la promenade, qui vend des chaussures absolument extraordinaires. Marque inconnue mais dont le styliste fait des merveilles. Ce n’est même pas très cher.
Nous repartons vers la voiture, puis nous rentrons sur Tarragone en prenant la route de la plage. Nous traversons Salou puis une autre station balnéaire. J’essaie de retrouver mes souvenirs, de les superposer au réel, mais j’avoue que cela est difficile. Nous passons devant le Barlovento, un cabaret où je passais mes nuits il y a vingt ans, où se produisaient des amis chanteurs, poètes, humoristes. C’est devenu un karaoké… L’air du temps… Il paraît que le patron est toujours le même.
Les arcades, près de la cathédrale de Tarragone
Arrivés à la maison, nous envoyons les filles au bain. Garance a les joues rosies par le vent et un léger coup de soleil. Lou a bronzé, Léone aussi mais un peu moins. Quand à moi, malgré la capuche, j’ai également choppé, sur le nez, un bout de soleil, comme dirait Garance.
Nous avons le temps de nous préparer, nous n’avons rendez-vous qu’à 21 heures. J’habille les filles avec leurs belles robes, même si elles sont un peu légère pour le temps qu’il fait : un bon gilet et l’imperméable, cela devrait le faire. Ma mère s’habille comme en plein hiver chez nous. C’est qu’à vivre les trois quarts du temps à la chaleur, elle est devenue frileuse.
Nous remontons la grande rue qui mène des quartiers portuaires et populaires où nous vivons vers le centre de Tarragone. Le restaurant où nous avons rendez-vous s’appelle le Coimbra. Si vous allez un jour à Tarragone, je vous le conseille. On y sert une excellente cuisine familiale. Un vrai régal. Je ne sais pas quels sont les prix, nous y avons toujours été invités.
Ce soir nous nous délectons d’escargots de mer, qui en plus d’être très beaux sont très bons. Nous en garderons quelques coquilles que nous nettoierons pour les ramener aux maîtresses des deux dernières. Ensuite on nous sert des fideus, ces espèces de spaghetti courts servis avec des fruits de mer. Un vrai régal. Le tout servi avec un vin de Galice pas mauvais du tout. Il me rappelle de nombreux souvenirs, mes premières années en Espagne, du côté de Saint-Jacques-de-Compostelle où l’on goûtait de ce vinho verde dans des bols de faïence blanche.
A ce stade je n’en peux déjà plus. Mais arrivent sur la table des pieds de porc particulièrement appétissant. Curieusement, Garance, qui mange si peu de chose et surtout rien de ce qu’elle ne connaît pas, Garance qui a refusé les escargots de mer et chipoté dans les fideus au grand dam de ma tante, Garance donc s’envoie un pied de porc pour elle toute seule à la grande stupéfaction des convives.
A la table voisine, une dizaine de jeunes chantent et mangent des tapas. Ils sont là pour fêter l’anniversaire de l’un d’entre eux. Quand le gâteau arrive, nous chantons comme toute la salle et nous applaudissons celui qui vient de se prendre une année dans la vue. Visiblement, il a l’air ému. On le comprend. Ce n’est pas tous les jours qu’on se fait souhaiter un bon anniversaire par un restau entier.
S. a commandé des desserts pour les filles : flan maison au café et crème chantilly. Les catalans sont les rois de la crème. Celle-ci est une merveille. Mais Léone chipote à son tour, elle se précipite sur la chantilly et laisse la crème que je mange donc pour ne pas offusquer nos hôtes. Ce dessert n’est pas proposé aux clients habituels et a été concocté par la mère du patron elle-même.
Café et surtout pousse café. Les discussions vont bon train et nous nous resservons facilement du digestif servi et qui se laisse boire. Quand nous nous séparons enfin, nous sommes passablement éméchés. Mais personne n’oublie que Léone doit une bise à Serge, car il lui a offert deux Cocas… Ce qui me fait beaucoup rire. Quand j’étais dans la région, il y a vingt ans, et que j’avais rejoint S qui tenait à l’époque une crêperie à Salou, nous avons été un soir dans un bar de Tarragone applaudir des copains chanteurs que nous écoutions d’ordinaire au Barlovento. La seule chose dont je me souvienne de ce bar, en dehors de son nom, El Toucan, c’est que derrière le comptoir, il y avait un
panneau de clés au sigle de Coca Cola. Et puis un jour, j’ai lu un peu mieux. Il était écrit : Coma Caca… (Mange de la merde…)
Comme Léone l’a promis, elle fait un énorme bisou à tonton. Nous rentrons à la maison, bras dessus bras dessous. Les filles me diront le lendemain que « Papa était très drôle ». Ce dont je n’ai aucun souvenir. J’ai l’alcool amnésique. Ce qui est parfois bien dommage.